mercredi, septembre 30, 2009

L'herbe du voisin

Après avoir bordé tous mes garçons (et répondu à toutes leurs demandes, fait et reçu des massages et des câlins, discuté de toutes sortes d'affaires, raconté ma journée en détails comme ils aiment), je m'effouare dans le bureau, épuisée d'un dévouement affectif intense et demandant chaque soir.

J'avoue alors à mon homme en soupirant ma jalousie de la quarantaine de minutes de plus qu'il a pour lui chaque soir pour relaxer pendant que je borde les enfants.

-Moi je suis jaloux parce que t'as plus d'enfants que moi à border.

Fin.

Décidément, non qu'on n'apprécie pas ce qu'on a, mais les avantages de l'herbe du voisin, parfois...

dimanche, septembre 27, 2009

Billet sans conclusion

Je vous ai déjà parlé de mon rapport au bonheur, vous ai expliqué que je n'étais pas heureuse sur une ligne constante et continue. Trop souvent, je prends conscience de ce qui constituait un élément important de mon bonheur que lorsqu'il disparait.

Mon bonheur est fuyant, erratique, se trouve rarement là où je le cherche, aime l'étonnement, les couleurs vives, les hiatus dans la ligne continue, la plénitude à un moment précis, l'accomplissement, l'intensité, les défis, l'incongruité.

Je ne peux ressentir le bonheur à tout moment parce que je suis exigeante face à la vie, parce que je veux tout, parce que j'établis des standards élevés à mes aspirations.

Là, en ce moment précis, je ressens le bonheur. Parce que je ne m'arrête pas souvent pour le décortiquer, j'en fais la nomenclature : j'ai pris hier soir une décision qui me turlupinait depuis un bout mais qui une fois officialisée me soulage, j'ai passé une soirée avec mon amoureux sans enfants et j'ai adoré marcher sans autre personne que MOI à traîner, je me suis sentie LIBRE, j'ai été récupérer ce pm Frédéric qui venait de préparer des crêpes avec ma mère, je me suis sentie une bonne fille de prendre un peu de temps pour elle, j'ai dans la main un Valpolicella que j'adore (et que mon homme a été acheter à ma demande sans grogner quinze minutes avant la fermeture de la SAQ), dans la mijoteuse une sauce à spaghetti qui je crois sera la meilleure de toute ma vie, sur le four trois poulets pour préparer trois repas différents dont une sauce à vol-au-vent pour mon Grand-Charme qui m'en a fait la demande spéciale il y a deux semaines, les menus de la semaine sont prêts, je suis organisée, une chanson que j'aime m'a émue à la radio, Béatrice a fait un dégât adorable de haricots sur le plancher de la cuisine en éparpillant la moitié d'un paquet et en grignotant chaque bout (ma faute, je déteste déballer l'épicerie et ça traîne sur le plancher durant des heures), il y a au four (et en voie de l'être) une recette triple de biscuits moelleux aux pépites Skor que j'ai ENFIN trouvées en épicerie et qui raviront mes grands mousquetaires qui arriveront de chez leur papa dans quelques minutes, je me sens désinvolte et juste heureuse d'être là, maintenant.

Ce soir, c'est ainsi. Demain, ce sera sans doute différent. Mes éternelles quêtes recommenceront, mon incapacité à tout gérer convenablement, mon sentiment d'être débordée et de n'avoir pas suffisamment de latitude pour atteindre des objectifs qui importent pour moi (et ce n'est pas faute d'inspiration).

Réflexion subite et momentanée sur le bonheur et désir de la partager. Aucune conclusion ne m'inspire alors voilà, comme une parenthèse restée ouverte...

mardi, septembre 22, 2009

Femme ou fille ?

Après lecture d'un billet de Peccadilles sur les femmes vs les filles, j'ai eu envie de vous partager une réflexion tirée de Tableaux (VLB éditeur), de D. Kimm - auteure québécoise très imagée et évocatrice que j'aime beaucoup lire- à ce sujet.

Voici donc:

"Je dis souvent que je suis une fille et pas une femme mais je suis incapble d'expliquer cela de façon rationnelle. Il s'agit d'une idée à la fois subjective et pourtant enracinée en moi. Disons que je vois les choses ainsi:

Les filles font ce qu'elles ont à faire quand elles doivent le faire. Elles ne sont pas abstraites. Elles ont des corps et elles sont violentes quand elles défendent leur espace vital. Les filles sont parfois seules et tiennent à le rester. Elles sont capables d'assumer leur solitude. Elles sont capables de marcher dans les injures, les larmes et la peur...sans trop trembler. Les filles sont intransigeantes et passionnées. Elles brûlent de partout à la fois, elles marchent sur une corde raide. Elles transportent au fond d'elles un geste raté, une demande avortée. Elles ont toujours perdu quelque chose, elles sont toujours un peu perdues. Les filles, quand elles y sont, elles y sont vraiment. Elles en mettent toujours trop, elles exagèrent toujours. Elles sont encombrantes, accablantes et puis elles se tiennent mal. Elles ont parfois des gestes épouvantables, juste pour voir. Elles veulent que les événements et les histoires aient un sens. Elles veulent aussi que ça saute, que ça explose -que ça fasse mal s'il le faut. Et parfois, ça fait mal.

Sincèrement, est-ce qu'une femme peut se permettre tout cela? Si oui, alors d'accord, je veux bien être une femme."

N'est-ce pas magnifique comme réflexion, animé, imagé, profond, violent et plein de légèreté à la fois.

Depuis un cours de création littéraire dans une autre vie je porte en moi comme une référence en poésie cette auteure qu'un jour, j'ai écoutée jusqu'à m'en faire vibrer d'émotions.

lundi, septembre 21, 2009

Regain savonnesque

Après une pause de savonnage durant l'été, un petit regain m'a frappée il y a quelques jours. J'étais motivée à expérimenter plusieurs idées que j'avais en tête dans le cadre du Salon des métiers d'arts de Blainville pour lequel j'avais présenté ma candidature. L'idée me plaisait vraiment. Malheureusement, je fus refusée. Semble-t-il que c'est un événement de plus en plus populaire, autant pour les visiteurs que pour les exposants qui désirent y présenter leurs produits.

Je suis quand même fière d'avoir tenté ma chance, d'autant plus que je n'aime pas vendre, me vendre de surcroît. J'avais envie de concevoir un tas de savons à écouler aussitôt pour pouvoir en fabriquer de nouveaux. Ç'aurait pu être un super trip créatif.

Voici donc mes savons des derniers jours: le foncé est un savon conçu spécialement pour (contre) l'acné. Il est composé de plusieurs huiles de luxe et à la trace, j'y ai ajouté de l'huile de calendula, de l'argile verte et de l'extrait de chèvrefeuille, idéales pour les peaux acnéiques. J'ai parfumé avec quelques gouttes d'huile essentielles de bergamote.

J'aime bien sa couleur. Le savon, après trois jours, est encore un peu mou. J'attends donc en espérant qu'il sèche bien.



Le gris est un savon argile bleu, épices et graines de pavot à base d'huiles de coco, olive et beurre de cacao. En allant luncher avec un ami la semaine dernière, ce dernier semblait trouver que j'offrais bien peu d'odeurs masculines dans mes savons. J'ai décidé de remédier à la situation.

Le dernier a beaucoup de gueule. C'est un savon marmelade conçu, comme le précédent, à partir d'huiles de coco, olive et beurre de cacao. J'y ai mis les inclusions d'un savon transparent réalisé il y a quelques mois. Bien qu'il ait le look marmelade, il est en fait parfumé à la fragrance d'orange creamsicle avec lequel Parfum m'agace sérieusement l'imaginaire depuis un certain temps. L'odeur est à tomber.

Voilà.

dimanche, septembre 20, 2009

Les cousins

D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours eu un faible pour l’esprit et la folle folie de mes chers cousins du lac Libby. Mes cousins, ce sont depuis toujours des trippeux, des artistes, des musiciens, des personnalités éclatantes. Je dis mes cousins, mais ils ont aussi une sœur. Comme chez nous, leur famille compte six garçons et une fille.

Je ne peux réprimer mes élans d’affection pour cette bande de joyeux lurons qui comptent parmi les personnes les plus intègres que je connaisse. La gang est unie, solidaire, attachante, a du coeur. Les frères – la sœur savent se tenir solidement. Ils sont beaux à voir, tous différents mais avec ce je-ne-sais-quoi de commun dans le coeur. Leur père m’a expliqué un jour les guéguerres fraternelles inévitables qui avait précédées cette cohésion.

Réunis pour des occasions, ils font de la musique. Chacun possède son instrument : percussions, plusieurs basses/guitares, piano. Une famille de musiciens qui jamment, qui rient, qui trippent, qui songent.

Ado, j’aimais suivre l’un d’entre eux dans les bars. Ses frères n’étaient jamais bien loin. Leur authenticité, leur esprit festif, leur générosité m’enivrait. Leur père, que j’aime à la folie, quand il se met aussi de la partie avec guitare ou accordéon, c’est l’un des plus émouvants tableaux qui soit. C’est lui qui a initié sa gang à la musique.

Fils Aîné m’a demandé de prendre des cours de basse, un intérêt que je n’avais pas vu venir mais que je n’aurais su lui refuser. La musique, quand on en joue, apporte tellement de positif dans une vie. La musique draine, éveille, apaise, défoule, nourrit, égaie, parle et/ou sait traduire les mots cimentés. Nous avons donc loué un instrument pour le mois, verrons ensuite si nous décidons de l’acheter. Les cours débutent cette semaine.

Mon ado était bien heureux de s’y mettre. Bien qu’il n’y connaisse pas grand-chose encore, il a bien maîtrisé les quelques notes que lui a apprises le conseiller-vendeur et le son de la basse ici fait vibrer les planchers. Ça me rend heureuse. J’entends le son de la basse, j’entends le son de mes cousins qui devient aussi celui de mon grand garçon.

Grand-Charme m’a demandé si nous pouvions acheter une batterie; il aimerait en jouer. On verra s’il change d’idée. Et puis il faut amortir le coût des instruments.

Les intérêts de Fils Aîné colorent souvent chez nous les intérêts des plus jeunes. Je ne serais pas étonnée de voir un effet d’entraînement. Si le cas se présente, ce ne sera sans doute pas moi qui m’en plaindrai.

vendredi, septembre 18, 2009

Les chatons

Une image ne me quitte pas dans les moments d'affluence de demandes infantiles. 'Savez, lorsque vous tentez de régler un truc avec un et que subitement tous les autres débarquent avec une urgence plus urgente que les autres ?

Ils me font penser à une portée de chatons yeux encore clos lorsque la chatte rentre dans sa boîte. Ils se mettent alors tous subitement à miauler en cherchant approximativement mais tout de même efficacement (trois adverbes dans la même phrase, wah, je suis en feu!) la mamelle. Le petit gris y est déjà accroché mais le gros rayé, bien qu'il parte du fond de la boîte, a du coeur au ventre et avec ses petites pattes de crocodile se précipite sur le petit gris pour lui labourer la face et impitoyablement le déloger. Il travaille fort. C'est sa faim à lui, lui, lui et à personne d'autre que lui qui compte. Le pauvre petit gris a beau téter fort mais le rayé finit par le mettre KO et gagner la mamelle.

C'est comme ça ici. La loi de la sélection naturelle. C'est souvent le même qui finit par se tasser pour laisser passer les grandes gueules dominantes. Parce qu'il se pousse avec une triste discrétion, on finit presque par l'oublier. Dans un moment d'accalmie, on réalise qu'on n'est pas revenu sur ce que lui avait à dire et qui était aussi important que les autres. On descend alors pour rectifier le tir quand il est seul et calme, comme toujours. Parce qu'il est comme le petit gris, il finit par attendre son tour docilement, quitte à le passer carrément. C'est le conciliant. Conciliant par dépit mais conciliant pareil.

Bats-toi, petit gris, fonce dans le tas! Toi aussi, t'en as, des pa-pattes de crocodiles!

Ça c'est mon idéal. Ne manque qu'une chose: la "félin" attitude.

Ça se prend où ça?

jeudi, septembre 17, 2009

Les fossés

Petit à petit, sans même que vous ne vous en rendiez compte.

Les téléphones qui s'espacent, les soupers qui se font de plus en plus rares, les rituels qui tombent puis plus rien. Plus de nouvelles. Vous n'avez rien oublié seulement, au moment où vous regardez derrière, vous apercevez le fossé et votre amie, loin derrière, n'est plus qu'un petit point noir.

Petit à petit, sans même que vous ne vous en rendiez compte.

Les attentions, le plaisir de se retrouver tous les deux, la volonté de préserver farouchement la zone intouchable, le temps si précieux lorsque passé en sa compagnie, ce que vous ressentez pour l'autre. Vous reconnaissez autant de valeur. La logistique, les petites guerres, les attentes, les besoins de chacuns, les demandes constantes, le bordel continuel, les suivis, les soupirs, les Post-it qui n'en finissent plus de s'accumuler, les listes, les tableaux de trucs à ne pas oublier, le temps que vous ragez de n'avoir pas pour appliquer à vos aspirations, le sentiment d'étouffer, de crouler sous le boulot à abattre à travers tous les feux allumés aujourd'hui à éteindre hier, la tristesse de convoiter ce qui devient peu à peu inaccessible, l'amertume d'avoir l'impression de donner beaucoup plus que ce que vous recevez, la fatigue, la sollicitation, les courses, les devoirs moraux qui vous sapent et que vous négligez, les travaux scolaires, les urgences, les pépiements constants tous en même temps. Vous prenez le temps de vous arrêter, vous en tremblez de fatigue en dépit de vos débordements de motivation et de volonté. Vous regardez derrière. Vous n'avez rien oublié. Vous n'oubliez pas. Comment le pourriez-vous? De l'autre côté, vous plissez les yeux et vous l'apercevez: un petit point noir qui pourtant possède un pouvoir capital sur votre coeur. Vous êtes vivante, votre coeur bat, vous existez, qui s'en rend compte ? Vous regardez le fossé. Vous soupirez en scrutant des ponts invisibles construits sur du chaos électrique.

mercredi, septembre 16, 2009

Au bout des menaces

Chez nous, ça traîne. À mon grand, très grand regret. Traverser ma maison sans devoir enjamber des jouets, de vêtements, de boîtes à lunch, des sacs d'école, impossible. Je chiâle, je grogne, je répète, je rouspète pour que chacun se ramasse. C'est quoi l'utopie? Une maison rangée.

Je ne vous dis pas le nombre d'objets / jouets / bidules que je dois trier en passant le balai. Souvent, les petites pièces se ramassent dans la poubelle. Tant pis pour les traîneux. Je m'énerve, brandis la menace. Je suis quand même indulgente et ai parfois la clémence de récupérer certains trucs.

Je suis arrivée hier au bout de mon indulgence en marchant sur un OTNI (objet traînant non identifié) qui m'a blessée au pied. Je crois que ça s'est infecté durant la nuit et je boite depuis mon lever. En me levant aux petites heures du matin pour m'occuper de ma fille, un autre ?&*?%//@@ de jouet. L'autre pied, cette fois. J'ai prononcé de très vilains mots que j'aurais dû hurler pour déranger toute la maisonnée et mettre tout le monde au pas.

Ce matin, tout y passe. Cartes Naruto, Lego, pattes de Bionicle, crayons feutres ainsi qu'une multitude d'OTNI. Ça traîne? Eh bien tant pis. Si vous y teniez, vous n'aviez qu'à les ramasser.

PS. Référence au billet précédent, ce serait sans doute l'un de mes échecs que j'insisterais pour qualifier de "collectif" que celui d'avoir une maison rangée et un plancher dégagé.

mardi, septembre 15, 2009

Le succès

Me suis inscrite à un cours à l'université. Un cours de conversation anglaise. Je m'étais dit que pour atteindre mon objectif d'envoyer mon manuscrit à quelques éditeurs d'ici décembre, je devais focusser sur mon livre uniquement mais je me suis vite rendu compte que si je ne m'imposais pas de situations sociales, j'allais bientôt devenir la candidate idéale pour porter l'une de ces camisoles qui s'attache dans le dos.

Mon premier cours d'anglais ce soir, donc. D'abord, déchirure de voir ma Choupi-Chouette hurler de désespoir de voir sa maman d'amour s'en aller. C'est qu'elle commence à comprendre ce que signifie sac, souliers et direction la porte, ma belle Demoiselle!

Mon cours fut bien intéressant et je suis satisfaite et même enthousiaste de m'être dérouillé la fibre anglaise. Au prochain cours, nous causerons succès. Nous devrons présenter notre plus grand succès ou notre plus grand échec et expliquer ce que nous en avons tiré.

Depuis, je réfléchis fort et franchement, je n'arrive pas à trouver. Je n'ai rien accompli dans ma vie qui me rende fière au point de dire: "Ça, franchement, c'est tout un succès et je suis vraiment fière de moi." Ai-je échoué quelque chose de particulier? Je ne vois pas vraiment ce qu'est un échec sinon une occasion de s'améliorer ou d'apprendre. Qu'ai-je échoué? Qu'est-ce que le succès? Un succès pour moi sera un acquis très ordinaire pour quelqu'un d'autre.

Je sais reconnaître mes forces, mes qualités, mes travers et mes faiblesses mais mes succès? Je trouve la question très difficile. Je peux aisément reconnaître de petits succès, de petites réussites mais quelque chose de grand, qui se démarque?

La chose dont je sois le plus fière dans ma vie, c'est certainement mes enfants, qui sont tous fabuleux, uniques, singuliers, pleins de possibilités et de potentiel mais ça, ça ne m'appartient pas, je ne peux donc pas en parler comme d'un succès. Ils sont eux, pas une réussite qui m'appartienne.

Sauriez-vous dire facilement quels sont vos succès? Vos réalisations se démarquent-elles ou du moins, la fierté qu'elles vous procurent est-elle tangible au point de ne pas cogiter longtemps sur cette question ?

dimanche, septembre 13, 2009

Appelez-moi docteur

De l'autre bout de la maison, Frédéric, sur un ton impératif : "Papaaa et mamaaan, vous me regardez pas."

-...

-D'accooord? Vous me re-gar-dez PAS.

-Oh-oh, ça sent la bêtise.

-Est-ce que ze peux zouer au médeciiin?

-Au médeciiiin?

-Vouiiii, répond le jeune homme tout fier de lui.

-Frédériic, qu'est-ce que tu fais?

La voix se rapproche, voilà Fred qui arrive sur la pointe des pieds, l'air suppliant de quelqu'un qui a fait quelque chose qu'il avait juste très envie de faire. Il se pointe dans le cadre de porte et réitère : "Z'ai vraiment krès envie de zouer au médecin."

lundi, septembre 07, 2009

Les marques distinctives

Lorsque l'on nous demande de nous décrire, la majorité d'entre nous mettons l'accent sur ce qui nous distingue des autres. Par exemple, je me désigne souvent comme étant grande et mère de nombreux enfants. Il m'est arrivé d'entendre certains de mes voisins me présenter ainsi, "la madame (!) qui a beaucoup d'enfants" ou "celle qui n'a (jusqu'à récemment) que des garçons". Ce qui nous distingue devient un moyen d'identification personnelle.

Lors d'une étude réalisée par McGuire et McGuire (1982) sur les effets de la distinction sociale, des chercheurs ont interviewé plus de cinq cents élèves du secondaire. Ils leur ont demandé de parler d'eux-même durant cinq minutes. Ces derniers avaient la possibilité de dire tout ce qui leur traversait l'esprit. Plus de 80% des élèves étaient des Blancs de langue anglaise, 9% étaient des Noirs et 8% étaient d'origine hispanique. Doit-on s'étonner que dans ce contexte, les Noirs et les élèves d'origine hispanique mirent l'accent sur leur caractère distinctif dans leur description d'eux-mêmes. À l'inverse, très peu d'élèves Blancs soulignèrent leur appartenance raciale.

De manière logique, plus un individu se distingue de ses semblables, plus il aura tendance à mentionner ses caractères distinctifs pour définir ce qui le rend unique dans un groupe.

(Psychologie Sociale, éditions Études Vivantes, p. 75-76)

Ceci étant dit, je me demande pourquoi, si des individus différents n'hésitent pas à souligner avec intégrité leurs différences (je suis unijambiste et je condamne les mères à la radio parmi des bijambistes, je suis une femme qui mesure près de 6 pieds et j'anime des débats d'idées à la télé parmi plusieurs collègues masculins, je suis mûlatre (mais on préfère me dire Noir) et je crée un précédent en présidant un pays majoritairement Blanc, je suis la seule fille de Mes Aïeux, etc.), il est parfois gênant que ce soit quelqu'un d'autre qui note cette différence.

Mon amie Myriam a perdu un petit garçon à la naissance. Elle se donne le droit (avec raison) de se désigner comme une mère orpheline. Par contre, elle m'a déjà laissé savoir qu'elle n'appréciait pas que sa marque distinctive soit "celle qui a perdu un enfant". "Pourquoi pas celle qui conduit une Honda Civic?".

Dans le même ordre d'idées, je questionne: pourquoi, lorsqu'une voiture circule près de chez moi, que son conducteur Noir semble chercher une maison et que je me doute qu'il se rend chez mon voisin Haïtien, je cherche à trouver une autre marque distinctive que la couleur de la peau pour désigner ce voisin. Je pense vite et répond plutôt pour être sûre que nous parlons de la même personne: "Euh, c'est un monsieur qui fait beaucoup de mécanique, c'est ça ?"

Ou encore, à un autre homme Noir qui cherche une adresse, mon homme de valider: "Vous cherchez une famille qui vient récemment d'emménager dans le quartier ?"
plutôt que: "C'est la nouvelle famille Noire que vous cherchez?"?

Ce ne serait nullement péjoratif de notre part de souligner la marque distinctive la plus évidente qui soit. Ces mêmes voisins ne seraient pas sans le reconnaître. Serait-on indigné que quelqu'un d'autre souligne cette différence, spécialement pour des marques distinctives ayant longtemps été des stigmates de honte ou de ségrégation? Si mes voisins étaient gays, pourrais-je me permettre de nommer naturellement sans que cette reconnaissance ne heurte qui que ce soit: "Ah, vous cherchez le couple d'homosexuels, mais bien sûr, c'est la maison juste là!"

Qu'en pensez-vous?