lundi, avril 30, 2007

Cognition et futilités

N'est-ce pas que l'on a l'air cultivé dans une discussion lorsqu'on peut aisément citer un philosophe pour expliquer un phénomène de la vie, faire un rapprochement entre les propos discutés et les théories d'un essayiste, détailler le contenu, la date et les incidences de la signature de tel traité, expliquer le fonctionnement complexe de telle machine ou de cet étonnant phénomène météorologique?

Ça ne risque pas de m'arriver. Because le drôle de fonctionnement de ma mémoire à long terme fort sélective.

Je me souviens de façon précise des hommes, des femmes qui m'ont enseignée, de l'intonation de leur voix, pour certains, de leur odeurs (!), des élèves qui étaient assis près de moi en classe, de leurs odeurs (!!), des vêtements que certains portaient, des répliques exactes de discussions que nous avons eues, de tout incident émotif survenu au cours de ma vie.

Je me rappelle d'un tas de numéros inutiles où je ne téléphone qu'une fois l'an, je possède une excellente mémoire des visages, de tel repas partagé avec telles personnes, de ce que nous avons mangé, de ce qu'elles portaient précisément, de leur allure, de leur expression. Peu d'éléments des contextes m'échappent. Bref, je me rappelle de ce qui ne sert à rien ni n'épate personne.

À l'inverse, je n'ai aucune mémoire pour les dates et événements historiques ou pour retenir des statistiques (méfiez-vous de moi, 60% du temps, les statistiques que je livre sont erronées). Pour stimuler ma mémoire et éveiller minimalement la fibre de mon histoire nationale, il faut mettre des sentiments et des émotions autour des dates historiques.

Voyez, avec Le roman de Julie Papineau, par exemple, j'ai intégré à 70% mieux ma leçon d'histoire grâce aux états émotifs qui ont entouré les faits.

Je me suis replongée dans ma documentation sur la psychologie pour comprendre mes particularités cognitives.

Je sais donc maintenant que je possède une fabuleuse mémoire épisodique. Pourquoi je me souviens dix fois mieux d'une information si elle est accompagnée d'une émotion? Parce que les traces mnésiques qui me permettent d'intégrer et de me souvenir d'une information se trouvent enrichies par les références à des émotions précises.

À l'inverse de moi, Grand-Homme, possède une épatante mémoire sémantique. Il est un genre d'encyclopédie sur deux pattes auquel on peut se référer à n'importe quel moment pour débrouiller un concept, retracer une référence historique ou une date.

Voici une illustration pragmatique de mes propos susmentionnés:

Moi, préparant la salade -Je me suis toujours demandé pourquoi on appelait la laitue romaine laitue "romaine".

Grand-Homme, me bullshitant avec un malin plaisir -C'est parce qu'elle est frisée et que Jules César avait les cheveux frisés.

Moi, sérieuse et incrédule -La laitue romaine n'est pas la laitue frisée. Et puis, Jules César n'avait pas les cheveux frisés. Il était plutôt chauve et complexé de sa calvitie. C'est pour ça qu'il portait toujours une couronne de laurier...pour la camoufler.

Grand-Homme, incrédule à son tour -Il n'était ni chauve ni complexé.

Évidemment, nous aurions pu nous obstiner longtemps. Chacun sur notre ordinateur, nous débutâmes donc une recherche pour trouver l'information qui allait appuyer nos propos ou infirmer ceux de l'autre.

Grand-Homme admit humblement que j'avais raison. Ç'aurait dû aller de soi: si l'info recherchée est inutile, je la possède. Non mais, honnêtement, on s'en fout des complexes de Jules César puisque de toute façon, ils ne changent rien au cours de l'histoire!

Un peu plus tard en soirée, nous nous installâmes chacun devant notre ordi pour notre compétition conjugale de mots croisés en ligne.

Grand-Homme termina avant moi, s'approcha pour zieuter où j'en étais dans ma grille. Définition recherchée: homme politique canadien ayant défendu des métis.

Spontanément, je tapai: "R-I-E-L".

Grand-Homme, en enseignant d'histoire fier de son amoureuse -Bravo, tu connais bien ton histoire du Canada!

Grande-Dame -Pas du tout. Je me suis simplement souvenu qu'il y avait une école Louis-Riel sur le boulevard Rosemont.

Grand-Homme, déçu -Ah. (s'ensuivent ici quelques explications -utiles pour mon répertoire de connaissances en histoire-, donc que j'ai nécessairement oubliées)-Il a été pendu.

Grande-Dame -Ah bon?

Grand-Homme, baveux -Oui, oui. Mais au fait, dis-moi, je me suis toujours demandé ce que portait Louis Riel le jour de sa pendaison?

vendredi, avril 27, 2007

Grande-Dame vous parle de sexe


Le sexe n'est-il pas, dans la perception d'un adolescent, une affaire quasi exclusive de jeunes? Genre, "nos parents nous ont conçu dans leur jeune temps, maintenant qu'ils sont vieux, ils sont passés à autre chose"?

Je me souviens très bien qu'adolescente, malgré mon inexpérience en la matière, j'avais la nette impression de détenir toute vérité sur le sexe.

Si ce n'avait été de ces interminables soirées où mon père et sa femme m'empêchaient de faire mes devoirs/écrire/réfléchir/dormir par leur vacarme dans la pièce d'à côté, ma théorie aurait été confirmée. L'absence de pudeur de mon père en matière de sexe me déstabilisait et infirmait mes théories. À seize ans, dix-sept ans, je n'avais aucunement besoin de connaître la nature intime de sa vie sexuelle, qui me hante encore aujourd'hui. Mais ça, c'est une autre histoire.

Dans ma naïveté, je pouvais difficilement concevoir que les adultes de plus de quarante ans faisaient encore l'amour. "À cet âge, on est presque invalide!" qu'ahurie, je me disais.

Puis, j'ai vieilli, repéré mes erreurs de perception, adapté mon jugement et par le fait-même, "autorisé" dorénavant moralement mes aînés à continuer à avoir du fun en dépit de leur âge.

Il y a quelques années, mes anciens collègues m'avaient invités à leur souper de Noël malgré que j'avais quitté l'emploi. Nous étions cinq: deux collègues masculins dans la quarantaine, une collègue d'une cinquantaine d'années, notre doyenne fraîchement retraitée de soixante-cinq ans (que je rencontrais pour la première fois et qui luttait durement contre un cancer) et moi, avec mes vingt-six ans, ma candeur et mon début de quatrième bedon.

Durant tout le repas, nous avons évidemment discuté. Du boulot, de relations de couple, de notre vécu, de passe-temps, de maladie, de mort, d'enfants. Et, à mon grand étonnement, ce fut notre doyenne qui mit le plus ouvertement cartes sur table en matière de sexe.

J'ai immédiatement aimé cette femme. Le genre de femme franche, sans détours, mais respectable, respectueuse, articulée et authentique.

En fin de soirée, nous nous sommes tous salués. J'ai embrassé la femme et lui ai souhaité de tout coeur un retour à la santé. Elle prit du recul, me regarda quelques secondes et me dit avec toute la sincérité du monde: "De la santé...C'est gentil de ta part...Mais tu sais ce qui me ferait vraiment plaisir? Ce dont j'aurais vraiment envie? Du SEXE! Souhaite-moi plein de sexe, beaucoup de sexe et même si je n'ai plus la santé, je mourrai heureuse!"

J'étais stupéfaite de sa franchise, admirative devant le fait qu'elle puisse se permettre cet élan de sincérité sans avoir l'air vulgaire ou déplacée. C'était simplement qu'elle savait ce qu'elle voulait et qu'elle savait le nommer. Je n'ai donc pu faire autrement que de lui souhaiter aussi sincèrement du sexe, du délicieux sexe à volonté.

Elle m'a fait un grand sourire satisfait et je ne l'ai plus jamais revue.

N'empêche, cette femme a encore repoussé ma jusqu'alors approximation physique de fin d'activité sexuelle.

***

Je trouve amusant d'observer mon fils aîné lorsqu'il est question de sexe. A-t-il, comme moi (un peu plus âgée), l'impression que le sexe, c'est une affaire de jeunes et que les "vieux" n'y comprennent rien?

À douze ans, depuis un bon moment déjà, bien qu'il camoufle plus ou moins adroitement son embarras, ses oreilles se tendent lorsqu'il entend une allusion sexuelle, une blague, une information sur l'anatomie ou les pratiques sexuelles. Parfois, malgré sa gêne, il risque une question. Et je lui réponds.

Lorsqu'il raconte une blague comportant une allusion sexuelle et qu'on ne la rit pas, il lève les yeux aux ciel, exaspéré de ses parents, puis marmonne pour lui-même: "Ah Seigneur, ils ne la comprennent pas!"

Grand-Homme et moi échangeons alors un sourire entendu bien plus savoureux que la blague elle-même.

***

Il y a quelques jours, ce même Fils Aîné arborait de façon insupportable une spécialité adolescente (quoique puisse avoir envie de rajouter Grand-Homme), j'ai nommé: une humeur massacrante. Ma limite de tolérance atteinte, je l'envoyai se calmer (lire ici "nous épargner") dans sa chambre.

Alors que je m'apprêtais à quitter la maison quelques instants plus tard, j'allai le rejoindre et lui demandai de m'accompagner chez Jean Coutu*. Sortir de la maison allait assurément lui aérer l'esprit.

En se rendant à la voiture, nous croisons un Petit Caractère (5 ans) pleurnichant sur une quelconque contrariété. Je le saisis au passage lui aussi. C'est fou ce qu'une simple balade est efficace pour changer les idées.

***

Nous voilà donc chez Jean Coutu. Je me dirige illico vers la rangée des contraceptifs. Je scrute les tablettes et ne repère pas notre marque de condoms habituelle. Je zieute donc un peu plus longuement. Fils Aîné et Petit Caractère sont plantés docilement derrière moi et discutent.

Au bout d'un instant, un vent de lucidité souffle sur Fils Aîné: "Maman? MAMAN! Qu'est-ce que tu fais? C'est quoi ça?"

Moi, concentrée -Je cherche une marque de condoms.

Fils Aîné, embarassé ou horrifié, -à valider -Encooore?

Moi -(...)

Je continue de chercher et devant le silence absolu de la terrifiante rangée des condoms, je me retourne pour m'assurer que mes fils sont toujours à mes côtés.

Fils Aîné tourne littéralement le dos aux tablettes de condoms, bras croisés et fixant avec une angoisse palpable les bouteilles de peroxyde (ou était-ce des boîtes de sirop décongestionnant?), beaucoup moins menaçants.

Ne trouvant pas notre marqué préférée, je me résigne à chercher un substitut correspondant à nos exigences -et besoins- en la matière.

Devant le temps et le soin que j'y mets, Fils Aîné se retourne et offre de m'aider. Il me pointe une boîte: "Pourquoi tu prends pas ceux-là. Prix d'ami, que c'est marqué. Ils sont moins chers."

Moi, pas super à l'aise d'intégrer mon fils dans mon choix de préservatifs -Euhm....non...pas ceux-là...

Fils Aîné retourne dans la zone confortable que lui procure le contact visuel avec les bouteilles de peroxyde. Et puis merde le peroxyde, il décide d'emmener Petit Caractère prendre sa pression artérielle à la machine. Ça, c'est beaucoup plus safe!

Je finis par trouver un ersatz convenable et me dirige vers une autre rangée.

Tandis que je respire les odeurs des différentes marques de shampoing, j'aperçois Fils Aîné approcher avec un minimum d'aisance. Timide, il ose (je salue son courage) revenir à la charge: "Maman, pourquoi tu achètes encore des condoms? Me semble que vous en achetez souvent..."

Moi, perplexe -(...)

Soucieuse d'être une bonne pédagogue, je cherche tout de même à répondre minimalement à son interrogation: "Je n'ai plus de stérilet, c'est pour ça que je dois acheter des condoms..."

Voilà qu'il me tourne déjà le dos, n'attendant pas ma réponse. Parti reprendre sa pression, sans doute. Voilà une bonne initiative.


*Pour mes lecteurs Européens: Jean Coutu est une chaîne de pharmacies québécoise.

jeudi, avril 26, 2007

Voleur innocent

J'ai l'estomac tordu du choc.

Depuis cinq mois, je rédige un manuscrit.

Depuis le début, le titre est de béton dans ma tête, dans mes cellules. Il fait partie de mon quotidien. Je n'aurais pu en concevoir un autre pour mon livre. Celui-là était taillé sur mesure, porteur de sens à souhait. Celui-là était tout désigné. Celui-là était le mien.

Sur le site d'une maison d'édition, je viens de tomber sur une nouveauté qui porte presque mot pour mot mon titre.

Shit.

mardi, avril 24, 2007

Mutation générationnelle diplomatique


Il y a trois ans, sirotant une bière à l'Île Noire ...

Frère, joyeux, m'observant dans ma robe d'été -(...)Coup donc ma soeur! Me semble que t'es grosse!

Moi, toisant avec mépris mon agresseur verbal -T'es vraiment chien! J'ai accouché il y a deux mois, donne-moi une chance!

Frère, heureux de me voir réagir et ne reconnaissant aucunement l'offense -Ben voyons! À tes quatre premiers, tu retrouvais ton ventre plat, ça devrait être la même chose pour celui-là! Et puis à part ça, c'est à ton chum de te dire que t'es pas grosse, moi, je suis ton frère, je peux me permettre de te parler en toute franchise!

Deux semaines plus tard...

Paternel -(...)Coup donc ma fille, me semble que t'es plus grosse que d'habitude!

Moi -Mon Dieu que vous manquez de diplomatie! Papa, ce n'est pas la première fois que je te dis qu'on ne dit jamais ça à une femme!

Paternel -Mais! C'est juste un commentaire, prends-le pas d'même ma fille! (essayant de se racheter) Ça te va bien!


***

Samedi dernier, escapade dans les Cantons de l'Est...

En m'observant, Paternel -(...) Coup donc ma fille, me semble que t'as engraissé?

Moi, exaspérée -Papa, tu manques de d-i-p-l-o-m-a-t-i-e! C'est impoli de dire ça à une femme, tu devrais le savoir maintenant. Si tu trouves que j'ai engraissé, la bonne formule à utiliser est: "Coup donc, as-tu maigri?". Comme ça, je pourrai te répondre que non, j'ai justement engraissé. Tu auras l'air diplomate et auras du même coup réponse à ta question.

Paternel -Prends-le pas mal ma fille! Ça te va bien! Avant, tu étais rachitique!

Femme de mon père, solidaire, même à l'autre bout de la maison -Elle a raison!

Grand-Homme, ironique -Merci. Merci Monsieur Beau-Papa, maintenant, j'en ai pour des heures à la convaincre qu'elle n'est pas grosse!

Hier soir, en arrivant chez mon frère...

Frère, s'approchant pour m'embrasser: "Bonsoir ma soeur. (Il plisse les yeux pour mieux m'observer) T'as maigri toi?"

Moi, étonnée -Oh, bonne réponse! Tu as parlé à papa dernièrement?

Frère, relaxe -Non...???

Moi, pleine d'espoir à l'idée de rescaper la nouvelle génération -Bravo alors. On va peut-être s'en sortir.

L'indélicatesse...Génétique? Oedipien? Pfff!

vendredi, avril 20, 2007

Traces


Il arrive généralement que l'on puisse tirer du bon des incidents fâcheux. Ce fut le cas pour mon hémorragie des derniers jours.

Après une journée passée à l'urgence de l'hôpital, je rencontre ce charmant médecin à l'allure décontracte, mais qui semble efficace.

Quatre heures après avoir pris des prises de sang, je revois ledit médecin. Il m'explique de quelle façon il va procéder pour stopper l'hémorragie (due à la perforation de mon col par le stérilet). Tandis qu'il va et vient autour de moi, nous discutons.

Je lui demande si cette déchirure pourrait fragiliser mon col lors d'un éventuel autre accouchement. Il me rassure, puis s'installe entre mes jambes pour nettoyer ma déchirure-robinet.

Concentré sur sa besogne, il me demande combien j'ai d'enfants.

"Six", que je lui réponds. "Six garçons". Il est un peu étonné et valide avec moi: "Et vous m'avez laissé sous-entendre que vous en vouliez peut-être encore?"

Moi -Ma famille était finie, mais nous en avons perdu un. Pour nous, ça remet certaines certitudes en question.

Jeune urgentologue -Oh, je suis désolé.

Moi -On voit souvent dans les films des salles d'urgence où tout le monde s'affaire sur son cas, court dans toutes les directions. Ça laisse une impression de grande efficacité alors qu'en réalité, c'est si immobile une salle d'urgence. Rien ne bouge, on ne fait qu'attendre en ne sachant pas trop ce qui se passe autour. Sauf lorsqu'on amène un enfant qui ne respire pas à l'hôpital. Là, on voit qu'une équipe médicale est bien présente et capable d'avoir l'air aussi efficace que dans les films.

Tandis qu'il applique le nitrate d'argent sur mon col, je le regarde et son visage me dit vaguement quelque chose. Et plus je me concentre, plus je me dis que peut-être que...

Moi -Ça fait longtemps que vous travaillez ici?

Jeune urgentologue -Six ans. Mais j'ai fait ma résidence ici avant.

Moi -Je vous regarde et je me dis que c'est peut-être vous qui avez tenté de ranimer mon petit garçon.

Jeune urgentologue -Ça fait combien de temps?

Moi -Il est décédé il y a treize mois.

Jeune urgentologue, relevant la tête, interpellé -Il s'appelait comment?

Moi, fière et attendrie -Thomas LeBeauPetitCanardd'AmouràMaman.

Jeune urgentologue, affirmatif -Oui. Oui c'est moi qui me suis occupé de lui. Je me souviens très bien, vous étiez là-bas (il me pointe la petite pièce où nous nous sommes installés près de notre fils pour lui dire aurevoir). Oh oui je me souviens.

Voilà que le coeur se met à me débattre. J'ai, affairé entre mes jambes, le jeune médecin qui dirigeait l'équipe d'une dizaine de personnes qui a tenté de ranimer mon petit garçon et en plus, il se souvient de lui.

Moi, ahurie et flattée à puissance dix -Vous vous souvenez VRAIMENT de lui?

Jeune urgentologue -Oh Madame, je vous assure qu'on ne peut pas oublier ça. Y a rien de pire pour une équipe médicale que ce qui est arrivé ce matin-là.

Moi -Vous voulez dire, un cas de réanimation ou un enfant?

Jeune urgentologue -Les cas de réanimation, quand on réussit, c'est génial, on est tous heureux. Des personnes âgées, des adultes, on en perd. C'est triste, mais c'est plus normal alors ça marque moins. Un jeune enfant, ça marque toute l'équipe. Suite à la mort de votre fils, on a une jeune infirmière qui n'est jamais revenue.

Moi -Vous voulez dire "jamais revenue de la journée" ou "jamais revenue travailler à l'hôpital"?

Jeune urgentologue, pansant mon col -Jamais revenue travailler. Ça l'a trop bouleversée. Vous savez, au moment de la mort de votre fils, j'avais un fils du même âge.

Moi, touchée de l'humain derrière le médecin -Ah oui? Je me suis demandé comment vivaient les médecins après une histoire comme la nôtre: se disent-ils "c'est triste, mais on passe au suivant" ou alors ça les atteint en tant qu'humains aussi. Ça doit faire étrange de passer aux cas suivants en gynécologie ou pour une fracture quelconque après le décès d'un enfant...

Jeune urgentologue, levant les yeux vers moi -C'est très dur. Et très choquant aussi de constater que certaines personnes viennent consulter pour des niaiseries quand on vient de perdre un enfant le matin-même. Il y a un si grand écart dans le degré de gravité!

Voilà que je tente de maîtriser mon corps et ma voix qui tremblent. Je suis tellement émue qu'il se souvienne de mon petit garçon, que mon Thomas ait eu une incidence réelle sur la vie de toutes ces personnes qui ne le connaissaient pas. Je suis bouleversée de la gentillesse du médecin et heureuse qu'il me parle de "comment cela s'est vécu de l'intérieur".

Puis, il poursuit: "Vous savez, je suis retourné régulièrement dans le dossier de votre fils en espérant comprendre ce qui lui était arrivé. Habituellement, une fois son rapport fait, le coroner en envoie une copie à l'hôpital, mais pour votre fils, cette copie n'est jamais arrivée."

J'entends que le médecin cherche encore à comprendre, lui aussi, comme nous nous sommes tant questionnés nous-mêmes, pourquoi un petit garçon de vingt-trois mois ne se réveille pas un matin alors qu'il était débordant de vie la journée d'avant.

Moi -Thomas est mort durant son sommeil d'un choc septique dû à un streptocoque à pneumonie.

Jeune urgentologue, mi-étonné/mi-reconnaissant de se voir apporter le morceau de puzzle manquant -Un choc septique? Un streptocoque à pneumonie?

Il relève la tête, me regarde, semble encaisser tranquillement l'illumination, puis répète pour lui-même: "Un choc septique. Un streptocoque à pneumonie".

Il se passe quelque chose d'étrange, de difficilement définissable. Le jeune urgentologue est très professionnel, mais malgré la distance professionnelle requise, je sens une compassion silencieuse, une humanité et une sincérité qui ne peut sans doute se témoigner de façon naturelle aux dizaines de patients que rencontrent un médecin dans une journée. Je me sens privilégiée, pleine de gratitude, heureuse d'avoir eu ce déchirement qui m'a permis de rencontrer cet urgentologue qui a eu la gentillesse de me parler de mon fils.

A-t-il idée, cet homme que je ne connais pas, de la puissance de l'impact de son ouverture dans ma vie? C'est tellement IMMENSE, c'est tellement précieux pour un coeur de mère qu'un médecin ait pris le temps de partager ça. Il aurait pu ne pas se mouiller, demeurer terré derrière son spéculum et ne pas oser me regarder dans les yeux, il aurait pu craindre que j'éclate en sanglots et devoir assumer un océan de larmes dans la salle de gynécologie, il aurait pu occulter le côté humain derrière le professionnel, mais il ne l'a pas fait.

Il m'a parlé de mon fils, de l'abattement général qui a plané par la suite sur l'équipe, il m'a parlé de son fils (même en simple allusion, c'est énorme!), il a démontré que Thomas avait été pris en charge par des humains qui se souviennent de lui, il m'a confirmé que nous avions bien fait de rédiger cette lettre, quelque temps après le décès de Thomas, pour remercier cette équipe d'avoir tout tenté pour sauver notre petit garçon.

Pour un parent endeuillé, l'oubli est la pire des menaces, d'abord pour nous-mêmes: peur d'oublier certains détails, façon de rire, de pleurer, de prononcer certains mots, dandinement des fesses lorsque bébé marche, de ne plus entendre le son de sa voix dans notre coeur, etc.

Également, la hantise que l'entourage oublie ce qui, finalement, ne s'oublie pas pour nous. La crainte que plus rien dans ce monde ailleurs que dans notre coeur ne souligne le passage de notre enfant.

Rencontrer des gens qui osent dire: "Je me souviens de lui. Voici l'effet que sa mort a eue sur moi, voici comme j'ai aimé ton enfant, voici quel beau souvenir de lui j'aime entretenir, voici comme je souffre encore, voici sa trace indélébile chez moi, et dites-moi, vous, comment vous portez-vous, à présent"...

Aurais-je pu avoir une plus belle soirée malgré les huit heures d'attente de la journée?

L'urgentologue m'a pointée la petite pièce où je pouvais me rhabiller. Debout devant la porte, il a répété une dernière fois: "Streptocoque à pneumonie" en hochant la tête, comme s'il détenait une information qui allait pouvoir soulager le point d'interrogation mental subsistant des autres membres de l'équipe. Il m'a saluée dignement, puis est sorti.

jeudi, avril 19, 2007

Absurdité

(Attente interminable)

...
...
...
...
...
...
...

Ça sonne enfin.

Infirmière d'Info-Santé -Bonjour, Infirmière Unetelle d'Info-Santé, comment puis-je vous aider?

Grande-Dame -Bonjour, voilà, je vous fais un petit résumé de mon problème: j'ai fait installer un stérilet il y a trois semaines. Mon corps a commencé à l'expulser ces derniers jours et mon médecin l'a enlevé entièrement hier car il me blessait au col et me causait des saignements. Le médecin n'était pas certaine si ce sang provenait d'une menstruation hâtive ou d'une hémorragie due à la blessure au col. Ma question: comment puis-je savoir si tout le sang que je perds maintenant et qui ne cesse de couler provient de règles ou d'une hémorragie??

Infirmière -Perdez-vous beaucoup de sang? Combien de serviettes remplissez-vous à l'heure?

Grande-Dame -Aucune idée. Je porte une diva cup. Je peux par contre vous dire que j'ai perdu, ces seize dernières heures, près de trois onces et demi de sang.

Infirmière, perplexe -Hm, ça ne m'aide pas beaucoup. Je ne pourrai vous aider que si vous me dites ça représente combien de serviettes à l'heure.

Grande-Dame -Mais! Quelle importance? Considérant qu'une femme perd de deux à trois onces de sang étalé sur cinq à sept jours lors d'une menstruation, êtes-vous du même avis que moi que presque quatre onces en une seule journée, c'est anormal?

Infirmière, hésitante -Euh, ou-i, ça semble beaucoup, effectivement. Êtes-vous plus fatiguée? Étourdie? Mais c'est sûr qu'avec un nombre de serviettes à l'heure, je serais mieux en mesure de...

Grande-Dame, mathématique -Dur à dire, je suis fatiguée d'avance! Pour les serviettes, faisons le calcul: si j'ai perdu en une journée ce que je perds habituellement en cinq jours, presque quatre onces de sang représentent environ...mmm (calcul mental)...une serviette et demie à l'heure.

Infirmière -Mm. Ouin. Ça serait peut-être mieux que vous alliez à l'hôpital.

***

C'est ironique, je trouve. "Une serviette à l'heure", c'est très très abstrait et vulgarisé comme instrument de mesure. Je suis en mesure de fournir une donnée précise sur la quantité de sang perdue, mais on ne parle pas le même langage.

J'imagine la scène dans un contexte policier:

"Sergent-détective, entrez! Le cadavre est dans la chambre...".

Sergent-détective -Quelle quantité de sang a-t-il perdue?

Officier1 -Trois serviettes.

Sergent-détective -Pardon?

Officier1 -Trois grandes serviettes blanches imbibées chacunes aux trois-quarts, Sergent-Détective.

Officier2 arrive sur les lieux en tendant la main à son sergent-détective.

Officier2 -Un litre et demi.

Sergent-détective -Un litre et demi? Mais d'où sortez-vous? Donnez-moi la mesure du rayon, je vous prie.

Officier2 -Plaît-il?

Sergent-détective -Mais d'où est-ce que vous venez? Ici, on mesure en rayon.

Officier2 -Euh, Sergent, je suis nouveau ici, je...

Sergent-détective, pour lui-même -Il faut vraiment tout leur apprendre!

Officier2, sortant de sa poche calepin et crayon -J'apprendrai, Sergent! Dites, je vous prie.

Sergent-détective, s'approchant du cadavre -Voyez, le cadavre baigne dans cette immense flaque de sang.

Sergent-détective emprunte au vol le ruban à mesurer d'un collègue à proximité et poursuit: "La circonférence de la flaque est de trois mètres dix".

Officier2, absorbé par les explications de son supérieur et prenant des notes -Oui, oui.

Sergent-détective -Lorsque je vous demande le rayon d'un cadavre, vous devez diviser la circonférence de la flaque de sang par 2π. Vous me suivez? Des histoires de serviettes et de litres, rien à cirer de ça!

Officier2, heureux -Je vous offre un café, sergent-détective?

mardi, avril 17, 2007

Fibre maternelle nouveau genre

Je suis braillarde. Il me suffit de devoir être arrêtée de façon prolongée à un stop pour laisser les tinamis d'une garderie traverser la rue en tenant bien le serpentin pour devoir sortir la boîte de mouchoirs.

En allant chercher les enfants à l'école et en voyant tous ces marmots colorés marcher en rang bien disciplinés, mais tentant tout de même de contenir leur enthousiasme en apercevant maman ou papa qui les attendent déjà dans l'entrée m'attendrit.

Vous imaginez bien que lorsque j'aperçois un des miens à travers tout ce beau potentiel de vie, je ne peux qu'être doublement émue.

Ainsi, un Grand-Charme (10 ans) plein d'aisance à son spectacle de théâtre, un Petit Caractère (5 ans) tout heureux de me faire visiter sa classe, un Douceur (7 ans) au spectacle de musique de fin d'année, un Bébé (18 mois) tout emmitouflé qui part en promenade avec les amis de la garderie exigent chez moi une retenue TRÈS FORTE de pleins d'émotions.

Ce sont des tout-petits, facile, c'est si mignon!

Or, je me suis prise sur le fait, la semaine dernière, à ressentir le soubresaut d'un violent élan maternel en croisant l'autobus de Fils Aîné qui le ramenait à la maison tandis que je partais dans la direction opposée. MON FILS! Je me suis tordu le cou pour tenter de l'apercevoir à travers une vitre, pour le surprendre, voyeuse, dans son univers duquel je suis exclue.

Je me rends compte qu'avec lui, j'entre dans un aspect nouveau de ma maternité: la maternitude d'adolescent. Une exploitation différente de la fibre maternelle, mais pas désengageante pour autant.

Avec mes petits, ma relation est beaucoup plus symbiotique, animale, fusionnelle. Puis, ils vieillissent, s'ouvrent, développent leurs idées, me partagent des réflexions, des anecdotes qui me permettent de mieux les connaître dans d'autres contextes. Je suis comblée de les avoir dans ma vie, riche qu'ils soient si différents.

Si j'ai pesté (et si je peste et repeste!!) souvent contre la tyrannie et le despotisme de Fils Aîné, je découvre à présent chez lui une curiosité très vive, une intéressante subtilité, un vocabulaire de plus en plus recherché, un humour fertile et une complicité qui goûtent bon. Je me surprends à désamorcer avec lui certains noeuds du quotidien avec légèreté et il me le rend bien.

Mon grand, il vieillit. Il veut devenir bédéiste. Il possède un réel talent. Son caractère -le même que celui qu'il a toujours eu- s'affirme, mais surtout, s'affine. Je suis enchantée de voir le jeune homme qu'il devient, son potentiel qui grandit. À plusieurs niveaux, il me surpasse et je peux me référer à lui. N'est-il pas merveilleux de se faire surpasser par ses enfants?

Les discussions changent, les allusions aussi. Il tente de me situer temporellement par rapport à lui: "(...)La mode, maman, c'est plus comme dans ton temps, avec des pattes d'éléphants!"

-Des pattes d'éléphants!!?? Fils Aîné, j'ai trente-deux ans! Les pattes d'éléphants, c'était une génération plus haut, du temps de Papi/Mamie!

Il tâte la vie, évalue, peaufine ses idées, développe des stratégies (m'en a avoué une récemment pour obtenir ce qu'il veut), écoute avec plus d'intérêt et d'interaction.

Parfois, il fait partie des enfants à qui l'on en passe des p'tites vites, parfois, il comprend nos allusions d'adultes et entre en souriant dans la complicité des grands sans rien dire aux petits.

Avoir de grands enfants, c'est chouette!

lundi, avril 16, 2007

Faire dur

Être fatiguée. Voir des bananes mûres sur le comptoir et tenter de vous motiver à les passer dans des muffins. Être découragée à l'idée de cuisiner en fin de soirée, mais vous sacrifier pour éviter le gaspillage et surtout, pour faire plaisir à votre marmaille qui adore vos muffins aux bananes.

Prendre une grande respiration, votre courage à deux mains et le taureau par les cornes (simultanément ou chronologiquement, au choix). Sélectionner les bananes les plus mûres et préparer la pâte. Surtout, ne pas oublier les brisures de chocolat qui feront assurément le bonheur de tous. Verser la pâte étrangement épaisse dans les moules. Mettre les muffins au four.

Soupirer d'un bienheureux sentiment d'accomplissement. Pour terminer, ranger la vaisselle sale au lave-vaisselle. Essuyer ensuite la farine sur le comptoir et faire un face à face avec les quatre bananes bien mûres préalablement choisies encore inutilisées.

Vous qualifier de maudite gougoune.

jeudi, avril 12, 2007

La communication dans le couple


Tous les psychologues et spécialistes conjuguaux s'entendent; la communication au sein du couple est essentielle pour assurer un pont en service vers l'autre. Peut-être même que le Doc Mailloux arriverait à être d'accord avec l'idée sans faire de chichi.

J'ignore si des statistiques existent sur les couples qui finissent par perdre le chemin vers le pont qui mène à l'autre en rapport au nombre d'enfants, mais ces derniers temps, je me questionne sérieusement à ce sujet.

C'est qu'il est quasi impossible de se parler dans cette maison en présence d'enfants sans se faire interrompre. Il y a constamment des feux à éteindre. C'est épuisant, on vit avec, on tente de se trouver des "zones réservées" mais de toute façon, ce n'est pas le problème dont j'ai envie de vous parler.

Mon exaspération vient plutôt du coupage de parole. Cette manifestation d'impatience et d'impolitesse fait monter en moi d'horribles élans sanguinaires. Oh, les enfants savent très bien que c'est impoli, que c'est interdit, je m'évertue tellement à le répéter, à me fâcher, à les ignorer (lire ici faire de mon mieux pour ne pas les entendre répéter leurs satanées questions/plaintes/rapportage alors que je me retiens à quatre mains pour ne pas leur fermer définitivement le clapet avec le fameux tape gris dont mon Grand-Homme m'a tellement vanté les vertus) alors que je tente d'aligner deux mots jusqu'à ce que je finisse par leur hurler mon trop récurrent leitmotiv sur le coupage de la parole.

Au souper, hier, je me suis résolue à un triste constat: si la simple possibilité de communication entre adultes n'avait de terrain propice à la discussion qu'un repas dans une jungle comme la nôtre, nous serions voués à voir nos précieux ponts s'effriter et qui sait, finir comme ce malheureux viaduc dont on parle encore beaucoup par chez-nous. Il nous faudra donc trouver une solution majeure à ces récurrentes impolitesses.

J'apprécie les repas où les membres de cette famille peuvent se parler, se comprendre, s'entendre, s'écouter, s'intéresser. J'aime qu'il y ait interaction, fil conducteur que tous ont envie d'alimenter, mais en attendant minimalement son tour de parole.

C'est que je déteste le chaos du genre d'hier.

***

La famille est attablée et servie depuis un moment.

Moi, à Grand-Homme -Tu sais que le président de la Banque Mondiale a profité de sa position pour donner une méga augmentation de salaire de 60 000$ à sa maîtresse, qui travaillait aux communications de la Banque...

Grand-Homme -Ah oui...

Grande-Dame -Il est dans l'eau chaude...

Fils Aîné, intéressé -Ça fait quoi, la Banque Mondiale?

Grande-Dame, heureuse de la curiosité de son aîné -Elle prête de l'argent-

Petit Caractère, manipulant distraitement un morceau non identifié dans son assiette en faisant la moue -Maman, y a une drôle de bulle dans ma viande.

Grande-Dame, tentant de poursuivre malgré la bulle suspecte dans l'assiette à sa gauche-Elle prête de l'argent aux pays pauvres-

Petit Caractère, manipulant distraitement un morceau non identifé dans son assiette en faisant la moue -Maman, y a une drôle de bulle dans ma viande.

Fils Aîné, vif d'esprit -Mais elle vient de où l'argent que les banques prêtent?

Grand-Homme -Des intérêts que les emprunteurs paient sur les prêts, de différents placements....

Grande-Dame, l'index en l'air en direction de Petit Caractère et tentant mécaniquement de terminer sa phrase -Elle prête de l'argent aux pays pauvres pour leur permettre de rembourser l'argent qu'ils leur doivent déjà...

Grand-Homme -Non, ça c'est le Fonds Monétaire International. La Banque Mondiale ne prête pas aux pays pauvres.

Grande-Dame -Oui. Elle-

Petit Caractère, la tête appuyée dans la main en tournant le morceau suspect dans tous les sens -Maman, y a une drôle de bulle dans ma viande

Douceur, faisant face à une pinte de lait vide -Qui a vidé la pinte?

Grand-Homme, en se levant -C'est moi.

Petit Caractère, mécaniquement -Maman, y a une drôle de bulle dans ma viande.

Grande-Dame -Oui, oui! C'est du gras!!! Mets le simplement de côté, ça ne se mange pas. Donc, je disais que la Banque Mondiale prête aussi de l'argent aux pays en voie de développement.

Grand-Homme -La Banque Mondiale est là pour faire de l'argent, elle ne prêterait pas d'argent à un pays qui risque de ne pas pouvoir la rembourser.

Grande-Dame -L'idée est là: ils prêteront plus-

Petit Caractère, cherchant à tout prix à s'intégrer de façon pertinente à la discussion -Maman, quand les chats vomissent, leur vomi est de quelle couleur?

Grande-Dame, soupirant (soupirante aussi, mais ça, c'est une autre histoire) -(...) ils devront prêter plus pour permettre aux pays en voie de développement de rembourser leur dû et ainsi augmenter encore leur dette, donc plus d'intérêts...

Petit Caractère, tenant à son filon -Maman, quand les chats vomissent, leur vomi est de quelle couleur?

Grande-Dame, perplexe devant la nature de la question -Ça dépend de la couleur de ce qu'ils ont mangé!

Grand-Homme, doutant de la justesse de mes propos -Le FMI a été crée justement pour prêter aux-

Douceur, venant soudainement de réaliser que son petit frère avait vieilli -Mamaaan!! Ça fait longtemps, han, que Bébé a pas régurgité!

Grande-Dame -Oui, c'est vrai.

Voilà Grand-Charme qui arrive avec une nouvelle pinte de lait.

Grand-Homme, poursuivant -pays en voie de développement.

Grande-Dame, posant sa fourchette -Là, les gars, je suis vrrrraiment plus capable! Il y en a toujours un pour couper la parole quand quelqu'un d'autre parle. Lorsque vous voyez que deux personnes parlent, vous a-t-t-e-n-d-e-z qu'elles aient terminé leur phrase.

J'ai atteint ma limite pour ce soir, je ne veux plus recevoir aucune plainte-pleurnichage-rapportage-coupage de parole de la soirée. Compris?

Braves petits enfants presque convaincants, en choeur -Ouiiiii.

Moment de silence jouissif, mais évidemment bien éphémère.

Douceur et Petit Caractère mettent leurs mains sur la pinte de lait en même temps et tentant mutuellement de se l'arracher.

En lirant, les deux -Mamaaaaan! C'est moi qui l'avait en premier! (suivi du sempiternel "Non c'est moi, non c'est moi, menteur.")

Dans ma tête: "Ils n'ont rien compris." Je les sors de table tous les deux. Douceur pleure de l'injustice -avec raison, mais l'avertissement avait été donné pour le pleurnichage et les envoie dans leur chambre où ils continuent de se disputer, fidèles à leur habitude préférée.

Voilà le calme plat à table. Mes grands sont plus civilisés. Le terrain propice idéal à une communication conjugale et demi-familiale agréable. Tant pis. Je n'ai plus envie de rien dire. Juste apprécier le silence.

Heureusement, tout de même, qu'il existe d'autres moments pour discuter sur fond calme...

mercredi, avril 11, 2007

Mon mâle alpha



Mon Grand-Homme, il est viril. C'est un homme, un vrai. Un mâle alpha, comme aime le définir un certain Monsieur B dont je vous ai déjà parlé.

En plus, il est brillant. Indubitablement, force + intelligence = possibilité de puissantes stratégies. Perspicace (vous le saviez, n'est-ce pas?), j'ai découvert ce soir l'une d'entre elles.

***

Mon mâle alpha, pour affirmer sa virilité et sa suprématie, il a besoin d'une chose: s'assurer que moi j'aie besoin de l'essentielle faculté masculine que je ne possède pas.... Et j'ai nommé: la force physique.

C'est pourquoi depuis trois ans, lorsque je lui demande de visser les couvercle des biberons moins serrés, il me répond, avec la meilleure intention du monde dans la voix: "Oui, mon Amour" mais qu'il n'en fait rien. Cela lui procure une intense gratification personnelle lorsque je me présente devant lui avec un biberon trop serré pour lui demander de l'ouvrir, ce qu'il fait évidemment en un clin d'oeil.

Évidemment, au biberon suivant et celui d'après, mon beau mâle alpha perd de la crédibilité dans ses intentions réelles, mais ses: "Oui, mon Amour." sont tellement empreints d'une touchante volonté, surtout lorsque j'insiste: "Tu me dis ça chaque fois! Je suis incapable de les ouvrir lorsqu'ils sont vides pour les laver!" que je ne peux qu'espérer que la fois suivante, je serai en mesure d'avoir quelques biberons propres en réserve dans l'armoire.

***

Je spécifiai il y a deux jours à mon Hercule personnel que les deux biberons au fond caillé gisant sur le comptoir n'étaient pas là par parure, mais bien en attente de ses puissantes mains d'homme pour les dévisser.

"Oui, mon Amour."

J'osai un petit rafraîchissement hier également: "Oui, mon Amour".

***

Vint cette fameuse illumination ce soir. Alors que je parcourais la maison en quête d'un biberon sale, mais dévissable, avec aux trousses un bébé de dix-huit mois me suivant au pas en me suppliant de sa plainte constante: "Laaaaaiiiit...ouuiiinnnn-laaaiiit....laaaaiiiiiit...ouiiiiiin", je lançai désespérément à mes quatre grands sagement attablés à dessiner: "Les gaaaars, y a personne qui aurait vu un biberon traîner par hasard?"

En choeur -Noooooon!

Bébé, ne lâchant pas de vue son objectif lacté-Ouiiiiiin-laiiiiiiit.....ouiiiiin laiiiiit!!!!!

Évidemment, mon mâle alpha préféré avait déjà quitté la maison pour sa réunion.

Je descendis au sous-sol, scrutai tous les "spots" à biberons envisageables tandis que Bébé hurlait en haut des escaliers en guise d'encouragement. Je remontai, bredouille

Moi, suppliante -Les gaaaars! Vous êtes vraiment sûrs que vous n'avez pas vus de biberons?

Les gars, en choeur -Ouuuiiii!!!

Dieu merci, j'aperçus à ce moment ce salvateur biberon dépasser du sac à couches. Je me ruai sur lui comme mes mousquetaires se ruent sur un plat de bonbons. Fausse joie: ledit biberon était rempli de lait solide et devait donc tremper dans l'eau bouillante.

À bout de ressources, je retournai sur le comptoir retenter le coup auprès des deux biberons indévissables. Tout d'un coup qu'une force extraordinaire me serait tombée dessus entre les différents essais des deux derniers jours, je ne pouvais pas ne pas l'exploiter!

Bébé, me suivant toujours, retrouva espoir en me voyant un biberon à la main. De tout son enthousiasme, il s'écria, voyant déjà dans mon geste un triomphe prématuré: "LAAAIIIT!!"

C'est alors que je perdis patience: "MER-DE!!!! LES GAAARS, Y-EN-AS-TU UN QUI VEUT SE FAIRE UNE PIASSE?"

Mes quatre petits capitalistes posèrent illico leurs crayons et s'écrièrent, tous en choeur -MOIIIIIII!!!

Moi, heureuse de tant de coopération subite -Je donne un dollar à celui qui réussira à ouvrir ce fichu biberon!

Fils Aîné se fraya un passage parmi ses jeunes frères, qui avaient déjà commencé à s'agglomérer autour de moi. Il se planta devant moi, cherchant à affirmer la suprématie de sa force de jeune homme de douze ans. C'eut été fort humiliant pour lui qu'un de ses jeunes frères ne démontre une force physique qu'il n'aurait pas eue la chance de démontrer lui-même.

Nous étions donc tous les cinq dans la cuisine autour de Fils Aîné qui retroussa ses manches, prit son air désinvolte et nous tint en haleine avant de poser les mains sur le bouchon. Nous guettions attentivement ses efforts, la rougeur et les expressions de son visage dans l'attente d'un signe annonciateur de victoire.

Je priai un moment tous les saints du ciel que mon aîné sut surpasser la faiblesse physique de sa mère pour faire taire ce bébé qui n'avait pas cessé de réclamer haut et fort l'objet de sa convoitise.

Grand-Charme, Petit Caractère et Douceur se tenaient près de leur aîné dans l'espoir avoué de le voir lamentablement échouer (ne serait-ce que pour l'honneur, Fils Aîné n'aurait jamais abandonné) et tenter le coup à leur tour.

Je ne vous dis pas mon soulagement lorsque j'aperçus dans une main de mon fils le biberon et dans l'autre la suce. J'ALLAIS ENFIN POUVOIR SATISFAIRE, MAIS SURTOUT FAIRE TAIRE CE BÉBÉ!

Quant à Fils Aîné, non seulement il venait de se faire UN DOLLAR, mais il avait surtout gagné fièrement son honneur. "Faciiile!", fut son unique commentaire.

***

Mon Grand-Homme devra dorénavant réviser ses stratégies mettant en cause sa force et faire preuve d'humilité: deux mâles alpha dans la même maison....hum....ça se peut?

mardi, avril 10, 2007

La fierté de l'image

Grand-Charme (10 ans), tout bonnement en rentrant de l'école: "Maman, moi, y a plusieurs personnes que j'aurais envie de battre, mais je ne le fais pas parce que je veux préserver mon image de bon garçon."

Non, il ne s'enligne pas dans les relations publiques. Il veut plutôt être comédien.

Funestes aurevoirs


Voilà que j'ai envie de vous livrer ce matin une autre bouleversante bribe de la vie de Georges Sand. Elle m'a fait pleurer. J'espère que ses paroles sauront vous émouvoir également.

Mise en contexte: Georges Sand (à ce moment, on pourrait l'appeler par son prénom Aurore) a quatre ans (nous sommes donc en 1808) et sa famille vient de revenir d'Espagne. Elle et son petit frère de tout juste deux semaines ont la gale, que leur bonne grand-mère et le précepteur François Deschartres ont soignée avec beaucoup d'amour. La petite Aurore s'en est complètement remise, mais hélas, bien qu'en voie de guérison de la gale, le petit Louis est plutôt mal en point.

"Mais tandis que je reprenais à vue d'oeil, mon pauvre petit frère Louis dépérissait rapidement. La gale avait disparu, mais la fièvre le rongeait. Il était livide, et ses pauvres yeux éteints avaient une expression de tristesse indicible. Je commençai à l'aimer en le voyant souffrir. Jusque-là je n'avais pas fait grande attention à lui, mais quand il était étendu sur les genoux de ma mère, si languissant et si faible qu'elle osait à peine le toucher, je devenais si triste avec elle et je comprenais vaguement l'inquiétude, la chose que les enfants sont le moins portés à ressentir.

Ma mère s'attribuait le dépérissement de son enfant. Elle craignait que son lait ne lui fût un poison, et elle s'efforçait de reprendre de la santé pour lui en donner. Elle passait toutes ses journées au grand air, avec l'enfant couché à l'ombre auprès d'elle dans des coussins et des châles bien arrangés. Deschartres lui conseilla de faire beaucoup d'exercice, afin d'avoir de l'appétit, et de réparer la qualité de son lait par de bons aliments. Elle commença aussitôt un petit jardin dans un angle du grand jardin de Nohant, au pied d'un gros poirier qui existe encore. Cet arbre a toute une histoire si bizarre qu'elle ressemble à un roman, et que je n'ai sue que longtemps après.

Le 8 septembre, un vendredi, le pauvre petit aveugle, après avoir gémi longtemps sur les genoux de ma mère, devint froid, rien ne put le réchauffer. Il ne remuait plus. Deschartres vint, l'ôta des bras de ma mère, il était mort. Triste et courte existence, dont, grâce à Dieu, il ne s'est pas rendu compte.

Le lendemain on l'enterra, ma mère me cacha ses larmes. Hippolyte (un ami qui était en fait son demi-frère) fut chargé de m'emmener au jardin toute la journée. Je sus à peine et ne compris que faiblement et dubitativement ce qui se passait dans la maison. Il paraît que mon père fut vivement affecté, et que cet enfant, malgré son infirmité, lui était tout aussi cher que les autres. Le soir, après minuit, ma mère et mon père, retirés dans leur chambre, pleuraient ensemble, et il se passa alors entre eux une scène étrange que ma mère m'a racontée avec détails une vingtaine d'années plus tard. J'y avais assisté en dormant.

Dans sa douleur et l'esprit frappé des réflexions de ma grand-mère, mon père dit à ma mère: "Ce voyage d'Espagne nous aura été bien funeste, ma pauvre Sophie. Lorsque tu m'écrivais que tu voulais venir m'y rejoindre, et que je te suppliais de n'en rien faire, tu croyais voir là une preuve d'infidélité ou de refroidissement de ma part; et moi, j'avais le pressentiment de quelque malheur. Qu'y avait-il de plus témémaire et de plus insensé que de courir ainsi, grosse à pleine ceinture, à travers tant de dangers, de privations, de souffrances et de terreurs de tous les instants? C'est un miracle que tu y aies résisté; c'est un miracle qu'Aurore soit vivante. Notre pauvre garçon n'eût peut-être pas été aveugle s'il était né à Paris. L'accoucheur de Madrid m'a expliqué que, par la position de l'enfant dans le sein de la mère, les deux poings fermés et appuyés contre les yeux, la longue pression qu'il a dû éprouver par ta propre position dans la voiture, avec ta fille souvent assise sur tes genoux, a nécessairement empêché les organes de la vue de se développer.

-Tu me fais des reproches maintenant, dit ma mère; il n'est plus temps. Je suis au désespoir. Quant au chirurgien, c'est un menteur et un scélérat. Je suis persuadée que je n'ai pas rêvé quand je lui ai vu écraser les yeux de mon enfant."

Ils parlèrent longtemps de leur malheur, et peu à peu ma mère s'exalta beaucoup dans l'insomnie et dans les larmes. Elle ne voulait pas croire que son fils fût mort de dépérissement et de fatigue; elle prétendait que la veille encore il était en pleine voie de guérison, et qu'il avait été surpris par une convulsion nerveuse. "Et maintenant, dit-elle en sanglotant, il est dans la terre ce pauvre enfant! Quelle terrible chose que d'ensevelir ainsi ce qu'on aime, et de se séparer pour toujours du corps d'en enfant qu'un instant auparavant on soignait et on caressait avec tant d'amour! on vous l'ôte, on le cloue dans une bière, on le jette dans un trou, on le couvre de terre, comme si l'on craignait qu'il n'en sortît! Ah! c'est horrible, et je n'aurais pas dû me laisser arracher ainsi mon enfant; j'aurais dû le garder, le faire embaumer.

-Et quand on songe, dit mon père, que l'on enterre souvent des gens qui ne sont pas morts! Ah! il est bien vrai que cette manière chrétienne d'ensevelir les cadavres est ce qu'il y a de plus sauvage au monde.

-Les sauvages, dit ma mère, ils le sont moins que nous. Ne m'as-tu pas raconté qu'ils étendent leurs morts sur des claies et qu'ils les suspendent desséchés sur des branches d'arbre? J'aimerais mieux voir le berceau de mon petit enfant mort accroché à un des arbres du jardin que de penser qu'il va pourrir dans la terre! Et puis, ajouta-t-elle frappée de la réflexion qui était venue à mon père, s'il n'était pas mort, en effet? Si on avait pris une convulsion pour l'agonie, si M. Deschartres s'était trompé! car enfin, il me l'a ôté, il m'a empêchée de le frotter encore et de le réchauffer, disant que je hâtais sa mort. Il est si rude, ton Deschartres! Il me fait peur, et je n'ose lui résister! Mais c'est peut-être un ignorant qui n'a pas su distinguer une léthargie de la mort. Tiens, je suis si tourmentée que j'en deviens folle, et que je donnerais tout au monde pour ravoir mon enfant mort ou vivant."

Mon père combattit d'abord cette pensée, mais peu à peu elle le gagna aussi, et regardant à sa montre: "Il n'y a pas de temps à perdre, dit-il; il faut que j'aille chercher cet enfant; ne fais pas de bruit, ne réveillons personne, je te réponds que dans une heure, tu l'auras."



Il se lève, s'habille, ouvre doucement les portes, va prendre une bêche et court au cimetière, qui touche à notre maison et qu'un mur sépare du jardin; il approche de la terre fraîchement remuée et commence à creuser. Il faisait sombre, et mon père n'avait pas pris de lanterne. Il ne put voir assez clair pour distinguer la bière qu'il découvrait, et ce ne fut que quand il l'eut débarrassée en entier, étonné de la longueur de son travail, qu'il la reconnut trop grande pour être celle de l'enfant. C'était celle d'un homme de notre village qui était mort peu de jours auparavant. Il fallut creuser à côté, et là, en effet, il retrouva le petit cercueil. Mais, en travaillant à le retirer, il appuya fortement le pied sur la bière du pauvre paysan, et cette bière, entraînée par le vide plus profond qu'il avait fait à côté, se dressa devant lui, le frappa à l'épaule et le fit tomber dans la fosse. Il a dit ensuite à ma mère qu'il avait éprouvé un instant de terreur et d'angoisse inexprimable en se trouvant poussé par ce mort, et renversé dans la terre sur la dépouille de son fils. Il était brave, on le sait de reste, et il n'avait aucun genre de superstition. Pourtant il eut un mouvement de terreur, et une sueur froide lui vint au front. Huit jours après, il devait prendre place à côté du paysan, dans cette même terre qu'il avait soulevée pour en arracher le corps de son fils.

Il recouvra vite son sang-froid, et répara si bien le désordre que personne ne s'en aperçut jamais. Il rapporta le petit cercueil à ma mère et l'ouvrit avec empressement. Le pauvre enfant était bien mort, mais ma mère se plut à lui faire elle-même une dernière toilette. On avait profité de son premier abattement pour l'en empêcher. Maitenant, exaltée et comme ranimée par ses larmes, elle frotta de parfums ce petit cadavre, elle l'enveloppa de son plus beau linge et le replaça dans son berceau pour se donner la douloureuse illusion de le regarder dormir encore.

Elle le garda ainsi caché et enfermé dans sa chambre toute la journée du lendemain, mais la nuit suivante, toute vaine espérance étant dissipée, mon père écrivit avec soin le nom de l'enfant et la date de sa naissance et de sa mort sur un papier qu'il plaça entre deux vitres et qu'il ferma avec de la cire à cacheter tout autour.

Étranges précautions qui furent prises avec une apparence de sang-froid, sous l'empire d'une douleur exaltée. L'inscription ainsi placée dans le cercueil, ma mère couvrit l'enfant de feuilles de roses, et le cercueil fut recloué et porté dans le jardin, à l'endroit que ma mère cultivait elle-même, et enseveli au pied du vieux poirier.



Dès le lendemain ma mère se remit avec ardeur au jardinage, et mon père l'y aida. On s'étonna de leur voir prendre cet amusement puéril, en dépit de leur tristesse. Eux seuls savaient le secret de leur amour pour ce coin de terre. Je me souviens de l'avoir vu cultivé par eux pendant le peu de jours qui séparèrent cet étrange incident de la mort de mon père. Ils y avaient planté de superbes reines-marguerites qui y ont fleuri pendant plus d'un mois."


Quinze ans plus tard, le mari d'Aurore fit changer la disposition générale du jardin et demanda à ce qu'on déplace le poirier, devenu trop gros. Le jardinier, en découvrant le petit cercueil (qu'il avait ouvert pour découvrir des ossements de bébé), il modifia les plans pour le préserver et garda le secret pendant longtemps avant de le confier à la grand-mère ainsi qu'à Aurore et son mari.

Elle conclut cet épisode en écrivant: "L'enfant resta donc sous le poirier, et le poirier existe encore. Il est même fort beau, et au printemps il étend un parasol de fleurs rosées sur cette sépulture ignorée. Je ne vois pas le moindre inconvénient à en parler aujourd'hui. Ces fleurs printanières lui font un ombrage moins sinistre que le cyprès des tombeaux. L'herbe et les fleurs sont le véritable mausolée des enfants, et, quant à moi, je déteste les monuments et les inscriptions: je tiens cela de ma grand-mère, qui n'en voulut jamais pour son fils chéri, disant avec raison que les grandes douleurs n'ont point d'expression, et que les arbres et les fleurs sont les seuls ornements qui n'irritent point la pensée."

N'est-elle pas magnifique, toute la symbolique que les deux parents éplorés ont choisi de vivre pour sentir cet aurevoir à leur façon digne de leur enfant? C'est tellement important de prendre le temps de dire aurevoir au corps de son enfant!



Lorsque Thomas nous a quittés, nous avons bercé son petit corps durant six précieuses mais douloureuses heures à l'hôpital. L'infirmière nous avait autorisé au préalable une heure ou deux mais nous refusions catégoriquement de lui céder notre enfant. Durant ces six heures, chaque fois qu'elle revenait nous sommer de laisser partir son corps que le coroner réclamait, nous refusions net et je suis aujourd'hui satisfaite que ma farouche possessivité et mon entêtement m'aient permis de prolonger ce funeste mais essentiel aurevoir.

Je songe souvent à cette "chance" inouie que nous avons eue. J'imagine comme ce doit être doublement brutal pour une mère, pour un père, de n'avoir pas la possibilité d'embrasser, de humer, de toucher, de murmurer des mots doux, de caresser le corps intact de son enfant une dernière fois.

Pour terminer cette tranche de vie d'Aurore, son père mourut quelques jours après d'une chute à cheval. Lorsque la grand-mère arriva sur les lieux de l'accident au terme d'une course désespérée, elle tomba comme une suffoquée sur le corps de son fils. On arriva avec une charette pour récupérer le cadavre et la grand-mère ne put se résoudre à s'en séparer. Deschartres lui raconta, des années plus tard, le désespoir de la grand-mère qui venait de perdre son unique enfant. Il lui dit que "tout ce que L'âme humaine peut souffrir sans se briser, il l'avait souffert durant ce trajet où la pauvre mère, pâmée sur le corps de son fils, ne faisait entendre qu'un râle semblable à celui de l'agonie."

La mère et sa belle-mère vécurent dans la même maison, chacune à sa façon le décès de leur fils propre à huit jours d'intervalle.

***

Je me suis endormie sur ces tristes pages hier soir. Mon Grand-Homme vint me rejoindre quarante-cinq minutes plus tard et me réveilla non pas par de lascifs effleurements mais plutôt par une bien déchirante nouvelle: une connaissance à lui venait de perdre son tout-petit bébé d'à peine quelques mois.

Je me suis donc rendormie emplie de compassion, d'impuissance et de douleur pour un confrère/une consoeur humaine qui venaient d'être fouettés cruellement par cette trop familière déchirure.

NB. Je donne une étoile à ceux et celles qui ont eu la patience de lire ce billet jusqu'au bout. ;-)

dimanche, avril 08, 2007

L'arme du sucre


Halloween, St-Valentin, Pâques. Autant de fêtes qui me font soupirer par tous les sucres/bonbons/chocolats qui leurs sont intrinsèques et qui impliquent pour moi des enfants agités ainsi qu'une gestion chaotique de la(sur)consommation.

La gestion des bonbons de St-Valentin se déroule très bien. Le petit suçon en coeur reçu à l'école n'a rien de menaçant et je n'offre que très rarement quelque chose de sucré pour l'occasion.

Celle de l'Halloween représente un considérable cauchemar, particulièrement en ce qui concerne les indésirables papiers. J'ai bien tenté plusieurs trucs: assurer moi-même la gestion du sac de bonbons et les distribuer sur demande seulement (devinez qui finissait par ramasser malgré tout les papiers?), laisser aux enfants bar open sur leur magot de façon à les épuiser et de passer plus rapidement à autre chose, faire un tri préalable et ne garder que les bonbons qui se mangeront assurément plus vite et disposer des autres, n'empêche que les fichus papiers et le sucre, je n'ai pas encore trouvé la formule gagnante pour m'en exempter.

La Pâques corse encore un peu le défi: les enfants ont maintes tantes, maints grands-parents (famille recomposée oblige) et deux parents recasés. Ils reçoivent donc des quantités suicidaires de chocolat.

En ce qui ME concerne, j'ai réglé la question depuis longtemps: j'achète de tout-petits chocolats dans des chocolateries fines, donc un chocolat de bien meilleure qualité et beaucoup moins de gestion de sucre (sans compter les satanées coupures de paille en papier qu'on ramasse sur le plancher pendant une semaine complète!).

Il y a deux ans, en revenant de leur week-end de Pâques chez leur père, ce dernier arborait un sourire radieux en me remettant un sac à ordures vert REMPLI de tous les chocolats que les enfants avaient reçus lors du souper familial. À ce moment, je l'avais assassiné du regard pour la bombe à retardement qu'il me remettait entre les mains et traître, il était reparti fièrement, me laissant la cauchemardesque gestion des monstres en latence.

Oh, la semaine suivante, je lui avais remis ledit sac intouché et l'avais sommé de faire dorénavant lui-même la gestion du chocolat de sa famille et son resplendissant sourire de la semaine d'avant avait malencontreusement pâli.

Notez que nous avons, mon ex et moi, somme toute une relation harmonieuse mais que nous n'échappons pas (hélas?) à d'occasionnelles vénielles mesquineries.

Ce week-end, je pris soin d'aviser les enfants: le chocolat que vous recevez chez papa reste chez papa (on n'est jamais trop prudents). Voilà un point essentiel de réglé.

Les mousquetaires reviennent toujours à la maison le dimanche soir, 20h. Curieusement, en rentrant de chez papa, ils sont toujours désespérément agités et j'ai chaque fois un mal fou à les calmer pour les mettre au lit.

Il y a quelques jours, comme papa venait exceptionnellement chercher les enfants à 20h, la Grande-Dame que vous lisez ici a osé faire une très très vilaine chose (la coquine, va!): elle a exploité l'arme du sucre.

Après tout, c'était le week-end de Pâques. Le graaand bol de crème glacée nappée généreusement de sauce butterscotch vingt minutes avant d'aller dormir chez papa était-il vraiment si répréhensible?

Après tout, n'est-ce pas un week-end de pardon?

mardi, avril 03, 2007

Sweeeeet!

Tête sur l'épaule de maman, tétant calmement sa suce avant le dodo, Bébé se laisse sussurrer des mots doux à l'oreille. Je le hume, le bécotte, lui parle dans la semi-obscurité de la chambre. Il est littéralement abandonné dans mes bras.

Puis, parmi ma cargaison de mots doux, je lui murmure que son grand frère Thomas veille sur lui d'où il est. Bébé se redresse brusquement, cherche du regard le montage de photos de Thomas et dès qu'il l'aperçoit sur la table de chevet, le pointe du doigt, se met à babiller les "rhmmm, rhmmm, rhmmm" (à la manière d'un gorille) qu'il emploie habituellement pour nous revendiquer quelque chose.

Je suis touchée qu'il reconnaisse son grand frère (il n'avait que cinq mois lorsque Thomas nous a quittés). Je m'approche de la photo, la lui présente. Il pose une petite main sur l'image tandis qu'avec l'autre, il retire sa suce et approche son minois pour embrasser tendrement le visage de son grand frère.

Puis, rituellement, il se replug la suce et dépose doucement sa tête sur l'épaule de maman.

N'est-ce pas mignon tout plein?!

Ça signifie qu'il a déjà commencé à intégrer tout ce que je lui raconte sur son frère, que tranquillement, son "répertoire Thomas" se remplit. Pour moi, c'est tellement important de garder Thomas vivant dans nos références, dans notre mémoire familiale!

Je suis faible


Je suis incorrigible, je suis vélléitaire, je suis victime de mon amour, je suis faible. Mes crocus sont tout juste en fleurs, il y a encore de la neige, de la boue et de l'eau sur mon terrain, les pépinières ouvrent à peine que déjà, je fantasme (voilà le mot idéal pour attirer encore des pervers sur ce blog...si vous saviez toutes les cochonneries qu'ils espèrent trouver ici!!).

Premier fantasme: les tournesols. J'adooore les tournesols! C'est tellement ensoleillé, tellement puissant, tellement sans prétention! Être malheureux dans un champ de tournesol, c'est impossible, non?

Second fantasme: les pieds d'alouette. Ma faiblesse (avec les marguerites et les astilbes, d'accord). Chaque année, je me promets que c'est fini, que je vais modérer la cadence, que mes plates-bandes débordent de toute façon et que j'en ai marre de devoir les agrandir toujours. On n'a définitivement plus de place. Oui, oui, je sais, je suis pitoyablement victime de mes pulsions jardinières.

Bon, l'an dernier, je n'ai rien payé puisque tout a été gracieusement réglé par la carte-cadeau Monstre de la pépinière que mes copines m'ont offert si gentiment à la mort de Thomas. C'était prévisible, j'ai TOUT dépensé.

Mais aujourd'hui... Aurais-je pu résister aux pieds d'alouettes? Les pieds d'alouette, avec leur allure de sortir on ne sait d'où à travers un massif de fleurs et qui viennent contraster si gaiement...Les pieds d'alouettes, si fiers et si fragiles à la fois. Impensable.

Tout de même, soulignons que j'ai été un tant soit peu raisonnable. Des graines, c'est tout à fait pardonnable. Mon humble avis.

Manger bio, ça coûte cher!


Depuis presque un an, nous achetons 80% de nos fruits et légumes bio. J'adore recevoir mon panier: ça sent bon, ça sent frais, je découvre plusieurs légumes et fruits, ça me donne envie de cuisiner, j'encourage l'agriculture et l'économie locales, c'est meilleur pour la santé de ma famille, meilleur pour l'environnement, le service est excellent, c'est génial et qui plus est, j'ai des élans de bonne conscience en songeant que je suis une citoyenne de plus en plus modèle.

Le hic: on gaspille plus (les légumes qu'on aime moins et qu'on ne réussit pas à passer) et...ça coûte cher!

Pour faire baisser le prix du bio, loi de l'offre et la demande oblige, il faudrait être beaucoup, beaucoup à en consommer. Nous sommes de plus en plus nombreux, certes, mais reste que je remets mes choix écolo-santé en question: ce choix représente une différence de 20$ par semaine par rapport aux fruits et légumes non bios.

Vingt dollars par semaine. Quatre-vingt dollars par mois. Neuf-cent-soixante dollars par an. Environ le coût de de nos vacances d'été. J'arrive de la fruiterie -beaucoup plus économique, il va sans dire- et je suis perplexe.

dimanche, avril 01, 2007

Un dimanche de bonnes intentions


Vos enfants vont chez leur père deux week-ends sur trois. En revenant chaque dimanche soir, ils ne manquent pas de vous souligner qu'ils ont été au Centre de la Nature, qu'ils ont été à l'écurie s'occuper du cheval Jack, qu'ils l'ont brossé, qu'ils ont été marcher à la montagne, qu'ils ont fait beaucoup du très intéressant ceci et énormément du très cool cela.

Vous, vous vous occupez de la peu gratifiante routine de la semaine: rush du matin, ménage, lavage, devoirs, éducation du très "basic".

Vous êtes certes heureuse que vos enfants prennent de l'air avec papa, qu'ils s'occupent d'un cheval et s'y attachent, qu'ils bougent. Avec papa, pas question de paresser: plein air. Beau temps, mauvais temps: plein air. Été ou hiver: plein air.

Vous trouvez parfois votre rôle bien ingrat, mais c'est vous qui avez apposé l'estampe finale sur cette entente et vous l'assumez. Votre routine, même si elle ne bouge pas assez (dans le plein air, s'entend), vous l'appréciez.

Aujourd'hui dimanche, vous décrétez qu'il est hors de question que vous restiez à la maison. Vous envisagez de sortir, d'aller marcher, de prendre l'air. Il fait si beau! Vous êtes bien résolue à faire bouger tout ce beau monde.

Fière de votre détermination et persuadée de susciter un engouement général, vous lancez l'appel en commençant par éteindre la télé. Fils Aîné, Douceur et Petit Caractère vous regardent, hébétés: "Les gars, vous allez vous mettre des bas, on part à la montagne."

Fils Aîné, blasé -Ah non! Pas la montagne! On y va toutes les fins de semaines avec papa!

Petit Caractère -Quelle montagne? Celle où il y a des ours?

Vous -Non. Celle où il y a un lac.

Douceur, soupirant -Ah non! On est tannés de la montagne! Papa nous oblige toujours à y aller!

Fils Aîné -Oui, et en plus, à ce temps-ci de l'année, ça doit être full boueux!

Vous, tentant de ne pas vous laisser toucher par ces arguments dissuasifs -Les gars! On ne fait jamais d'activités ensembles, là, j'ai décidé qu'on allait bouger! Ça fera du bien à tout le monde de prendre l'air!

Douceur, tentant de tirer parti du calvaire qui s'annonce -Est-ce qu'on peut amener nos GameBoys et jouer dans la voiture pendant que tu grimpes la montagne?

Vous, perplexe -Mais bien sûr que non! Vous venez avec moi!

Fils Aîné, résolu -En tout cas, moi j'y vais pas.

Petit Caractère -Est-ce qu'on va avoir du chocolat pour manger en haut de la montagne? Papa nous en donne toujours si on a monté sans chiâler...

Vous, regardant Fils Aîné, qui s'était déjà plaint de l'absence de chocolat dans votre sac lors des randonnées en montagnes -J'ai effectivement prévu emprunter les trucs de papa...

Fils Aîné, méfiant -Essaie pas de me motiver avec ton chocolat! Pourquoi on va pas jouer au bowling à la place?

Vous, pitoyablement déstabilisée, mais tentant de ne pas le démontrer -Je ne discute plus. Allez vous mettre des bas.

Vous montez vous effouarer sur le divan, découragée: "Moi qui pensais leur faire plaisir! Ils me découragent!", que vous lancez à votre amoureux. "Fils Aîné a peut-être raison; ça doit être boueux à la montagne..."

Votre amoureux regarde sur Internet, trouve un avis sur le site du mont St-Hilaire spécifiant de mettre des bottes de pluie à cause de la boue.

Vous, embêtée de devoir revoir vos plans -Merde. Le bowling est peut-être une bonne alternative...et nous pourrons aller après au Centre de la Nature en guise d'exercice...

***

Pendant le dîner, vous expliquez vos changements de plans. Petit Caractère: "Au bowling, je lance toujours la boule dans le...ben le...tsé, le trou, là...!"


Vous, en bonne pédagogue -On appelle ça le dalot...

Douceur, se préparant zennement un deuxième sandwich -Ah oui! Moi aussi, ça m'arrive de lancer la boule dans le pédalo...

***

Les garçons sont en feu: joyeux sans être énervés, reconnaissants, espiègles. Le salon de quille fait jouer une musique instrumentale des grands succès kétaines des années 80 et cela vous rend nostalgique.

Une alarme se déclenche chaque fois (lire ici: un coup sur deux) que Douceur empiète sur la ligne noire. Fils Aîné s'en consterne à voix haute: "Merde! Il ne voit pas la ligne! Il est vraiment "presbytère""!

Finalement, le bowling était une bonne idée. Fils Aîné était aux anges et avait une attitude franchement agréable. Qui plus est, il vous a tous plantés, ce qui rendit son attitude doublement glorieuse (vous savez, de la gloire-fierté plutôt que la gloire-baverie habituelle).

Bon, d'accord, vous êtiez tous vraiment nuls, vous la première, ce qui aurait aisément pu justifier la victoire de Fils Aîné, mais vous vous êtes tous bien amusés.

***

N'empêche, retour à l'école demain, alleluia.