mercredi, février 28, 2007

La chambre vide

Elle n'est pas si vide, en fait. Elle est le foyer des souvenirs du sommeil de Thomas. Celle où, chaque soir, j'allais le border après qu'il ait déposé sa tête sur mon épaule et que j'aie pris une bouffée de son odeur avant de le déposer dans son lit. Elle est celle où son papa, fier de son aîné, allait l'embrasser, le regarder dormir et lui murmurer tendrement: "Bonne nuit mon beau Trésor d'Amour".

Elle est aussi, hélas, celle où j'ai tant crié ce fameux matin en retournant son corps inanimé et que j'ai vu que la Mort me l'avait pris durant la nuit. Elle est une sorte de sanctuaire auquel on peut encore faire référence en disant: "la chambre de Thomas".

Je peux questionner "qui a laissé traîner son linge sale sur le plancher de la chambre de Thomas"? Ou alors "Va voir sur la deuxième tablette de l'armoire de la chambre de Thomas". Banal, direz-vous, mais c'est tellement porteur de sens de simplement avoir la possibilité de nommer.

Le simple fait de pouvoir encore la désigner comme tel est précieux. Sa chambre est le vestige physique de sa vie dans notre maison. Peu avant que Thomas ne meurt, cette chambre était destinée à être celle de Thomas et Frédéric.

Or, nous n'avons jamais déménagé Fred dans cette chambre "après". Besoin de la garder intacte. Besoin qu'elle soit encore imprégnée de l'essence de Thomas. Besoin de pouvoir encore dire "la chambre de Thomas", même si on savait qu'il n'y reviendrait plus.

Le problème à présent, c'est que nous sommes à l'étroit ici en choisissant de préserver ce lieu sacré. Il faudra, un jour ou l'autre, la réaménager pour la petite peste de dix-sept mois qui grandit et qu'on garde toujours près de nous.

"La chambre de Thomas". Choisir de dire désormais: "La chambre de Frédéric" annihile toute trace physique de Thomas dans la maison.

Dans les écrits sur le deuil, on dit que pour s'aider à bien surmonter le décès d'un proche, il faut s'armer de symboles. Pour nous, la chambre de Thomas est un symbole de premier ordre. Les enfants peuvent y circuler, y jouer. Nous allons parfois y réfléchir, nous y recueillir. Elle est accessible. Une autre école de pensée dirait que de préserver trop longuement la chambre est signe de déni.

Il règne ici un grand respect naturel de ce qui est lié à Thomas. Je fus surprise, un jour, d'entendre mon Petit Caractère, qui avait à peine cinq ans, avertir l'ami d'un de ses frères: "Ce casse-tête, si tu y touches, tu lui fais très attention; c'était le casse-tête de Thomas, mon petit frère qui est mort". Les autres ont eu le même réflexe de préservation de ce que Thomas avait aimé, touché, apprécié.

Ma Douceur, l'été dernier, avait pris l'habitude de cueillir des fleurs dans mes plates-bandes et d'aller les déposer respectueusement dans le lit de Thomas.

Ce lieu, c'est un repère affectif pour nous tous.

On préfèrerait cent fois faire agrandir la maison d'un autre côté (Ciel! Lequel??) pour préserver cette zone symbolique que de devoir la défaire.

"La chambre de Thomas"...

J'aime tellement ce prénom à présent inexploité! Nous avions mis deux jours après sa naissance à le trouver. Je ne prononce plus de "Thomas" à l'endroit de mon fils et même si je sais pertinemment qu'il ne reviendra plus, j'ai besoin de perpétuer ce prénom de façon tangible.

Ainsi, cet été, je pourrai recommencer à dire "l'arbre de Thomas" en désignant cet Olivier de Bohème qu'une précieuse amie nous a offert.

Je pourrai aussi dire "la clématite de Thomas" pour désigner cette clématite blanche qui j'espère, fleurira sur le treillis à la base de la fenêtre de sa chambre.

Sur cette note très gaie, je file travailler à l'extérieur! Il fait si beau dehors, ça sent le printemps!

lundi, février 26, 2007

Préoccupations de gars

Ma Douceur de sept ans s’inquiétait récemment de ne pas trouver d’amoureuse lorsqu’il serait plus grand. Ce soir, c’est au tour des deux grands d’envisager leur avenir.

Fils Aîné s’apprête à se passer la soie dentaire tandis que Grand Charme vient d’embarquer au bain...

Fils Aîné, enroulant soigneusement le fil autour de ses doigts –Est-ce que t’as hâte d’être adulte?

Grand Charme, rêveur et enthousiaste –Oooh, ouiiii! J’ai hâte d’être adulte parce que je vais avoir des enfants et que les enfants, c’est ce qu’il y a de plus merveilleux! Je vais pouvoir jouer avec eux, les emmener à la Ronde pour essayer les nouveaux manèges...

Fils Aîné, tentant de réveiller son frère sur le calvaire qui les attend –Mheuuuin! Moi j’ai pas hâte! Quand on va être adultes, il va falloir qu’on fasse des impôts, c’est super compliqué ça!

Grand Charme, soucieux de l’éducation future de sa progéniture –…Je vais emmener mes enfants à toutes sortes d’endroits intéressants, je les aurai partout avec moi. Je veux les gâter, mais je vais faire attention pour ne pas les gâter trop. Je ne voudrais pas qu’ils deviennent des idiots imbéciles gâtés qui n’apprécient rien! (tiens donc!)

Fils Aîné, également méfiant du type d’enfant que son frère redoute –Wein…Notre cousin Samuel, lui, il est full gâté pis lui nous prend pour des imbéciles avec ses échanges pas équitables!

Grand Charme, relativisant –Ouin…mais je l’aime quand même…

***

Je souris à écouter les discussions saisies au vol sur leur perception du monde, de l’éducation, de la vie…

Fils Aîné a affirmé avec une autorité étonnante il y a quelques années que lorsque ses enfants ne termineraient pas leur assiette, il serait impitoyable et ce serait « Pas de dessert! » et pas d'appel possible.

Et si ses enfants utilisaient les astuces de leur père et tentaient de minauder autour de lui comme il sait si bien le faire pour avoir, humm…mon si beau papaaaa, juste un petit morceauuu?

Je souris à l'idée d’observer ses méthodes dans quelques années…Comme nos parents doivent se marrer en nous regardant faire aujourd’hui!

Je surprends ma mère à sourire parfois devant les répliques de mes enfants. Je sais alors exactement à quelle tranche de ma propre enfance elle songe. Référence silencieuse.

Idem avec la femme de mon père. Comme j’ai été sournoisement baveuse envers elle parfois, je m'en confesse honteusement! Elle savait bien me le rendre et nous marquions chacunes de très peu nobles points intérieurs.

Je me souviens de ce livre que j’avais volontairement laissé traîner pour les faire réagir elle et mon père : « Comprendre ses parents »…et mon père, furieux, avait mordu à l’appât. J’étais victorieuse malgré ma nonchalance apparente. Par le simple titre du livre, je pouvais aisément démontrer ma bonne foi à approfondir la psychologie du parent…Pfff! Brave petite garce de seize ans!

Aurais-je cru que je deviendrais si proche de cette femme, ma complice privilégiée de porto et chocolat?

***

Ces temps-ci, j’exerce ma patience avec Fils Aîné et son poste de radio qui me gruge royalement les nerfs.

Dire que j’ai déjà écouté les mêmes niaiseries et que ça me faisait autant rire. J’ai harcelé mes parents pour qu’ils changent leur musique plate à la radio, persuadée que ma musique valait mieux que la leur. J’ai obstiné et rouspété sur tout, persuadée que du haut de mes 13-14-15-16-17 ans, je possédais l’ultime vérité et que mes parents ne comprenaient dont rien à la vie! Personne n'aurait pu me convaincre du contraire.

Je trouvais bien modeste Aznavour quand il chantait ses vingt ans

jeudi, février 22, 2007

Réflexion scatologique matinale



Je profitai de mes réflexions scatologiques ce matin pour relire la classique théorie Freudienne sur le stade anal.

Comme la plupart des parents ayant goûté (!) à toutes sortes de manifestations de cette inévitable phase chez ses jeunes enfants, je croyais mon inventaire suffisamment diversifié pour pouvoir arracher les dernières vierges pages du livre d'"expériences".

Vous savez....des fèces que l'on ramasse sur les barreaux du lit de bébé en sortant de la chambre à toute allure pour prendre une grande respiration , des bambins qui vont se cacher dans un garde-robe ou dans un coin tranquille pour apprécier le plaisir solitaire de la défécation (et qui finissent par nous faire sourire par ces rituels qu'ils ont adapté à leur petite personne avec des variantes qui leurs sont propres), des jeunes enfants fiers de leurs excréments qui ont une drôle de forme ou une taille impressionnante, du bambin pourtant propre qui exige la couche pour certains besoins particuliers pour le simple plaisir de choisir lui-même l'endroit où relâcher ses sphincters, du bambin qui étire le plaisir de la rétention trop longtemps et qui finit par faire dans sa culotte...le plaisir anal sous toutes ses formes!

Il y a deux ans, alors que nous étions forts intrigués par des gouttelettes d'eau récurrentes sur la lunette de la toilette, j'osai enfin la très imprévisible question: "Coup donc les gars! Voulez-vous bien me dire pourquoi il y a toujours de l'eau sur la lunette de la toilette!?"

C'est Petit Caractère qui, du haut de ses trois ans et demi et de son ingénuité, me répondit: "C'est moi qui mets toujours de l'eau sur le couvercle, maman."

Devant mon incompréhension, il précisa: "Ben, c'est parce que, quand j'ai fini de flatter mon caca, mes mains sont mouillées et les gouttes d'eau tombent sur le couvercle."

Grande-Dame, ahurie :"Quand tu as FINI de FLATTER ton CACA?"

Petit Caractère -Mais oui! C'est parce que quand j'ai fini de faire caca, je le flatte toujours après pour voir si il est doux!

Grande-Dame -(!!!)

Il y a toujours, toujours place à l'innovation dans le pragmatisme de la chose, même pour des théories qui datent.

À chacun ses expériences.

Voilà ce que je me suis répété calmement ce matin en voyant arriver dans le bureau mon fils de 17 mois étreignant tendrement sa dernière couche odorante. Retourné expressément dans la poubelle chercher cette "extension de lui-même" pour la serrer contre son coeur et y coller tendrement la joue dans une touchante étreinte scatologique, je ne pus que m'émouvoir devant l'affection naturelle qu'il portait au fruit de son péristaltisme.

Le narcissisme dépeint par ce tableau me fit affirmer, telle une confidence faite à moi-même, que cet enfant est indéniablement "le fils à son père".

mardi, février 20, 2007

Déprimer en paix

Voilà que tout est en place pour me permettre de déprimer en paix. Mon Grand Homme, contraint par une blonde exécrable et découragée (question de garnir la vie d'une agréable diversité), a fait ce qu'il fallait pour s'assurer de mes bonnes grâces : bougies, silence, doux Tia Maria et porte du bureau fermée.

Cette dernière semaine, j'ai surfé sur un regain d'énergie exceptionnel. Vous savez, cette stimulation subite qui rend tout plus facile parce que quelque chose de bien nous attend dans pas long, ce dernier élan qu'on est heureux de se donner parce qu'un élément motivateur nous tire par en avant?

Dans mon cas, cet élément motivateur, c'était bien sûre cette île au dictateur mourrant, ce sable blanc dans lequel j'aurais pu marcher longuement, cette eau turquoise à des centaines de kilomètres de chez moi, ce dépaysement total, cette absence de responsabilité. Le vide imposé joliment dans ma folle tête.

Persuadée qu'il se présentait enfin à moi une opportunité que j'avais la latitude et la volonté nécessaires pour saisir, c'est tout le quotidien qui me semblait allégé. Il se passait ENFIN quelque chose d'EXCITANT dans MA VIE! Quelque chose pour me réénergiser pour mieux poursuivre ensuite. Une trêve dans ma dense existence.

Eh bien voilà que je suis tombée de ma rose utopie. Il n'y a plus même de place pour l'espoir: ma demande de certificat de naissance, même en accéléré, ne pourra être traitée à temps. Mon frère finalise les derniers préparatifs ce soir, et ce sera sans moi.

Ma déception rend vraiment cette journée (au préalable de travers) doublement déprimante.

Après le repas, je me suis enfermée dans une pièce sombre pour cuver ma déprime en paix. Ma Douceur de sept ans est partie à ma recherche, puis voilà Petit Caractère qui s'est joint à nous. À travers l'obscurité, il m'a lancé, en me caressant le genou: "Pourquoi tu es ici? Hm, maman?"

Grande-Dame (soupir) -(...)

Douceur, désinvolte et affirmatif -Elle est triste. C'est parce que Thomas est mort.

Étonnée, je relèvai la tête: "Ça n'a rien à voir mon Lou. Je suis déprimée, c'est tout."

***

Le commentaire de ma Douceur m'a fait réaliser que depuis la mort de Thomas, il ne m'est plus permis de déprimer gratuitement, comme mes pairs vierges de deuil, aux yeux de mes enfants. Si je suis pensive, silencieuse, triste ou découragée, mes mousquetaires attribuent naturellement mes états d'âme au décès de leur frère (il faut dire que j'ai aussi cette naïve, magique et perverse pensée que peu importe la raison de mes soucis, tous les pépins du quotidien deviendraient inexistants si Thomas était encore parmi nous, comme si aucun tracas n'avait existé de son vivant).

Il y a quelques mois, après une soirée vraiment moche ou je finis par m'effondrer en larmes dans la salle de bain, Petit Caractère était venu doucement vers moi : "T'as de la peine parce que Thomas est mort? Hein maman? C'est pour ça que tu pleures?"

Grand-Homme lui avait alors fait signe que non et lui avait demandé gentiment de nous laisser. Il avait tout de même osé, avant de sortir, une autre question qui m'avait fait sourire à travers mes larmes: "Est-ce que tu pleures parce que quelqu'un t'as dit que tu étais pas belle? Hein maman? Est-ce quelqu'un t'as dit que tu étais très laide?" (les insultes sur une éventuelle laideur familiale sont toujours un souci majeur chez lui)

Grand-Homme, après l'avoir rassuré sur la perception d'autrui à l'égard de ma Divine Beauté, l'avait fait sortir.

Depuis que mes garçons ont vécu de près l'apogée de ma Très Grande Douleur, il semble que toute leur perception du chagrin maternel soit à présent biaisée. J'ai beau les informer les soirs où je n'ai aucune patience, leur expliquer que j'ai eu une vilaine journée, que je suis stressée pour une raison X (ou K ou M), leur premier réflexe empathique est toujours de valider si "c'est à cause de la mort de Thomas". Cela me touche d'une façon particulière. Je tente de comprendre leur raisonnement. La mort de Thomas est sans doute, sur l'échelle de leur système personnel de référence à la douleur, le point culminant de la souffrance et ils évaluent, au besoin, à leur façon, où leur mère se situe par rapport à ce point.

Petit Caractère, jusqu'à récemment, heureux de me fournir des symboles sur lesquels épancher ma douleur future, m'appportait des bricolages et des dessins en insistant sur le fait que c'était "pour que je me souvienne de lui quand il serait mort" (il me voit parfois m'émouvoir devant certains souvenirs de Thomas).

J'avais beau lui assurer qu'il ne mourrait pas, il n'avait que son haussement d'épaule à m'offrir avec un sourire sincère, comme si lui avait déjà accepté son départ imminent et me répondait candidement: "Mais oui maman, je vais mourir".

-Non, tu ne mourras pas bientôt. Ce n'est pas parce que Thomas est mort que tu vas mourir toi aussi!

-Mais oui maman, je vais mourir! me répondait-il, détaché, au-dessus de mon ignorance de mère.

-NON tu ne MOURRAS PAS. Tu vas vieillir et tu deviendras dans très longtemps un gentil grand-père.

-Je ne vais pas mourir? (étonné) Ah....

Puis insouciant, il repartait jouer....jusqu'au prochain bricolage allant assurer la pérénnité de son souvenir dans mon coeur.

***

En déprimant majestueusement ce soir auprès de mon précieux Grand Homme souillé de ma vilaine déprime, j'entendis Petit Caractère crier de son lit: "Graaaand-Homme, pourquoiiii mamaaaan pleuuure?"

Perplexe, Grand-Homme me regarda, puis lui répondit -Ça va Petit Caractère, elle ne pleure pas (voir si je pleurerais, moi, pfff!). C'est juste que maman est un peu...(regard vers moi pour valider le terme à utiliser) "mélangée"....??

Petit Caractère -Pourquoiiii?

Grand Homme, conscient d'être sur un terrain glissant -Oh...Ça...ça mériterait une discussion juste entre nous deux...une discussion spéciale sur les femmes. Quand tu seras un peu plus vieux. Disons juste que chaque mois, il y a une période où les femmes deviennent vraiment vraiment compliquées...et que...maman n'y échappe pas...

Petit Caractère -Maiiis est-ce qu'elle vaaa bientôôôt se calmer??

Grand-Homme, espérant très fort ce moment évoqué -Ne t'inquiète pas. Dors, maintenant.

***

dimanche, février 18, 2007

Minorité visible

Les évènements et moi

J'oublie de noter les dates importantes concernant les enfants. Mes livres de bébés avec premier mot, première bouffe, premières dents, premier guili-guili, premier goulou-goulou, premier pipi sur le pot et autres sont loin d'être remplis.

À l'inverse, j'ai des dizaines de cahiers à spirales qui racontent leur vie au quotidien, des centaines de pages d'anecdotes attendrissantes, de conversations loufoques ou d'odes à l'amour que je leur porte.

Il n'y a pas de photos avant/après des premières coupes de cheveux, pas de gâteau joliment décoré et une page vide à "mon premier voyage à Walt Disney World".

Je suis incorrigible; un anniversaire sur deux, deux évènements sur trois, j'oublie la caméra et aux baptêmes, je dois souvent faire une halte de dernière minute au dépanneur pour acheter de quoi immortaliser mes rares visites à l'église.

***

Hier après-midi, Fils Aîné et moi avons été apprécier le spectacle Contes et légendes de son idole, Bryan (belle virilité d'ours)Perro.

À mon grand bonheur de mère, il m'a été donné d'observer un phémonène aussi rare qu'exceptionnel: Fils Ainé a sourit. Oui-oui, tout le long de l'excellent spectacle, IL A SOURI. Pas de ces sourires légers qui se dessinent poliment ou timidement à défaut de RESSENTIR plus profondément le plaisir, je parle ici des vrais sourires, ceux qui naissent dans le ventre et qui pourtant nous font mal aux mâchoires, aux joues, ceux qui nous font nous sentir divinement VIVANTS.

Il a même RI. Discrètement, du coin de l'oeil, je me suis délecté des images de mon féru de légendes fantastiques et de mythologie le sourire fendu jusqu'aux favoris naissants durant UNE HEURE ET DEMIE. Plus d'une fois, j'ai observé à ma droite, oubliant quelques instants mon propre amusement pour apprécier le sien.

Et puis, en voyant tous les flashs de caméra autour de moi, j'ai réalisé que j'avais ENCORE oublié la caméra. Merde! Dire que j'aurais pu immortaliser ces moments!

Entendre rire de bon coeur son jeune adolescent et s'émouvoir de réaliser que sa capacité si peu exploitée existe encore, quel soulagement, quel bonheur!

Je suis toujours émue d'entendre des gens rire. C'est si succulent le rire, ça donne illico envie d'en être contaminé.

Je me rends bien compte qu'en dépit de nos précieux moments de niaiseries amoureuses, de mon attendrissement devant les folies de mes enfants, de mes agréables moments entre copines, mes rires ne sont plus aussi intensément profonds depuis onze mois et demi. Un peu comme s'il y avait toujours des racoins que l'ivresse du rire n'arrivait pas à atteindre pour être habité entièrement par l'infini bonheur du moment présent.

Le rire, pourtant si libérateur, offre parfois un arrière-goût. Au début, cet arrière-goût, c'était la culpabilité d'avoir encore cette capacité alors que j'étais affligée d'une insupportable douleur qui, même en riant sincèrement, demeurait présente en permanence dans mon esprit.

Finalement, mon fils bête, assurant habituellement toute retenue d'expression joyeuse, mon fils qui plus souvent qu'autrement critique est un peu l'incarnation physique de ce que je suis en-dedans depuis presque un an: mièvre, lourde, sans couleurs.

De voir rire avec tant de légèreté cette partie de moi-même m'a réchauffé le coeur de la même manière que si j'avais retrouvé entièrement ma propre capacité de m'amuser.

jeudi, février 15, 2007

En cherchant mon certificat de naissance (en vain)

J'ai trouvé:

-Le certificat de naissance de Thomas (un simple bout de papier officiel porteur de tout l'espoir de vie qui naît avec un enfant);

-Des photos de son baptême, dont une ou je l'embrasse tendrement (elles sont tellement rares!) et une de son gros gâteau divinement décoré sur lequel Mamie avait soigneusement écrit *Bienvenue Thomas*;

-Un petit pot de crème topique prescrit au nom de Thomas.


Mais niet en ce qui concerne mon certificat. Je suis désespérée. Pas de certificat de naissance, pas de plage cubaine.

PS. Grand-Homme, j'ignore comment tu réussis a tolérer l'absence d'accents sur ce fichu clavier. Je viendrai mettre des accents plus tard!

mercredi, février 14, 2007

Mon lit parfumé

C'est vers une heure et demi du matin que je me fis réveiller par la voix lancinante d'un Grand-Charme plié en deux: "Maman, j'ai mal au ventre. Et au coeur, aussi."

Ma conscience de mère me dicta de lui balbutier quelques mots rassurants avant de me blottir contre mon amoureux et de me rendormir.

Grand-Charme se glissa naturellement près de moi.

Quelques instants plus tard, de puissants spasmes ressentis dans mon dos m'alertèrent et je m'écrasai contre le dos de mon homme en soulevant la tête juste à temps, j'allais le savoir plus tard.

"Grand-Charme!? Vas-tu vomir?"

Grand-Charme, faiblement -C'est déjà fait.

Grand Homme alluma tandis que fiston prit la direction de la salle de bain.

Je me retournai et soupirai en constatant ce auquel ma tête, mon cou et mon épaule venaient d'échapper. "Ciel, c'est une chance que cette Chose-là ne me soit pas tombée sur la tête!" me dis-je en empruntant les sages paroles de
la petite taupe.

Je bénis mes salvateurs réflexes.

C'était la première fois qu'il m'était donné de voir un vomi aussi compact. Fort odorante, la chose ne faisait pas dix centimètres de diamètre et était érigée en une structure complexe faisant trois centimètres de haut. Quoiqu'il en soit, en deux coups d'essui-tout, la chose étant solide, tout fut ramassé.

Après avoir nettoyé les vestiges de vomi dans la salle de bain et apporté un bol dans le chambre de Grand-Charme, je pus me recoucher dans mon lit parfumé sur la serviette que mon homme avait pris soin de m'apporter.

Quelques minutes plus tard, nouveaux spasmes. Appel à mon devoir de mère. J'allai m'asseoir sur le bord du lit de mon fils en le regardant vomir. "C'est pas l'fun de vomir, hein maman?" , commenta-t-il en s'essuyant la bouche.

Je m'émeus de la pertinence de son commentaire: "Non. Je compatis. Je comprends comment tu te sens. J'ai tellement été malade à chacune de mes grossesses. Je suis malgré moi une spécialiste des nausées et des vomissements."

Une fois calmé par mes paroles apaisantes de mère d'expérience, mon cher fils se recoucha. Avec plaisir, je retournai dans mon lit parfumé.

Quelques instants plus tard, je l'entendis gémir à nouveau. En mère bienveillante que je suis, je retournai m'asseoir à ses côtés pour l'accompagner durant l'agonie de son estomac.

Grand-Charme -En tout cas, moi maman...(vomissements)...j'espère ne jamais me réincarner... (vomissements)...en femme.

Il se plaignit d'une insoutenable douleur au diaphragme. Je lui expliquai que son estomac avait dû travailler très dur pour sortir un vomi solide aussi spectaculaire.

Je pus enfin retourner me coucher. Dans mon lit parfumé. Mon tendre amour ne dormait pas.

Nous suppliâmes tous les deux qu'il ne s'agisse pas d'une gastro anéantissant toute possibilité d'activité familiale autre que celle de ramasser du vomi.

Des pas se firent entendre en haut. Suivis de vomissements dans la toilette. Grand-Homme et moi nous regardâmes.

Grand-Homme -Il vomit encore.

Grande-Dame, douteuse -Je ne l'ai pas pourtant entendu monter...

Les pas se dirigèrent lentement vers notre chambre. Je sursautai en entendant une autre voix que celle de Grand-Charme: "Maman, j'ai vomi dans mon lit, sur le plancher et dans la toilette", me lança lamentablement ma Douceur de sept ans.

Je regardai l'heure. Deux heures quinze. Merde. Et mon précieux et trop rare sommeil? Au moins, Bébé avait eu la décence de ne pas se réveiller cette nuit...du moins, pas encore.

Péniblement, je sortis du lit et aller ramasser le dégât des draps. Puis celui du plancher, pour lequel je demeurai impitoyable envers les craques de bois souillées qui le resteraient pour la nuit.

J'installai mon petit homme sur le divan et retournai ENFIN au lit en décrétant à mon homme que la prochaine fois, je lui déléguais le rôle ingrat.

Grand-Homme, ardent défenseur du budget familial et heureux de saisir l'occasion de me renoter notre sujet de discorde du souper -Je t'avais pourtant dit qu'on n'aurait pas dû leur donner de filet mign...

Grande-Dame, martelant sur l'argument utilisé plus tôt en soirée -I-l É-T-A-I-T E-N S-P-É-C-I-A-L.

Grand-Homme, impitoyablement baveux -C'est ça. Et vois comme ils sont reconnaissants. Tu les nourris au filet mignon et ils le vomissent dans ton lit...

Grande-Dame, en louve protégeant l'honneur de ses petits -Ils ont simplement mangé trop de gommes à mâcher au cinéma. Rien à voir avec les filets mignons...

Grand-Homme -Pourquoi leur faire manger du filet mignon quand ils ne savent même pas apprécier la différence entre des boulettes de viande hachée et de la viande de qualit...

Grande-Dame, intraitable -En S-P-É-C-I-A-L.

De nouveaux gémissements de source inconnue se firent entendre. Grand-Homme se leva, repéra la source et alla réconforter un Grand-Charme terriblement inquiet de son pitoyable état physique.

Au bout de quelques minutes, il revint se coucher. Avant de se relever une autre fois. Et à partir de là, je n'ai plus compté.

Tout ce branle-bas de combat m'ayant ouvert l'appétit, je n'osai aller à la cuisine me mettre quelque chose sous la dent. J'attendis. Soucieuse d'optimiser mes déplacements, j'espérai qu'un quelconque spasme m'incite à me sortir du lit, me permettant de prendre au passage de quoi me faire tenir jusqu'au matin.

La considération à mon égard étant un concept assez flou ici, personne ne daigna me permettre de rentabiliser mes déplacements et misérable, je m'endormis le ventre creux. Dans mon lit parfumé.

***

5h. Bébé se réveilla.

6h. Fils aîné vint m'embrasser avant de m'informer que Douceur vomissait dans la toilette. "J'ai comparé le contenu des bols de Douceur et de Grand-Charme. Le vomi est de la même couleur. Je suis sûr qu'ils ont vomi la même chose".

Merci du tuyau.

***

Douceur, recroquevillé dans une serviette sur le plancher de la salle de bain depuis 7h ce matin et se relevant à intervalles réguliers pour vomir: (faiblement)"Maman, c'est triste hein, malade le jour de la St-Valentin? En plus, c'est la fête de l'Amour!"

mardi, février 13, 2007

Succulent bouillon de têtes humaines

Vous qui me connaissez très peu ignorez que j'éprouve une fascination sans bornes pour la morbidité. Il s'agit d'une sorte de soif visant à comprendre à fond certains phénomènes physiques repoussants et devant lesquels la plupart de mes dignes confrères humains se poussent en courant pour aller vomir leur dégoût un peu plus loin. Je ressens, certes, aussi ces nausées, mais ma curiosité l'emporte sur mes hauts-le-coeur et encourage l'approfondissement de mes réflexions.

Lors de ma lecture quotidienne dans mon bain, je suis tombée sur ce passage d'Histoire de ma vie I, de George Sand, dans lequel elle raconte l'influence qu'a eu sur sa vie François Deschartres, son précepteur, un être aussi attachant que controversé qui était également abbé, enseignant, passionné de médecine, chirurgie, de physique et de chimie.

Je me suis délectée de ce passage, que je vous partage:

"Sous la Terreur, bien qu'assidu à veiller sur mon père et sur les intérêts de ma grand-mère, il paraît que sa passion le poussait encore de temps en temps vers les salles d'hôpitaux et les amphithéâtres de dissection.

Il y avait bien assez de drames sanglants de par le monde en ce temps-là, mais l'amour de la science l'empêchait de faire beaucoup de réflexions philosophiques sur les têtes que la guillotine envoyait aux carabins.

Un jour, cependant il eut une petite émotion qui le dérangea fort de ses observations. Quelques têtes humaines venaient d'être jetées sur une table de laboratoire, avec ce mot d'un élève qui en prenait assez bien son parti: Fraîchement coupées! On préparait une affreuse chaudière où ces têtes devaient bouillir pour être dépouillées et disséquées ensuite.

Deschartres prenait les têtes une à une et allait les y plonger: "C'est la tête d'un curé, dit l'élève en lui passant la dernière, elle est tonsurée."

Deschartres la regarde et reconnaît celle d'un de ses amis qu'il n'avait pas vu depuis quinze jours et qu'il ne savait pas dans les prisons. C'est lui qui m'a raconté cette horrible aventure. "Je ne dis pas un mot; je regardais cette pauvre tête en cheveux blancs. Elle était calme et belle encore, elle avait l'air de me sourire. J'attendis que l'élève eût le dos tourné pour lui donner un baiser sur le front. Puis je la mis dans la chaudière comme les autres et je la disséquai pour moi. Je l'ai gardée quelque temps, mais il vint un moment où cette relique devenait trop dangereuse. Je l'enterrai dans un coin du jardin. Cette rencontre me fit tant de mal que je fus bien longtemps sans pouvoir m'occuper de la science."


N'est-ce pas divinement raconté? Brrr!

Plus je la lis, plus je suis avide et pleine de respect devant la vie cette fascinante grande dame!

***

Dans un autre ordre d'idée, on m'a dit qu'il était complexe et fastidieux de poster sur mon blog. Du haut de mon illustre incompétence en programmation web, j'ose demander à quiconque saurait résoudre mon problème de m'envoyer un gentil hint par email à l'adresse suivante: barbeverte@videotron.ca .

Merci! :-)

jeudi, février 08, 2007

Gesticulation féline

Certains soirs bénis, la réceptivité et l'ouverture impromptues de votre jeune adolescent vous donnent particulièrement envie de vous rapprocher de lui.

C'est alors que vous en profitez pour vous immiscer doucement dans son univers et qu'il ne vous repousse pas. Naturellement, vous vous étendez sur le grand lit et il fait de même face à vous. La discussion est fluide et naturelle. Le (feu) chat, heureux du potentiel d'affection à sa portée, vient s'installer entre vous et se met à ronronner.

Votre aîné gratouille le ventre de l'animal qui se tortille de bonheur tandis que la discussion mère-fils se poursuit, vous donnant la satisfaisante impression de n'être pas, pour une fois, indisponible et toujours occupée. Vous le caressez aussi. Zattara est aux anges.

Votre aîné étant de nature plutôt introvertie, vous appréciez les moments où il se permet des presque confidences sur différents sujets.

Jugeant soudainement opportun d'interrompre ses caresses, votre jeune garçon embarrassé retire sa main du ventre du chat. Vous sentez le malaise et le questionnez du regard.

Il se justifie aussitôt: "Je pense que je suis mieux d'arrêter (rouge de gêne)...Regarde-le...."

-Oh.

Vous souriez intérieurement en apercevant la tumescence rosée dans le poil gris. Votre fils est déconcerté et regarde partout à l'exception de la zone proscrite par sa conscience.

Ayant déjà vu pire, vous ne jugez pas bon de vous attardez sur si peu. Vous poursuivez donc votre discussion avec lui.

Subitement, ce dernier sursaute et se met à hurler. Vous regardez autour, cherchant la cause de cette soudaine hystérie. Horrifié, il saisit avec dégoût le cabot par le chignon, ouvre sa porte, met un pied dehors, ouvre la porte de chambre de son frère et projette avec conviction l'animal stupéfait sur le lit en ne manquant pas d'alerter la maison entière du fait que "C'est dégueulasse, OUACH, quel sale cochon, je ne veux plus jamais le voir dans ma chambre!".

Il rentre illico dans sa chambre commme on le ferait dans un abri nucléaire à Tchernobyl. Puisqu'on n'est jamais trop prudent, il verrouille.

Son sens dramatique l'emportant sur son bon sens, il continue de hurler que le chat a éjaculé sur lui, que c'est dégueulasse, qu'il a éjaculé sur lui, que c'est monstrueux, que le chat a éjaculé sur lui et que c'est la pire chose dont il ait été victime. Parce que ce n'est vraiment pas jojo de se faire éjaculer dessus. C'est même franchement dégueulasse.

Entre-temps, votre second fils, friand de faits divers puissants et alerté (qui l'eut crut?) par les cris d'épouvante de son aîné, frappe violemment à la porte de la chambre en réclamant des détails croustillants (ou juteux, au goût). Il VEUT savoir.

Vous l'envoyez au bain en guise de réponse et sommez votre aîné de cesser sa crise d'hystérie, lui expliquez que le chat n'a PAS éjaculé sur lui, qu'il a probablement lui-même postillonné en parlant et que sa fertile imagination lui a fait confondre salive et sperme et qu'il n'y a pas lieu d'en faire tout un plat.

Avec découragement, vous le toisez se dévêtir en vitesse pour enlever ce chandail SOUILLÉ de sperme félin en tentant, encore une fois, de le calmer.

Le tenace curieux frappe toujours intensément à la porte en quête d'un savoureux détail sur l'incident qui lui est encore inconnu.

Vous élevez le ton lorsque vous lui répétez de se diriger illico vers la salle de bain.

Quelques instants plus tard, votre jeune ado enfin calmé, vous ressortez de la chambre et vous butez à un curieux pas encore propre qui écoute aux portes.

Vous prenez votre ton indiscutable et l'envoyez direct au bain. Penaud, il s'exécute. Puis s'arrête net au milieu des escaliers: "Maman? Qu'est-ce que ça veut dire "gesticuler"?"

D'un trait, vous lui répondez :"Gesticuler, ça signifie "faire des gestes dans toutes les directions de façon un peu désordonnée"" et vous le suivez au pas pour vous assurer qu'il monte.

-Ah.

Il monte une marche, s'arrête à nouveau, puis se retourne: "Mais maman? Zattara a vraiment "gesticulé" sur Frère aîné?"

-Oh que oui.

Le voilà perplexe. Vous voilà tentant de trouver une explication crédible et rapide. Vous insistez sur le "rapide" :"Zattara s'est mis à "gesticuler" vivement et dans toutes les directions. Ça a beaucoup, beaucoup impressionné Fils aîné. Il ne l'avait jamais vu comme ça."

Il tente d'intégrer tout ça, l'air un peu douteux.

-Allez, file au bain.

Il monte les escaliers. Pour de bon. Fiou. Et bon débarras.

mardi, février 06, 2007

Février

Février me rentre dedans. Pas très joliment, hélas.

C'est le dernier mois entier de Thomas. Nous avons entamé le décompte de son dernier mois de vie.

J'entends les pubs de la Fête des Neiges à la radio et je nous y revois l'an dernier avec les six garçons. Je me revois avec, dans les bras, un chiot de traîneau et Thomas le caressant doucement.

Je revois mes grands faire des sculptures de glace et Thomas se promener de l'un à l'autre en tentant de gosser lui aussi sur des blocs de glace de façon un peu désintéressée, juste pour faire comme ses frères. Ou alors Thomas mangeant son tube en barbouillant de yogourt son manteau.

***

Février, c'est le mois du début de la rédaction de mon plan d'affaires. C'est donc le mois où Thomas est allé plus souvent à la garderie. Et qu'il s'accrochait désespérément à mon cou pour ne pas que je l'y laisse. Et que j'avais le coeur déchiré de le laisser dans un état pareil alors que je devais retourner travailler.

C'est aussi le mois de la halte-garderie, qu'il détestait tant. Avant de partir de la maison, il se tenait sur le tapis d'entrée avec son manteau rouge et bleu, sa tuque et son foulard rouge. Le temps que je finisse de chausser mes bottes, il me demandait candidement: "Amis?"

-Oui mon Amour, tu vas jouer avec des amis aujourd'hui.

Nous roulions jusqu'à la halte. Et il était calme et silencieux...jusqu'au moment où je le déshabillais et qu'il comprenait qu'il devrait VRAIMENT "jouer avec des amis".

C'est alors qu'il se tournait vers moi, s'accrochait à mon cou et se mettait à pleurer de détresse :"Paaaapaaaaaaaaaa...!". Et que mon coeur se fendait (enfin, à ce moment, j'avais l'impression que mon coeur se fendait, mais j'ignorais encore profondément ce que signifiait "se fendre le coeur"). C'était insoutenable de le laisser là, d'autant plus que les éducatrices me confiaient qu'il pleurait durant les deux ou trois heures de sa présence là-bas et que Petit Caractère, qui l'accompagnait, me suppliait de ne plus l'amener à la halte, "parce qu'il pleure tout le temps et que je dois toujours rester près de lui pour le calmer".

Février est donc un mois de culpabilité de lui avoir infligé ces moments qu'il détestait alors que nous aurions pu profiter tendrement des derniers moments de sa vie ensembles.

***

Février, c'est le mois où je pestais contre l'injustice de notre situation: alors que Grand-Homme avait le loisir de pouvoir demeurer enfermé des heures durant dans le bureau sans être dérangé, moi, intensément stressée par mon étude de marché et la quantité monstre de boulot à abattre, je ne pouvais demeurer dix minutes dans le bureau sans me faire réclamer.

C'est encore le cas aujourd'hui: si je suis disponible, personne ne remarque ma présence. Il suffit que je sois occupée pour que subitement, tout le monde remarque mon absence d'esprit. L'an dernier, ce "tout le monde" désignait principalement Thomas, qui n'était alors à la garderie qu'à temps partiel.

Lorsque à la maison, Grand-Homme était incapable de tenir Thomas loin du bureau, le petit fugitif réussissant toujours à se faufiler pour venir m'importuner dans mes élans de concentration.

Lors de mes moments d'inspiration rédactionnelle, je finissais toujours par entendre Thomas s'approcher du bureau en répétant, coquin : "Maman.....allo Mamaaan...coucou mamaaan, allo, allo-allo mamaaaan, coucouuuuu!"

Exaspérée en dépit de son indéniable mignonneté, je le retournais cruellement à son père. J'entendais alors mon petit homme pleurer de mon rejet...jusqu'à ce qu'il redescende me chanter la pomme avec ses "coucouuuu mamaaan, coucouuu!!".

Un après-midi, je n'en pouvais plus de me faire déranger. Après avoir livré le petit garçon à son papa pour une énième fois, je redescendis dans le bureau et éteignis toutes les lumières, anticipant qu'il n'oserait s'aventurer dans l'obscurité et remonterait donc vaquer à d'autres occupations une fois pour toutes.

Quelle ne fut pas ma surprise de l'entendre avancer lentement dans la noirceur, contournant chaque obstacle pour arriver jusqu'à sa maman sans se laisser berner. J'avais réussi à garder un calme impeccable, à ignorer sa présence pour lui faire croire à mon absence.

Toutefois, devant mon petit garçon qui venait de se heurter à un obstacle et qui pleurait à deux mètres de moi dans l'obscurité en m'appelant désespérément, pouvais-je demeurer terrée? Quelle torture émotionnelle!

Je rallumai donc et me dirigeai vers lui pour le prendre dans mes bras. Une fois consolé, je fus à nouveau gavée de "allo mamaaan, coucouuu, couucouuu!"

Je soupirai devant l'envers de la médaille de mon illustre popularité maternelle.

Je lui donnai quelques photos, qu'il prenait toujours plaisir à regarder en nommant les membres de sa famille qu'enthousiaste, il reconnaissait et je gagnais ainsi quelques minutes supplémentaires de rédaction efficace.

Finalement, il devenait moins épuisant de tolérer sa présence que de le retourner dix fois l'heure pour n'avoir au bout du compte que quelques tranches de quatre minutes de pseudo-sacro-sainte paix.

Croyez-bien que je paierais très cher aujourd'hui pour récupérer tous ces moments où il réclamait l'attention que je n'étais pas disposée à lui offrir.

Si j'avais su ce qui me pendait au bout du nez, ce plan d'affaires, ce projet auraient été les derniers de mes soucis. J'aurais profité de chaque minute, chaque possibilité avec mon fils. Je me serais gavée de lui. Uniquement ça. Et je me réjouirais aujourd'hui d'avoir pris ce temps.

***

Février, c'est le mois de mes angoisses pré-mortem de l'an dernier, où je craignais atrocement de perdre un de mes enfants, où je cherchais à les protéger d'un mal inconnu pressenti très fort en les gardant tous près de moi. Aurais-je pensé que ma vigilance ne suffirait pas puisque celui qui allait mourir allait le faire à l'endroit où il aurait dû être le plus en sécurité au monde, dans sa maison, auprès de ses parents?

Fin février, c'est le moment de deux rêves qui allaient s'avérer prémonitoires.

C'est aussi le moment où j'ai impérativement demandé à mon homme de prendre une photo de moi avec mes six garçons pour être certaine d'en avoir au moins une si jamais je perdais l'un d'eux dans les prochains jours.

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Fin février, mon ami Alain était venu régler quelques problèmes avec nos ordis et toute la soirée, Thomas l'avait spontanément appelé "gand-papa!!".

Fin février, c'était aussi notre dernière occasion de voir cette exposition sur la Russie au Musée des civilisations de Québec. Nous avions fait une halte au Valentine de Trois-Rivières où Thomas, chaque fois qu'il voyait entrer dans la place un client âgé de plus de quarante ans, l'accueillait en s'exclamant haut et fort :"Alloooo gaaand-papaaaaa! Allooo gan-mamaaan!!"

Au musée, durant l'exposition, tandis que la guide livrait de l'information sur différents objets exposés ou contextes historiques précis, Thomas placotait et on entendait les gens présents, exaspérés, s'exclamer "chhhut! Chuut!!!" et penser: "Bon Dieu de merde, allez-vous faire taire cet enfant!".

Le petit groupe se déplaçait et chaque fois, le même scénario se répétait...jusqu'au moment où il vit cette dame qui ressemblait (très) vaguement à ma mère et qu'il s'exclama en la regardant :"Allooo gand-mamaan!". La dame, amusée, lui fit un petit signe de la main, mais Thomas persistait et insistait avec ses chaleureuses salutations.

Ne pouvant plus se satisfaire de la courtoisie de la dame, il se libéra de papa et maman pour aller se planter devant elle et attendit qu'elle se décide à le prendre. La dame se trouvait en très mauvaise posture pour pouvoir refuser de donner un peu d'affection à son "petit-fils" jusque là inconnu. Elle le prit donc dans ses bras durant les explications de la guide.

Thomas était figé, mais satisfait. C'était bien dans ces bras qu'il souhaitait être. Le petit groupe se déplaça. Il se reforma un peu plus loin dans une configuration différente. La grand-maman par procuration, qui nous avait rendu notre fils, se trouvait plus loin de nous.

Tentant de renouer avec elle, il s'écria :"Gand-maman! Gand-maaamaaan! Alloooo gand-mamaaan!" et éveilla, encore une fois, les foudres du petit groupe qui espérait bien suivre les explications de la guide.

Le groupe se déplaça encore et encore et Thomas n'avait d'yeux que pour sa nouvelle grand-mère, au grand désespoir des Russomanes. Grand-Homme et moi étions devenus les parents maudits qui ne savent inculquer à leur petit garçon une tenue convenable en public.

Nous le trouvions si mignon avec son affection gratuite pour tous les nouveaux grands-parents qu'il se dénichait!

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Février est un dur, dur mois d'intense nostalgie et de profonds regrets.

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samedi, février 03, 2007

Un cri d'épouvante

Voilà ce qui nous tira de notre sommeil à 4h41 la nuit dernière.

C'est que Fils aîné, jusque là paisiblement endormi auprès de Morphée, venait de se retourner dans son grand lit douillet. Et que, par habitude, il enlaça amoureusement son oreiller. Et surtout que, allongeant naturellement le bras, il venait de tâter la dépouille raide et froide de Gripoil que nous avions glissée sous son oreiller....

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Non mais....

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Allez-vous vraiment croire une histoire pareille?

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Oui?

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Non?

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J'ai un minimum de dignité, quand même!

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Pour tout vous dire, c'est Fils aîné qui a hérité de la lourde tâche de creuser la terre gelée pour enterrer la boîte contenant le petit animal.

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Snif.

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vendredi, février 02, 2007

Taguée

Voilà que je croque l'invitation de Madame Une Telle à vous livrer quelques dignes coquineries (à ne pas répéter à mon psychiatre) à mon sujet.

1. Je suis obsédée par les dictionnaires. Pour contrôler l'ampleur de mes compulsions, il m'en faudrait un dans chaque pièce de la maison (ainsi que dans la voiture) car à tout moment du jour, des mots inconnus viennent se percher dans mon esprit et attendent d'être définis. Ils me torturent allègrement.

Lorsque je ne saisis pas illico de dictionnaire pour me débarrasser de ces mesquines offensives, les mots inconnus demeurent en suspension dans mon esprit, me donnant l'impression d'une ignoble inculture en matière de vocabulaire.

Esclave de mon esprit, je suis alors dans l'obligation de cesser toute activité, de me diriger vers le bureau et de chercher les mots jusque là en liberté, de tenter de les intégrer avant de retourner vaquer à mes occupations en toute quiétude.

Lorsque je n'ai pas de dictionnaire sous la main, je suis misérablement contrainte à écrire les mots inconnus sur de petits bouts de papier ou à tenter de les retenir dans une liste mentale généralement peu fiable. Lorsque je n'ai ni papier, ni crayon, ni dictionnaire, je me sens désespérément démunie. Voilà une vingtaine d'années que je subis ces agressions. Plus je vieillis, plus les mots sont recherchés.

2. Lorsqu'on m'offre quelque chose de sucré, comme du sucre à la crème, des biscuits ou du fudge, je m'impose toujours d'en prendre un nombre de morceaux établi au prorata de mon nombre d'enfant.

Cela me cause de plus en plus d'embarras en public, vous l'imaginez bien, car il me faut de plus en plus assumer de passer pour une goinfre effrontée. Je ne puis me résoudre à ne prendre que trois ou quatre bonbons en sortant des restaurants au risque de me sentir déloyale envers mes plus jeunes enfants (en dépit du fait qu' eux ne voient pas du tout passer les gâteries).

C'est aussi stupide que compulsif, un peu comme les enfants qui s'imposent de ne pas marcher sur les craques de trottoir. Croyez-bien que je me trouve complètement r-i-d-i-c-u-l-e.

3. Prononcez ce mot et je grimace à coup sûr: asticot. Les larves me donnent des frissons d'horreur épouvantables. Pourtant, je persiste à faire des recherche sur le net et à les observer lorsque j'en ai l'occasion pour bien comprendre leur cycle et mode de vie. Attraction/répulsion.

J'ai été fortement perturbée il y a deux étés par cette fameuse grenouille sous mes plants de concombre. Je soulevais le feuillage à la recherche de concombre et, me sentant intensément regardée, je cherchai l'intruse.

Je sursautai lorsque je la vis: une grenouille me fixait, les yeux vides et ne cherchant pas à se sauver. Je mis quelques secondes avant de réaliser qu'elle était morte. Ce qui me mit la larve à l'oreille? Son ventre GROUILLAIT d'asticots noirs et blancs. La masse de larves (environ une cuillère à soupe très très comble) ROULAIT dans la carcasse et les figures de couleurs changaient très rapidement.

C'est que, comme les asticots prennent la couleur de ce qu'ils ingurgitent, les asticots blancs "bousculaient" intensément les noirs afin de se nourrir de la chair de grenouille en putréfaction et les noirs, coquins affamés, s'écriaient "Holà, nous étions là avant!".

4. Il m'arrive parfois de pleurer sur la densité de l'amour que je voue à mon homme. L'amour me touche, me bouleverse. Je réfléchis souvent à son aspect philosophique. Je suis épicurienne et l'amour me chavire, me distrait, m'enivre et m'emballe. Je suis habitée entièrement par l'objet de mon amour.

Tout cela est certes magnifique, mais parfois, tant de densité amoureuse est épuisant et j'aime beaucoup mon sentiment d'indépendance.

5. Enceinte, je suis insupportable. Si je le pouvais, je me sauverais moi-même de moi. Plus j'ai d'enfants, pire est la grossesse suivante. Je me qualifie de veuve noire. L'homme à mes côtés doit être fort et flexible. Il doit 1) se doter d'un bouclier anti-venin, 2) Être disponible, solide et doux lorsque j'ai besoin de réconfort (c'est épuisant de baigner dans son propre venin pendant neuf mois) et 3) M'aimer beaucoup, BEAUCOUP.

Enceinte, je suis imprévisible, susceptible, vulnérable. Et pas juste émotive comme une femme enceinte normale, nenon, moi, je suis ÉPOUVANTABLE. Je suis chiante, je suis impatiente, je suis incohérente à puissance dix.

"Enceinte"...Juste d'y penser et j'en ai des frissons d'exaspération. Je suis un calvaire ambulant. À un point tel que je trouve mon chum suicidaire -et sadique- d'espérer un autre enfant -de moi.

Ma mère m'a déjà confié que je n'avais pas besoin de dépenser d'argent (des fortunes en ce qui me concerne) pour les tests de grossesse; qu'on pouvait palper mes hormones gratis simplement via mon ton. Acerbe. Mordant. Brrr.

Le simple fait de l'évoquer me perturbe. Enceinte et sans dictionnaire alors là, c'est ma folie assurée.

jeudi, février 01, 2007

Un triste matin

J'ai gardé Grand-Charme à la maison ce matin. C'est que, bien malgré lui, il s'enligne pour avoir un aurevoir à faire.

***

Alors que je pressais les mousquetaires pour le départ à l'école, Grand-Charme est arrivé avec Gripoil en me faisant remarquer qu'elle n'était pas comme d'habitude.

Effectivement, elle n'avait plus de tonus, ne criait plus, ne réagissait plus. Lorsqu'elle tentait faiblement de marcher, les pattes d'en arrière ne suivaient plus et c'est tout son corps qui s'affaissait.

J'ai donc été conduire les petits à l'école et autorisé Grand-Charme à rester pour bercer son petit animal. C'était important pour lui de demeurer près d'elle. Les intestins de Gripoil se relâchaient sur son chandail et il n'en tenait pas compte. Il la berçait tendrement en pleurant en silence.

Il a entrepris de coller des petits "Repose en paix", "Je t'aime Gripoil" et cie en forme de coeur sur les murs de sa petite maison.

***

Nous avions acheté Gripoil deux jours avant la mort de Thomas. C'était pour l'anniversaire de Grand-Charme, qui a eu neuf ans le lendemain de la mort de notre petit homme. Un anniversaire qui suit une déchirante journée.

Lorsque j'étais arrivée à la maison avec la petite boîte et que Thomas avait réalisé qu'un petit animal s'y trouvait, il s'était mis à s'exciter, à tourner autour, à transformer son enthousiasme en danse tribale comme n'importe quel petit garçon heureux l'aurait fait.

Petit Caractère avait spontanément nommé l'animal Gripoil et Thomas tournoyait sans arrêt autour de la boîte en s'esclaffant dès que l'animal se pointait le bout du nez. Il avait du mal à contenir son enthousiasme et se raidissait entre deux stepettes pour interpeller le cochon d'Inde "Pooââll, Poââll!!!!"

***

De la salle à manger, où il veille les derniers moments de son animal, Grand-Charme, une lueur d'espoir dans la voix, me lance: "Mamaaan! Je pense que Thomas va être content, il va avoir bientôt son tour avec Gripoil lui aussi!"