Ma grand-mère était une fée. Une femme pleine de grâce, comme la Vierge Marie qu’elle admirait tant. Modeste, elle se démarquait pourtant par la classe qu’elle avait. Et je ne parle pas d’une classe accessoire, matérielle ou esthétique. Je parle de la vraie classe. Celle de l’esprit, celle qui fait que l’on sait intuitivement qu’une personne mérite notre estime, celle qui se perçoit dans ce qu’elle dégage, celle qui se voit dans les yeux.
Femme de la terre, elle était aussi travaillante qu’exigeante, généreuse que peu demandante pour ses propres besoins. Elle avait la faculté de savoir s’oublier et on aurait parfois voulu lui rendre le droit de recevoir.
Humble, mais combien élégante dans l’âme, dans son appréciation du savoir-vivre et des bonnes manières. Elle vivait dans une immense maison de ferme centenaire qu’elle a tenue autant qu’elle a pu après la mort de son homme. Je pense que chacun de nous –ses enfants et ses petits-enfants- avons laissé une partie de nos souvenirs dans cette maison : le temps des sucres où tout le monde mettait la main à la pâte, le temps des pommes, du jardin, des fraises des champs et des gadelles, le temps des foins où l’on plongeait dans le lac après des heures de labeur, la pêche à la truite, l’attrapage des grenouilles, le pédalo, les glissades sur la butte l'hiver, les érables centenaires dans lesquels on grimpait et qui nous procuraient des tas de feuilles géants l’automne venu, les jeux de cachette dans la grange, les réveillons qui ne finissaient jamais, les immenses tablées pour notre immense famille, les cadeaux sous le sapin qui, même s'il n'y en avait souvent qu'un seul par personne, encombraient la moitié du salon, la vaisselle faite en rigolant avec les cousins-cousines.
Lorsque je lui rendais visite, je lui donnais un coup de main. Tous, nous le faisions à notre manière. Nous y étions toujours bien accueillis; le genre d’endroit où l’on peut aisément débarquer en ne doutant jamais des bras ouverts qui nous y attendent (et dire qu’elle-même craignait toujours de déranger les autres!). En aucun moment elle ne se serait plaint d’avoir encore de la visite et ce, même si elle était fatiguée.
Ma chère grand-mère était coquette, une grande amoureuse, l’œil toujours vif et lucide même lorsque je devais lui rappeler j’étais la fille de laquelle de ses filles. Auprès de son homme, elle était la plus fière des femmes.
Les glaïeuls, les statues de Marie, les géraniums, les canards, les hirondelles, les peppermints, la compote de pommes maison, la cabane à sucre, le temps des foins, l’odeur des tracteurs, les moments où je travaille seule au jardin me feront toujours penser à elle.
Elle était l’âme de cette maison, aimait taquiner son homme parfois grognon en nous faisant des clins d’œil complices, avait un humour succulent. J’aimais ces grands fous rires avec elle et jamais je n’oublierai celui où elle riait tant qu’elle en perdit son dentier, accentuant mon rire et faisant décupler le sien dans un embarras mêlé de plaisir.
Ma grand-mère était mère de la simplicité volontaire. Dans un souci d’économie, elle ne ratait pas une occasion de récupérer. J’étais impressionnée de la voir laver la pellicule plastique qui recouvrait les aliments du supermarché et de récupérer styromousse, cartons, boîtes de conserve et autres matériaux bien avant que cela soit en vogue.
Sa ruse n’avait d’égale que sa grande diplomatie. Elle était si attentionnée qu’elle parlait à ses plantes en les arrosant. Nombre de fois, j’ai cru qu’elle m’appelait pour me rendre compte une fois de plus qu’elle s’adressait à des végétaux. Cela m’amusait, c’était sa marque de commerce.
Vingt jours avant son décès, je rêvai que je venais de mettre au monde des jumeaux, garçon et fille. Je me précipitai sur le garçon car je reconnus dans ses yeux ceux de mon défunt grand-père. Je le pris dans mes bras et je sus que sous les traits du bébé se cachait mon grand-père car des cataractes recouvraient ses yeux bleus pétillants. Les yeux de mon grand-père me demandèrent de parler à ma grand-mère. Je lui tendis donc le bébé. Elle le prit dans ses bras et ils communiquèrent. Il avait besoin de lui dire qu’il viendrait bientôt la chercher.
Quelques instants plus tard, le ciel s’ouvrit sur une dimension qui se superposait à la nôtre, laissant entrevoir un grand escalier où des adultes montaient tranquillement.
Soudainement, j’aperçus mon Thomas enjoué se faufiler entre les jambes des adultes qui montaient pour descendre en trombe les marches et venir, tout souriant, se jeter dans mes bras. Je savourai ce moment car je savais qu’il ne durerait pas. Je connaissais la raison pour laquelle il était là. Je le serrai dans mes bras, l’embrassai, laissai mon homme le serrer à son tour puis Thomas nous regarda une dernière fois avant de nous saluer et de remonter avec ma grand-mère. Le ciel se referma ensuite sur eux et l'escalier disparut.
Je sus en me réveillant qu’elle n’en avait plus pour longtemps.
C’est ainsi que je perçois la mort à présent. Comme ce grand escalier superposé à notre réalité d'où les au revoirs se prononcent.
11 commentaires:
Mes larmes mouillent le clavier...
C'est si triste et si beau à la fois...
Belle, bonne et merveilleuse grande Dame dont la plume va droit dans le coeur xxx
ouf...ici aussi des larmes coulent.. Quel beau texte...
Quel beau témoignage d'Amour!!!!
C'est un très joli texte, qui me touche particulièrement car je viens de perdre ma dernière grand-mère il y a un peu plus d'un mois.
Un mois avant le décès de ma grand-mère, mon père avait fait un rêve où il voyait ses parents (tous deux décédés) préparer une chambre et ranger leur maison. Ils parlaient de Mauricette, qu'ils allaient accueillir bientôt, il fallait que tout soit prêt... J'aime à croire qu'ils l'ont correctement accueillis et qu'ils sont bien là-bas, qu'ils ne souffrent plus...
C'est terrible, je n'arrive même pas à trouver les mots pour finir ce commentaire !
Très beau texte ma chérie qui rend bien hommage à ta grand-mère. Oui, elle était tout ça et un peu plus.
Quand j'y pense c'est toujours avec une grande tendresse et le coeur serré. Elle était une oreille attentive, ouverte à tout. Elle était discrète, évitait les commérages et savait toujours apprécier chaque petite délicatesse, c'était une belle âme et elle savait toujours nous faire rire.
Oui, les larmes. Chaudes.
Quel beau témoignage et expériences enrichissantes tu as vécu en compagnie de ta grand-mère! Que de souvenirs ensoleillés, çà sent le bonheur!
Quel beau texte ma belle.
Virginie
xx
Bonjour, je ne vous connais pas; Aïleen m'a guidé vers vous, suite à la rédaction d'un petit texte similaire sur mon blog http://showlavie.blogspot.com/
J'ajoute ma patine sur les "très beau texte" précédents. VOus avez de nouveaux adeptes de votre plume, grande dame...
Voilà une cuvée de commentaires soyeux. Toutes, merci.
Virginie, heureuse de savoir que tu me lis toujours.
Thibault, je suis toujours touchée de lire de nouveaux blogueurs. J'irai zieuter par chez-vous.
Aileen, je vous offre mes sympathies pour votre grand-mère. Les reves nous parlent, il m'arrive d'en avoir le souffle couper lorsque je réalise que j'avais pressenti qu'une situation allait arriver.
You write very well.
Publier un commentaire