jeudi, décembre 28, 2006

L'avantage du nombre

Vacances des Fêtes, cinq enfants en permanence dans la maison.

Les moussaillons ont encore été trop gâtés cette année. Je n'en finis plus de ramasser papiers, livrets d'instructions, étiquettes, cochonneries diverses sur le plancher. Les Dollo-cochonneries inventées juste pour nuire à l'ordre minimal d'une maison (et à la santé mentale des parents), les babioles cheap du marché aux puces, les trucs bizarres qui fonctionnent juste dans le mode d'emploi, pas capable.

Les poubelles se remplissent vite et les enfants ne réalisent heureusement pas la disparition subite de certains éléments indésirables.

Enfants surexcités et étourdissants, pleurnichage, obstination, chicanes interminables entre Douceur et Petit Caractère et par le fait-même, mère à bout de nerfs.

Heureusement que Grand Charme s'occupe de Bébé. Ils ne se lâchent pas ces deux-là depuis le début du congé. Je ne peux désormais plus consoler mon quadrupède, ce sont les bras de Grand Charme qu'il réclame en le suivant rapidement partout et en s'agrippant à lui très fort. Grand Charme le trimballe sur sa hanche comme une petite mère.

Là, nous les avons tous mis à la porte pour un silence jouissif dans la maison. Bébé dort, Grand Homme l'accompagne tandis que les grands jouent dehors.

Le silence est orgasmique.

Je fais un peu de ménage dans le bureau.

Je jette un oeil par la fenêtre et souris: sur le flanc ouest de la butte du rond-point, un grand fort. Sur le flanc est, un fort un peu plus ordinaire.

Derrière le Fort du Flanc Ouest, quatre garçons se partageant deux pelles fortifient le fort. Deux d'entre eux montent la garde et lancent des balles de neige. Le fort s'érige deux fois plus vite que le chez le clan ennemi et de loin, on croirait presque qu'ils sont solidaires.

Derrière le fort du Flanc Est, les deux morveux du voisinage -qui semblent raisonnables aujourd'hui- tentent tant bien que mal de fournir en réfection des murs et approvisionnement en munitions.

En faisant front à mes quatre turbulents garnements, ils me donnent un break, alors je suis indulgente.

C'est assez incroyable: voilà une heure que tout ce beau monde est dehors et personne n'est encore rentré rapporter.

Je suis assez fière de ma gang, qui je dois le dire, a plutôt tendance habituellement à se morceller devant l'ennemi. Mon aîné, particulièrement, qui n'hésite généralement pas à vendre l'âme de ses frères pour soutirer un peu d'argent au diable.

Je termine ce billet et voilà ma Douceur qui va s'étendre de tout son long sur un rempart ennemi en discutant avec les belligérants au travail.

La guerre est peut-être terminée. Merde. Et mon break dans tout ça?

mardi, décembre 26, 2006

L'Oeuvre

Une maman (celle-là même qui savoure à l'instant son porto dans une de ces magnifiques coupes à porto fraîchement reçues pour Noël) a six savoureux petits garçons. Il y a près de dix mois, elle en a perdu un. Le drame de ses trente-deux automnes. Elle vous a parlé de son chagrin, de la magnificience de ce petit homme envolé, de son lien avec son papa, de la façon dont elle continue de construire autour de sa douleur pour continuer de mettre un pied devant l'autre vers ses aspirations.

Dans la famille, la vie se poursuit. Malgré le vide laissé par le départ d'un petit membre à part entière. La famille continue de prendre ses repas autour de cette très grande table. Les enfants continuent de s'obstiner, de s'insulter, de se donner des coups de pieds sous la table en accusant l'autre d'avoir commencé. Tous attablés, les membres de cette famille continuent de faire leurs devoirs, de faire des devinettes aux repas, d'écouter les anecdotes des uns et les exagérations des autres.

Noël approche. La mère confie à une artiste qu'elle tient en grand estime la préparation de l'essentiel présent à toute la famille: un symbole qui rayonnera sur les repas, sur les jeux à table. Un symbole qui frappera tous ceux qui entreront dans leur demeure. Un symbole qui représentera en force la présence du petit garçon dans le coeur de tous les membres de cette famille.

La mère rencontre l'artiste, avec qui elle avait déjà travaillé et dont elle avait été bouleversée par l'intensité et la force d'évocation des oeuvres parsemant l'atelier.

La mère s'ouvre sur l'histoire du petit garçon, raconte sa personnalité, ses habitudes, ses intérêts, la déchirure de la famille. Elle partage vidéo, photos, objets précieux et symboliques. La mère livre l'âme de son fils pour que l'artiste s'en imprègne. Elle prend bien soin de parler à l'artiste de l'intensité du regard de son fils, de l'ultra-conscience qui était livrée chaque fois que ses yeux se posaient sur d'autres yeux. Telle une éponge, l'artiste absorbe. Avec intérêt, respect, attention, sensibilité, elle écoute.

Quelques semaines passent. La mère reçoit un mail. L'oeuvre est prête.

La mère est anxieuse, sent l'émotivité au ras de tout. Elle va à la rencontre
du Symbole. Solennellement, elle retient son souffle.

***

La mère est subjuguée, bouleversée, habitée par une gratitude infinie. Elle est complètement sous la puissance de l'Oeuvre. Elle est anxieuse à l'idée que cette dernière n'atteigne pas son homme de la même manière. Pourtant, elle ne se peut plus de partager l'intensité de ce présent avec son amoureux.

Toutefois, chose incroyable, elle surmonte son impétuosité et patiente. Elle désire attendre LE bon moment.

Celui-ci finit par arriver un matin où son homme sort du bain. Elle enferme son amoureux dans le bureau le temps qu'elle installe l'Oeuvre.

Quelques minutes plus tard, elle vient chercher son homme, le prend par la main. L'homme ne sait pas trop à quoi s'attendre. Il avance vers l'inconnu.

Il arrive devant l'immense Oeuvre, s'arrête net. Silence, immobilité. Il est ébloui par l'intensité devant lui, par la force d'évocation de l'Oeuvre. L'homme est en recueillement, en fascination, en émerveillement devant ce qu'il voit.

La femme est silencieuse, respecte le Moment, la Communion des regards.

L'homme est bouleversé. Lentement, il s'approche, effleure des doigts l'une des toiles et demande à son amoureuse comment une artiste qui ne connaissait pas son fils a pu reproduire avec autant de précision le regard de son enfant, comment elle a pu introduire dans son oeuvre une troisième dimension, qui est celle de l'âme.

La mère sourit. Elle est soulagée que l'Oeuvre ait fait vibrer le coeur du père, elle est heureuse de voir cette Oeuvre magnifique rayonner sur la salle à manger, elle est enchantée, touchée, honorée qu'il ait existé dans son entourage une artiste possédant la sensibilité, la profondeur et le talent de rendre la lucidité et l'intensité du regard de son enfant envolé et que désormais, ce regard rayonnera à nouveau sur tous les membres de la famille.

La femme ne se souvient plus quel auteur a déclaré qu'un chef d'oeuvre littéraire n'était rien d'autre qu'un dictionnaire en désordre, mais elle se dit quelque chose de semblable pour une oeuvre: une oeuvre artistique n'est qu'un ensemble de lignes, de courbes, de texture et de couleur réunis, mais qui, rassemblés d'une façon précise donnent une harmonie parfaite, suggèrent une émotion, évoquent un visage et dans ce cas précis, des références symboliques, mais également la force d'un regard grandement aimé.


Lorsque de pareilles émotions nous tordent le bas-ventre devant quelque chose d'apparemment inanimé, lorsque le coeur nous chavire autant devant un ensemble de lignes, courbes, couleurs, on peut penser que l'artiste a une grande valeur et que son Oeuvre est divinement réussie.

samedi, décembre 23, 2006

Heureuses Fêtes!



Sous le gui, je vous embrasse et vous souhaite à toutes et tous de très heureuses Fêtes auprès de ceux que vous aimez!

Fantasme de garage

Non, ce billet ne portera pas sur les calendriers qui font le bonheur des garagistes. Il concerne plutôt des fantasmes enfantins... qui n'ont absolument rien de sexuel, je le précise.

Depuis Toy Story II, l'Événement le plus attendu ici est incontestablement la vente de garage. Y a pas à dire, ce film date, mais la vente de garage a toujours un attrait indéfectible et tenace pour mes enfants. Chaque année, je refuse de nombreuses demandes.

Une vente de garage, pour eux, c'est la possibilité de faire des affaires et de négocier malgré leur jeune âge. C'est la possibilité de faire du cash pour acheter de nouveaux jouets. C'est la possibilité de s'installer au coin de la rue, de vendre de la limonade et de se débarasser de nos vieilleries en accueillant les gens sur NOTRE terrain. Wow.

Oh, ils se sont déjà installés devant notre maison avec quelques babioles en attendant les rares passants. En vain. Bénéfice net: 0$. Mais ils persistent et réclament L'Événement.

Ce qui leur manque, c'est l'appui de leur mère, la coordination et le marketing qui ne vient pas et qu'ils espèrent viscéralement malgré tout.

Je leur ai maintes fois expliqué que d'organiser une vente de débarras était un de mes pires cauchemars, que j'étais bien trop orgueilleuse pour installer mes vieilleries au coin de la rue pour les présenter à mes voisins, que je n'étais pas assez ramasseuse pour avoir suffisamment de stock pour faire une vente de garage qui ait du sex-appeal et que de toute façon, quand j'avais quelque chose dont je voulais me débarasser, j'allais le porter directement à la St-Vincent-de-Paul. Pas question d'accumuler, mon espace est trop précieux.

Rien à faire. Le fantasme de la vente de garage dure, perdure et fait boule de neige.

***

Je vais border un soir mes mousquetaires. J'arrive dans la chambre de Petit Caractère et de Douceur. Je m'installe dans le cadre de porte et observe leur organisation. Ils sont couchés sur le plancher avec leur tas de couverture et d'oreillers près de la trappe à chauffage (un de leur grands plaisirs l'hiver).

Je peux à peine circuler autour de l'île de couvertures.

Grande-Dame -Les gars, c'est épouvantable. Il y a des Légo et des jouets PARTOUT dans votre chambre. On a de la misère à circuler!

Petit Caractère -C'est à cause de Douceur.

Douceur - C'est pas vrai, c'est à cause de Petit Caractère, il niaise toujours au lieu de ranger. Moi, j'ai fait ma part.

Grande-Dame -Les gars, ça n'a aucun bon sens: vous avez demandé un tas de Légo pour Noël et vous n'arrivez même pas à ranger ceux que vous avez déjà!

Douceur -Il faudrait peut-être qu'on organise une vente de garage. Comme ça, on pourrait vendre les jouets qu'on n'utilise plus et s'acheter de nouveaux Légo. Et ça ne traînerait plus sur le plancher.

Petit Caractère, compassif devant l'ignorance de son grand frère -Douceur, on ne PEUT pas faire une vente de garage, on N'A PAS de garage.

Douceur (le ridiculisant)-Ben ouiiii Petit Caractère, on peut faire une vente de garage , tout le monde peut faire une vente de garage!

Petit Caractère (haussant le ton devant l'entêtement de son frère) -TU COMPRENDS PAS. On peut PAAAS. (gesticulant pour mieux articuler sa pensée). Quand on A un garage, on PEUT, nous on peut PAS, parce que, hein, ça s'appelle une vente de GARAGE.

Je suis toujours dans le cadre de porte et les écoute en souriant. Chers cocos!

Douceur -Mamaaaan! C'est vrai qu'on a le droit de faire une vente de garage nous aussi hein, dis-lui!

Grande-Dame -C'est vrai, même ceux qui n'ont pas de garage ont le droit d'en faire....

Petit Caractère soupire, Douceur prend son air satisfait et triomphant: "Booon, tu vois".

***

Voilà l'aspect législatif réglé. Va-t-on finir par m'avoir à l'usure à l'exécutif? ........Naa!

jeudi, décembre 21, 2006

J'ai entendu

Une de mes pires craintes après avoir perdu mon fils était celle d'oublier. Pas de l'oublier lui, pas d'oublier son court passage parmi nous, pas d'oublier des anecdotes, mais plutôt oublier plusieurs de ces petits traits de couleurs qui caractérisent un individu.

Je craignais de ne plus voir aussi clairement dans ma tête la façon si particulière qu'il avait d'enjamber la marche qui mène au bureau, juste au moment où sa jambe se soulevait et faisait instantanément descendre son jeans pour dévoiler le haut de sa couche.

Ou alors l'illumination dans ses yeux lorsque j'approchais à sa portée le bocal de Triopps après qu'il m'eût demandé "A Mousch, a mousch" en pointant les minuscules poissons qu'il voulait observer de plus près (et que je m'évertuais à lui dire que ce n'étaient pas des mouches, mais des petits poissons).

Je craignais de ne plus entendre aussi clairement sa voix rauque et pleurnicharde qui nous appelait doucement la nuit lorsqu'il réclamait son lait.

Ou alors son rire, ou encore son réflexe de partir à la course se cacher lorsqu'il avait fait une bêtise et qu'il entendait des pas d'adultes vers le lieu du crime. Ou encore la façon qu'il avait de tenter de retourner ma tête vers lui avec ses petites mains en pleurant lorsque je lui tournais le dos dans notre lit le matin, ou alors la façon qu'il avait d'étirer son cou pour tendre les lèvres vers son père endormi en quête du bisou matinal.

L'image de ses beaux cheveux si fins qui volaient lorsqu'il courait ou que son papa le tenait la tête en bas tandis qu'ils riaient tous les deux du bonheur du moment, je dois maintenant me concentrer pour m'y replonger avec les détails, les contextes, les voix, les rires, la façon de pleurer.

Certaines images sont gravées dans le coeur, mais pour d'autres, cela demande un effort considérable de les entretenir pour éviter qu'elles ne pâlissent, pour éviter qu'elles ne se perdent.

Quand on a une vie si courte, on tente de rassembler tout ce qui est récupérable pour reconstituer son histoire, pour pouvoir l'immortaliser, la sceller, pour la rendre accessible sur support (j'écris, j'écris!) pour la partager avec le bébé frère qui n'aura pas de souvenirs de son aîné.

Je peux aisément me souvenir des voix de certaines personnes que je n'ai pas vues depuis des mois, mais pour mon fils, par moments, cela s'estompe, ça me chagrine de devoir faire le vide autour de moi pour entendre sa voix, ses intonations clairement dans ma tête.

Cela me cause problème, car je n'ai pas toujours le temps et le contexte idéal pour m'immerger dans mes souvenirs avec mon fils, pour valider et revalider avec ma mémoire la définition de certaines précieuses images, certaines expressions ou habitudes qu'il avait.

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui, je n'ai pas eu besoin de fournir d'efforts, c'est arrivé tout seul: j'étais installée confortablement sur la causeuse et je lisais en sachant très bien que j'allais m'endormir.

Entre deux "états", j'ai entendu clairement la voix de Thomas dans un souvenir dont tous les détails étaient précis. C'était comme si je revivais ce moment une deuxième fois.

Nous étions dans un restaurant mon amoureux, Thomas et notre bébé de trois mois. C'était donc environ deux mois avant le décès de Thomas.

J'étais installée à une table avec les deux petits. Bébé dormait dans son siège et Thomas était assis dans la chaise haute. Mon homme devait venir nous rejoindre. Thomas se balançait gaiement dans sa chaise et a aperçu son père au loin. Aussitôt, il s'est mis à le suivre des yeux.

Mon homme s'approchait et Thomas le suivait toujours. Je sentais mon bonhomme impatient que papa revienne à la table. À quelques tables de nous, mon homme s'est arrêté et s'est mis à discuter avec des collègues qu'il n'avait pas vus depuis son congé parental.

Thomas, observant d'abord en silence son père discuter, puis validant auprès de moi "papa?" ("oui mon Amour, papa va revenir"), finit par ne plus se pouvoir d'attendre et s'était mis à appeler dans le restaurant: "Papa! Papaaa! Pa-paaa!"

Mais papa était absorbé par sa discussion et n'entendait pas la quête de son fils. Thomas avait donc posé ses deux mains sur les bords de la chaise haute, avait raidit ses bras pour soulever ses fesses et se remonter. Il criait de plus bel, reprenant son souffle à chaque "papaaa!!".

Je commençais à être embarassée, n'étant pas très tolérante devant les enfants qui crient dans les endroits publics, mais la scène m'avait tout de même charmée. De voir la détermination que mon fils avait de se faire remarquer par son papa, d'obtenir un seul regard lui disant "oui, je t'ai entendu, je serai près de toi dans un instant" me touchait. Il aimait tellement son papa, mon petit homme!

Thomas ne lâchait pas son papa des yeux, insistait, le réclamait en élevant le ton à chaque demande non répondue, complètement insouciant des gens autour. Il n'avait qu'un objectif: rapatrier son père près de lui.

Entre deux états, donc, confortable et les yeux fermés, tout était clair: ces incessants "papaaa, paaaa-paaaa, PA-PAAAA!", cette façon de se redresser, de se dandiner à gauche et à droite dans la chaise haute en appelant, cette attention sur l'objet de sa convoitise, ces magnifiques cheveux qui volent au gré de ses dandinements, son intonation, sa belle voix d'enfant.

Et voilà. Comme ça, gratis. Sans efforts. Il était là. Tellement vivant!

mardi, décembre 19, 2006

Un ange, moi? Hm, mère d'ange, oui!



J'adore la lenteur de cette photo. On dirait presque je ne suis pas une fille stressée...

J'aime bien parfois me faire des accroires!


lundi, décembre 18, 2006

Réflexion maternelle

Voilà trois jours que nous donnons à Petit Caractère au Coconut son médicament pour soigner sa pneumonie.

J'observe mon petit garçon de cinq ans et me dis tristement que si notre Thomas n'avait pas attrapé ce sale streptocoque, il s'en serait tiré lui aussi comme son frère, avec les yeux cernés, les joues creuses et une vilaine toux. Il s'en serait tiré avec une simple pneumonie. Qui se soigne.

Nous nous serions probablement battus chaque matin avec lui pour qu'il avale la dose, nous aurions pesté devant son refus de la prendre. Nous aurions peut-être lâché un "Merde, Thomas!". Ou peut-être même un "Sacrament, Thomas" alors qu'il aurait fait le bacon les lèvres serrées.

Puis nous en serions venus à bout. Il aurait, lui aussi, pris du mieux. Le streptocoque n'aurait pas pu le tuer à cette vitesse folle. Thomas aurait soufflé ses deux bougies.

Et il fêterait Noël avec nous cette année.

dimanche, décembre 17, 2006

Éponges à pub

Notre lave-vaisselle est en train de nous lâcher. Ma santé mentale ne peut tolérer le problème très longtemps.

Nous partons aujourd'hui avec la gang zieuter modèles et prix.

Suicidaire, vous dites, de magasiner avec cinq enfants une semaine avant Noël? Vous n'avez pas tort, mais tel n'est pas l'objet de mon billet.

Nous faisons donc plusieurs magasins de meubles, sans compter les autres arrêts nécessaires. Premier arrêt essentiel: Brault et Martineault.

Mon homme et moi évaluons les modèles tandis que les mousquetaires circulent gaiement dans les allées et/ou s'installent confortablement dans les divans face aux écrans géants.

En sortant du magasin, Petit Caractère, galant, nous tient la porte en chantonnant: "Chez Brault et Martineault, on S'OCCUPE de vous".

Embarquons la gang dans la van puis direction magasin suivant.

Petit Caractère -On va où là maman?

Grande-Dame- Chez Corbeil

Petit Caractère, chantonnant -LE spé-cia-liste de l'élec-tro-mé-na-ger, c'est Cor-beil!

Nous finalisons les courses, revenons à la maison, installons les lumières de Noël, soupons.

Les enfants s'amusent (et s'insultent, et se chamaillent, et viennent rapporter, et pleurnichent que ce n'est pas juste parce que...(ce n'est jamais juste ici de toute façon)...).

Puis c'est l'heure du dodo. J'envoie ma Douceur et Petit Caractère au brossage de dents.

En s'élançant vers la salle de bain, Petit Caractère chantonne avec enthousiasme: "Grouuupe Quali-net pour un tra-vail sans re-touche!"

Nous n'écoutons pas la télé ici.

Mes éponges à pub, elles prennent ça où?

samedi, décembre 16, 2006

Une autre époque

La famille est en voiture, direction le Vieux-Port. Les cinq garçons sont installés. Nous avons préparé un pic-nic d'hiver qu'on mangera sur place avant d'aller voir les feux d'artifice et le show du violoneux.

On roule. J'aime ces moments. On écoute de la musique, on chante un peu. Fa la la, les garçons sont calmes mais joyeux.

Mon Homme zappe à la radio. On tombe sur La Bolduc. Il monte le volume, on sourit devant les textes et la gaîté à tout rompre du personnage.

Grand Charme, heureux de la reconnaître, s'exclame: "C'est Mary Poppins!!"

On sourit. "Non Grand Charme, c'est La Bolduc, une chanteuse qui a été très célèbre au Québec durant les années 30".

Mon Homme nous explique que pour amorcer ses cours d'histoire sur la crise économique, il faisait écouter La Bolduc à ses élèves.

Grégory trippe (comme toujours) dans sa bulle à la radio et nous propose une autre tune de la Bolduc. On est aussi crampés devant les textes, le style. Ça rend joyeux. Ça contraste avec l'époque.

Ma Douceur de sept ans allume enfin: "Aaah! Je l'sais maman c'est qui! C'est Pinocchio!"

Je souris: "Non Loulou, ce n'est pas Pinocchio. C'est La Bolduc!"

Vraiment, vraiment une autre époque.

jeudi, décembre 14, 2006

Les appâts de la garderie

La garderie de mon fils offre du plaisir pour tous les âges. "Multi-âges", qu'on dit.

Le matin, je vais y conduire mon Chouchounet de quatorze mois. Ses trois frères aînés l'ont précédé dans la fréquentation de cet important -et attrayant établissement.

Les pères adorent cette garderie. C'est que la gardienne -oh pardon, l'éducatrice, quelques fois par semaine, partage son abyssal galbe avec sa clientèle.

Et quel galbe! Un appétissant galbe qui donne envie de dévorer l'abondante chair si joliment offerte. Je n'ai jamais osé lui faire le commentaire, mais il est vraiment magnifique.

Tous les hommes apprécient le sens du partage de l'éducatrice (et j'avoue que cette générosité m'impressionne aussi grandement).

Je demeurai suprise, un jour, d'entendre le mari lancer publiquement son appréciation d'une façon peu subtile des généreux attributs de sa femme.

***

Il y eut ensuite un sympathique papa qui osa, lorsqu'il croisa mon homme dans l'entrée de la garderie un jour de Profond Décolleté, lui faire un petit sourire entendu en demandant à l'éducatrice si c'était une journée spéciale, genre fête des Pères. Il attendit la réaction de la Dame. Elle prit alors un air candide de vierge offensée en cherchant à dissimuler l'abîme sans fond.

***

Un matin, ébahi de sa découverte, mon Petit caractère s'exclama, en ressortant du tas de vêtements à plier mon splendide (et minuscule) soutien-gorge rouge : "Oooh! Mamaaan! M-J en a un PAREIIIL!!"

Je restai plantée dans le passage à regarder mon fils de cinq ans faire tournoyer au-dessus de sa tête mon flamboyant soutien-gorge les yeux ronds de bonheur de me trouver un point (quasi) commun avec son éducatrice.

En arrivant à la garderie ce matin-là, je pris volontairement mon air de parent offensé qui se voit dans la malencontreuse obligation de mettre ses gants blancs pour aborder une question délicate.

Après avoir laissé mon fils aller rejoindre ses amies, je dûs prendre le taureau par les cornes : "Écoute M-J... Je... Je suis un peu mal à l'aise... mais je dois discuter d'une chose avec toi... " (j'emplis mes poumons d'un air que je laissai sortir en soupirant péniblement).

Le regard de l'éducatrice s'assombrit. Elle était visiblement inquiète. Elle posa une main sur son abondante poitrine et attendit en prenant son souffle elle aussi.

Je poursuivis: "...(soupir) Il s'est passé quelque chose à la maison ce matin...."

M-J, la main toujours sur sa poitrine -Tu commences à me faire peur... Qu'est-ce qui se passe? (attendant nerveusement le couperet).

Je pris une grande respiration et me lançai: "Écouteee... Ce matin, Petit Caractère m'a rapporté quelque chose de... plutôt... inhabituel...et inquiétant..."

L'éducatrice, appréhendant le pire : "...qqquoiii?..."

Je poursuivis en prenant soin de déglutir avec crédibilité : "Il... il a repéré mon... plus beau soutien-gorge...rouge... en s'émerveillant du fait que tu...en avais un...pareil au mien" (je soupirai de soulagement de l'avoir enfin verbalisé).

L'éducatrice, sans mots, reposant pudiquement la main sur sa poitrine en cherchant rapidement de quoi se justifier : "Écoute Grande-Dame je... Je... Je ne comprends pas, je ..." (haussement d'épaule traduisant sa profonde et sincère impuissance).

Candidement, j'osai: "Est-ce que... tu es... toujours habillée devant mes enfants?"

Répliquant aussitôt: "Oh oui, oui, je suis toujours habillée! Je ne sais pas quoi te dire... Je sais pas comment il a pu voir un de mes soutiens-gorges... Honnêtement (haussement d'épaule)... Écoute, ça me rend mal à l'aise..."

Je retins mon rire, c'était si adorable de la voir patauger dans la recherche des mots justes allant l'innocenter. Mais bon, en piètre comédienne que je suis, je ne pus continuer à garder mon sérieux très longtemps. J'éclatai de rire et lui avouai que c'était ok, que je n'allais pas porter plainte au CPE. Moqueuse, je lui souris. Soulagée, elle posa sa main sur l'Opulence à nouveau.

***

Un autre admirateur manifeste régulièrement son appréciation des gargantuesques attributs de l'éducatrice. Il s'agit de mon quadrupède, grand amateur de poitrines féminines (habituellement, toutefois, à une échelle plus modeste).

Cet enfant -allaité, il va sans dire, a l'habitude, lorsque je le prends contre moi, de laisser reposer une de ses menottes à l'intérieur de mon chandail. Il a transposé cette habitude avec toutes les représentantes de la gent féminine. Aussitôt dans les bras de l'éducatrice, son réflexe opère, enclenchant certainement un brin d'envie chez certains individus et leurs inhibitions obligées.

***

Finalement, cela a certainement des avantages pour les femmes comme moi, particulièrement les soirs où je n'ai vraiment pas envie de me taper la tournée de la garderie et du service de garde.

Grande-Dame à son amoureux -C'est toi qui va chercher les enfants ce soir?

Grand Homme, grimaçant -Ah noon, j'ai eu une dure journée!

Grande-Dame -Moi aussi. Et je dois préparer le souper.

Soupir de Grand Homme.

Grande-Dame, découragée de devoir insister-S'il-te-plaît (yeux doux).

Grimace de Grand Homme.

Grande-Dame, lui faisant le coup du scoop alléchant -Elle portait un décolleté assez intéressant (kekling kekling!!) ce matin...

Re-soupir de Grand Homme. Hésitation peu convainquante. Oh. Reddition d'homme soumis -C'est bon. Je vais encooore céder.

mercredi, décembre 13, 2006

Rock'n roll, entraide et pauvreté

Ma Douceur, semaine dernière, alors que je le borde: "Maman, moi je connais DEUX pauvres: papa, et une fille au camp de jour cet été. Elle était tellement pauvre que son papa ne pouvait même pas payer le camp de jour et ça coûtait juste trois dollars!"

-Ça ne veut rien dire Loulou. Souvent, les gens n'ont pas d'argent sur eux, mais ils ont de l'argent à la banque. Et puis la pauvreté, c'est relatif, ça dépend de notre façon de considérer les choses. Crois-tu qu'on est pauvres, nous?

-Ben...nous, on n'est pas pauvres, on n'est pas riches, on ne manque de rien (je souris en reconnaissant mes propres paroles).

-Quand penses-tu que l'on commence à devenir pauvre: quand on n'a plus d'argent pour payer sa maison, quand on n'a plus d'argent pour se payer de la nourriture ou quand on n'a pas d'argent pour partir en voyage ?

-Ben... Les trois.

-Tu vois, ça dépend. Si on considère que ne pas avoir d'argent pour partir en voyage signifie que l'on est pauvre, alors on est pauvres nous aussi.

Grands yeux inquiets de Douceur: "On est PAUVRES?"

-Est-ce qu'on est malheureux?

(...)

***

Ce week-end, ma mère a préparé minutieusement deux boîtes de Noël avec des provisions pour son ex gendre. Elle m'a donné de l'argent afin que je puisse compléter les boîtes avec des gâteries, des provisions diverses manquant au panier initial. Puis, elle a glissé une enveloppe contenant un petit montant d'argent. Juste ce qu'il faut pour pouvoir payer un compte, faire une épicerie ou un plein d'essence.

Ce geste m'a touchée car je sais trop bien que quand on est dans la dèche, chaque sou compte et nous cause des angoisses épouvantables. Ça m'a touchée qu'elle se sente concernée par les soucis de quelqu'un qui ne fait plus vraiment partie de sa famille, mais qui demeure tout de même le père de ses quatre premiers petits-fils et à qui elle offre toujours sa considération.

"Tant qu'à aider des gens que je ne connais pas, je vais faire ma propre Guignolée dans mon entourage", a-t-elle dit.

Lorsque les garçons sont arrivés de chez leur père dimanche soir, ils ont su instinctivement que les trois boîtes de bouffe dans l'entrée étaient pour leur papa. Ils étaient emballés, soulagés, ravis pour leur père.

Ils se sont mis à fouiller dans les boîtes: "Oh papa, regarde, tu es chanceux, tu as des chips!", "Oh papa, tu as un gâteau!", "Papa-papa-papa (en lui brandissant dans le visage la boîte de Turtles), tu as du chocolat!".

Mes enfants connaissent les soucis de leur père et sont d'une indulgence étonnante. La simplicité involontaire dans toute sa splendeur, ils la partagent avec lui. Ce sont eux qui donnent de petites tapes dans le dos.

Le père en question est reparti touché, lui aussi, qu'on ait pu avoir ce geste à son égard.

***

Mon Grand Charme, cette semaine, alors que je le borde: "Maman, Laetitia, elle était vraiment étonnée que papa puisse avoir besoin d'un panier de Noël."

-Pourquoi?

-Ben, parce qu'elle me connait.

-Et alors?

-Ben, elle ne savait pas qu'elle connaissait quelqu'un qui connaît quelqu'un qui en reçoit un...

-Ça t'étonne toi?

-Non. (haussement d'épaule) Moi je suis juste content pour papa. Elle est gentille, grand-maman. Combien il y avait d'argent dans l'enveloppe?

-Cinquante dollars. Une enveloppe pour papa et une enveloppe pour nous.

-Maman?

-Hm?

-Est-ce qu'on a mille dollars dans notre compte de banque?

-Non.

(soudainement inquiet)

-Mais...mais...on est PAUVRES??

-Tu sais Grand Charme, ça roule tout le temps l'argent. Une paye est déposée, on a l'impression qu'on a un petit coussin, puis on paie tous les comptes (énumération), l'hypothèque, la bouffe, l'essence, la garderie et ensuite il ne reste plus rien et on doit attendre la prochaine paie.

(grimaçant, appréhendant la réponse) -Mais on est pauvres alors?

-On n'est pas pas riches, pas pauvres, mais on ne manque de rien. Tu sais, on a déjà reçu des paniers de Noël nous aussi. Cette année, on en aura pas, alors on aide ceux qui en ont plus besoin que nous.

(soudainement lucide) -C'est pour ça que tu prépares des repas à papa le vendredi...

Je souris, admirative devant la sensibilité et la délicatesse de mon fils de neuf ans: "Tu te souviens quand Thomas est mort? Papa a été très présent, il est venu s'occuper de vous, il faisait notre ménage et nos repas. Il était très triste lui aussi, mais il savait qu'on avait encore plus de peine que lui alors il nous a aidé sans rien dire.

Là on essaie de le soutenir un peu nous aussi."

Grand Charme sourit et remonte sa courtepointe sous son menton.

Je pense qu'il est satisfait.

lundi, décembre 11, 2006

Défunte perfection

Il y eut un temps où j'étais une femme parfaite. Avec du recul, c'était le moi que je préfèrais.

Vous savez, le genre de femme idéale: qui gère bien son stress, toujours positive, pas susceptible pour une cenne, drôle, légère, constante, organisée, solide, pas orgueilleuse. Bon d'accord, juste un peu orgueilleuse. À peine.

Et contrairement à la majorité de filles abonnées par défaut au standard féminin en règle, jamais je ne m'étais plaint de mon corps.

Si je le faisais, c'était avec légèreté, en rigolant autour d'une (ou deux ou trois) bouteille de vin avec ma gang de copines lorsque l'incontournable sujet des seins arrivait sur la table.

Puis, le temps a fait son oeuvre (le salaud! Puis-je lui refiler la facture?). Et subitement, comme si un karma de béton me tombait dessus, j'ai commencé à payer. Cher. J'ai même l'impression qu'on m'a rajouté des intérêts.

Moi qui m'étais toujours vantée d'être une fille extraordinaire qui brillait par son absence de SPM (je veux bien admettre qu'avec mon abondante progéniture, je n'ai pas toujours eu la chance de me mettre à l'épreuve, mais bon...) qui n'infligeait pas ses humeurs exécrables à son entourage, voilà que je dis ceci: on finit toujours par payer.

Angoisses, perpétuelles remises en question, susceptibilité, insécurité, orgueil. Je pourrais presque affirmer qu'on m'a attribué, en plus de mon orgueil, celui d'une ou deux autres personnes. Il m'arrive d'être découragée, état assez exceptionnel chez mon moi d'antan. Je pleure, aussi.

Pas que ce soit répréhensible de pleurer, simplement que je suis plus émotive. La fille qui braille, dans le modèle féminin de base, ça aussi, je l'avais évité. Et ça aussi, ça m'a rattrapée.

Avoir su que ces acquis étaient volatiles, je me serais fait des provisions d'insouciance pour les mauvais jours.

samedi, décembre 09, 2006

Magnifique

Les mains solides de ce père endeuillé qui se posent sur les épaules de son fils de treize ans lors d'un rituel religieux près de l'urne de la jeune fille.

*

La lueur de vie et de complicité dans les yeux de mon père lorsqu'il joue de la guitare ou de l'accordéon et que son regard croise le mien.

*

Les fesses (et les yeux, et les mains, et l'humour, et la sagacité, et la délicatesse...) de mon Homme

*

Mon bonhomme de quatorze mois qui réclame de prendre la photo trônant à côté de l'urne de son grand frère, que je la lui tends et qu'il fait des "Ooh!", des "Aah!!" et de grands yeux ronds en pointant le minois de son frère et en s'approchant pour lui offrir de magnifiques baisers plein de bave. Lorsqu'il hurle de contrariété tandis que je lui enlève la photo, j'aime croire qu'un attachement sera possible à son aîné même s'il n'est plus un petit garçon tangible.

*

Le piano à quatre mains avec mon professeur.

*

Le rire de mes enfants

*

Voir mes enfants s'entraider, se soutenir.


*

Voir mon Grand Charme de neuf ans aller lire une histoire à ses petits frères et leur apporter son cochon d'Inde pour qu'ils puissent l'embrasser avant de dormir.

*

Le bien-être intérieur lorsque je marche en montagne

*

La solidarité

*

L'amitié

vendredi, décembre 08, 2006

Prendre le démon par les cornes

C'est plus puissant que de prendre le taureau, ne pensez-vous pas?

Nous avons donc pris nos propres démons par les cornes hier soir. Nous tenions à aller offrir nos sympathies et notre soutien aux parents endeuillés.

En pénétrant dans la chapelle -la même que celle qui a accueilli notre enfant neuf mois plus tôt, nous avons été à la fois confrontés à notre propre deuil tout en étant pris d'une entière empathie pour ces parents. Nous étions passés de l'autre côté du miroir. Du côté de l'impuissance.

Comme pour Thomas, un diaporama présentait l'honorée du jour: une jeune fille de seize ans exquise, une superbe rousse qui semblait plein de joie de vivre, appréciée de tous.

Des dizaines d'ados défaits se serraient dans leurs bras, la mère endeuillée prenaient les ami-e-s de sa fille chérie contre son coeur et les ami-e-s offraient à la fois chagrin et réconfort à la maman. Bouleversant de voir cette magnifique cohésion dans la douleur.

Mes proches me l'avaient dit, il n'existe pas de mot assez puissant pour réconforter. On offre juste ce que l'on peut et le silence peut aussi faire la job.

Avais-je l'air aussi démollie? Non, moi j'étais absente d'esprit, ailleurs, dans une autre dimension, froide, complètement gelée. J'avais probablement l'air aucunement maternel de ne pas pleurer -où aurais-je puisé mes larmes de toute façon, mon stock étant épuisé? J'étais vidée, amputée d'une partie de moi-même.

Dans "l'après-Thomas", nous avons cherché à entendre des parents qui avaient vécu cette amputation. Nous avions besoin de leur voix, de leurs oreilles, leur compassion, leurs mots. Besoin de savoir qu'on pouvait encore continuer d'exister.

Nous avions -et avons encore besoin d'eux pour valider certains aspects du deuil:

Allons-nous oublier sa voix, ses habitudes, sa façon de bouger, ses expressions?

Est-ce déloyal envers notre fils de continuer à faire l'amour intensément -pire encore, d'y prendre plaisir?

Est-ce déloyal de rire encore ou de lui en vouloir atrocement d'être parti en nous laissant nous démerder seuls avec tout ce chagrin?

Pourquoi la force de mon amour pour lui n'a-t-elle pas été suffisante pour m'achever illico lorsque son coeur s'est arrêté de battre? J'ai toujours pensé que pour me protéger de cette infâme douleur, mon coeur choisirait de se saborder...

Par solidarité, par compassion, égoïstement pour nous-même également, c'était naturel de prendre le démon par les cornes et d'offrir à notre tour oreilles et voix.

Un courant de révolte m'a traversée en quittant la chapelle. Une révolte contre l'impossibilité de certitude de permanence. N'est-ce pas révoltant de ne jamais pouvoir avoir la certitude que ce que l'on construit et envisage pour l'avenir pourrait être permanent?

Cette mère regardait probablement sa fille en se disant combien elle était magnifique, combien elle était fière d'elle, combien elle était pleine de potentiel. La jeune fille avait peut-être déjà envisagé son choix de programme pour le cégep, des plans de voyages, des projets définis...

Tout n'est garant de rien! Tout peut basculer à tout moment. Et c'est ainsi que cela doit se passer. Cette incertitude devrait nous immuniser contre cette vilaine tendance à tout prendre pour acquis.

Avant de pousser les deuxièmes portes de la chapelle, j'ai aperçu cette dame âgée et distinguée. J'ai eu envie de lui parler. Je lui ai dit que nous avions perdu notre fils de 23 mois neuf mois plus tôt et que nous avions apprécié sa gentillesse de s'être occupée de notre bébé de cinq mois tandis que nous prenions un moment avec Thomas.

En fin de soirée, après l'exposition de Thomas, nous avons demandé à tout le monde de quitter. Nous sommes demeurés seuls mon homme et moi avec Thomas et Bébé.

Mon amoureux avait apporté son violon, j'avais apporté mon accordéon. Nous nous apprêtions à jouer à notre fils, pour une dernière fois, les airs qui le faisaient danser.

À ce moment, Bébé s'était mis à bougonner et la dame était entrée discrètement dans la chapelle, avait proposé de s'occuper de lui pour nous laisser seuls avec notre musique, nos aurevoirs, notre peine et notre fils.

Elle était ressortie avec le bougonneux aussi discrètement et nous avons joué. Solennellement, en réprimant des larmes, et en laissant couler des litres d'autres, nous lui avons offert ce qu'il subsistait de nous-mêmes.

La dame nous avait permis de dépasser l'heure de fermeture et n'était pas venue interrompre ce moment solennel.

Hier, nous l'avons remerciée. Elle a fait le tour de son comptoir pour venir prendre ma main dans les siennes et me frotter chaleureusement le bras, pour nous demander comment nous allions et nous signifier qu'elle avait parlé de nous à des gens la semaine dernière.

Ça m'a touchée. Cette personne qui ne nous connaît pas, qui voit défiler de trop nombreuses familles chaque semaine, s'était souvenu de nous.

Elle a refusé nos remerciements pour s'être occupé de notre Bébé, nous a avoué qu'elle s'était fait plaisir à elle-même.

J'ai béni cette femme pour son empathie et sa délicatesse, et nous sommes repartis.

Ce matin, nous y retournons. C'est le jour des funérailles.

jeudi, décembre 07, 2006

Bienheureuses bulles

Un changement de tête peut parfois adoucir des vagues à l'âme et des quêtes émotives inassouvies. Temporairement, du moins. On peut dire aussi "ça change le mal de place".

Dans ces moments, une visite chez la coiffeuse est bienvenue. Pour à peu près le même prix qu'une visite chez la psy ou un souper en amoureux au resto.

Ma coiffeuse m'attend. C'est une journée de fou dans une semaine de fou. J'adore ces moments d'arrêt où je ne peux me sauver et suis donc obligée de relaxer: massothérapeute (qui voudrait s'en sauver?), dentiste (j'adore!), esthéticienne, psy.

Chez la coiffeuse, je m'arrête aussi. Toute activité cérébrale devient heureusement inutile.

Coiffeuse -Bonjour Grande-Dame!

Grande-Dame -Bonjouuur!

Coiffeuse -Accroche ton manteau (...) Mon Dieu que t'es maigre! Comment ça va?

Grande-Dame -Ça va...

Coiffeuse m'attend près du lavabo.

Coiffeuse -Tu étais fatiguée la dernière fois, est-ce que ça va mieux?

Grande-Dame -Hm.. (je réfléchis) J'essaie d'être plus zen, de mieux gérer mon stress. Je m'en impose beaucoup...

Coiffeuse - C'est sûr hein, tu as eu six enfants... (lave, fait mousser, frotte) Me semble que t'es pâle!!! (un peu achalée) Tu te maquilles pas??

Grande-Dame- Un peu. Ça ne paraît pas? (je souris)

(Je change de chaise, Coiffeuse me suit)

Grande-Dame -Tu dois être très occupée avant les Fêtes...

Coiffeuse -C'est sûr, j'arrête pas, j'arrête pas, je suis en demande! (haussement d'épaule de fille résignée à son incontrôlable popularité). C'est ça être coiffeuse, hein!

Je regarde la photo de son neveu et sa nièce sur sa tablette: "Oh, ils ont vieilli les jumeaux de ta soeur...(j'ose)...Ta soeur et sa blonde, elles s'appellent les deux "maman"??"

Coiffeuse, un brin offusquée -Ben non! Un enfant a toujours UNE mère!!

Grande-Dame -Bon d'accord, ils ont une mère, mais l'autre, comment elle s'appelle?

Coiffeuse, sur un ton de grande évidence-Ben c'est Manou! Maman et Manou!

Grande-Dame, assumant son ignorance en la matière -Oh, je vois.

De fil en aiguille, je détaille ma rencontre du matin avec la graphiste, qui est aussi artiste peintre. Je lui explique à quel point son talent me séduit, à quel point je suis toujours prise d'émotions en traversant son atelier.

Grande-Dame -Son style me bouleverse entièrement, j'ai le ventre qui se tord en regardant ses toiles, ça me brûle par en-dedans. Ça m'émeut. Oui, c'est ça. C'est tellement beau que ça m'émeut (à simplement en parler, je ressens ce chaos d'émotions).

Coiffeuse grimace -T'es vraiment bizarre.

Grande-Dame, intriguée -Ça ne t'es jamais arrivé d'être émue devant quelque chose de beau? Un paysage, une peinture... Tu sais, je suis une grande amoureuse de Gauguin. Nous avons été il y a deux ans à Boston pour voir une fabuleuse exposition. C'était sublime de voir des oeuvres peintes et sculptées par lui, de reconnaître des toiles dont j'avais déjà lu le contexte émotif précis dans lequel elles avaient été peintes. C'était bouleversant de voir des lettres manuscrites que j'avais déjà lues dans ses carnets, mais de les voir en vrai... De voir les résultats intégraux de ses tortures mentales et ses questionnements artistiques pour illustrer dans son art des émotions, des obsessions viscérales, des techniques...

Coiffeuse -Il est donc bien bizarre ce peintre!

Grande-Dame -Il était obsédé par la peinture, il s'est dépossédé entièrement pour vivre de et pour son obsession. Il a renoncé à son statut social. Il n'était pas bizarre, il était intensément avalé par son art et il s'est assumé jusqu'au bout. Il a même abandonné sa femme et ses cinq enfants pour se consacrer corps et âme à son art. C'est un grand peintre qui a apporté beaucoup au post-impressionnisme!

Coiffeuse, indiscutable - C'est un lâche. Je m'excuse, mais un homme qui abandonne sa femme et ses enfants, ce n'est rien d'autre qu'un lâche. On n'admire pas un homme comme ça.

Grande-Dame, déstabilisée -Euh, de ce point de vue... Euh..oui, c'est triste à dire... Mais pour l'ensemble de son oeuvre (soupir d'admiration).., pour avoir été marginal et avoir osé faire des choses qui il y a un peu plus d'un siècle ne se faisaient.... Enfin, de voir son immense toile peinte jour et nuit alors qu'il était malade...syphilis... (je souris) Il avait des moeurs sexuelles particulières, a eu des expériences homosexuelles et pédophiles...Il a tout écrit, tout décrit, on partage tellement sa perception du monde quand on le lit... C'est magnifique que l'art puisse habiter quelqu'un aussi entièrement.

Coiffeuse, outrée -Ça me dégoûte. Complètement malade ce gars. Franchement!

Grande-Dame, amusée du dégoût de Coiffeuse -Oui, il avait de curieuses obsessions. Enfin...tout ça pour dire que devant son immense toile, à Boston, je suis demeurée émue, le ventre qui se tordait. Je connais les états d'âme qui l'habitaient quand il peignait. J'étais pleine de respect devant la grandeur de l'oeuvre, j'étais touchée, subjuguée. Et j'ai eu envie de pleurer. Je ne voulais plus partir.

Coiffeuse s'arrête net me dévisage: "Ben là. (...) T'es vraiment une fille bizarre (elle secoue la tête). C'est ton genre ça. T'es spirituelle toi!! Voyons donc, avoir envie de pleurer..."

Grande-Dame (sur un ton plus affirmatif qu'interrogatif)-Tu n'as jamais été émue au point d'avoir des papillons dans le ventre...

Coiffeuse me regarde quelques secondes et tente de me ramener sur Terre: "Écoute, je peux te dire que tel cadre est beau ou pas, mais de là à pleurer... (elle secoue la tête de découragement) non. Tu accordes de l'importance à de drôles d'affaires...

La capacité de s'émouvoir ne devrait-elle pas être donnée à tous?

En attendant, je vis intensément ces fascinations artistiques dans ma bulle. Na!

mardi, décembre 05, 2006

Collier de paille, réseautage et crédibilité

Je commence à prendre goût à ces épisodes de réseautage d'affaires.

Tout d'abord, il faut démontrer de l'ouverture aux autres et de l'entregent. Avoir l'air solide et professionnel. Être à l'écoute, audacieux et opportuniste. Mais pour commencer, il faut être présentable ou encore mieux, jolie. J'enfile donc une robe noire class et mon tailleur tout ce qu'il y a de plus chic.

Je me résigne ensuite aux bas de nylon, sachant très bien que même si je quitte la maison avec des bas de nylon intacts, j'arriverai à coup sûr à destination avec des mailles.

Je cherche la délicate chaîne en or offerte par mon amoureux. Honte à moi, aucun des petits coffres à bijoux joliment décorés par mes enfants ne la contient. Je cherche partout, en vain. Merde.

Il n'y a que des colliers faits avec des bouts de pailles colorées, des grosses billes de bois et des animaux en pâte à sel.

Hmm. L'idée me séduit. J'ai vachement envie de l'incongruité...

C'est le genre de fantaisie qui m'amuse : un élément incongru, absurde, pas rapport dans un ensemble cohérent. Je souris par en-dedans en tentant de demeurer sérieuse (quasi impossible) et attends les réactions.

Je m'imagine très bien avec ce collier de pailles coupées afficher mon air forcément pseudo-professionnel serrer la main de mes compatriotes d'affaires tandis que les paires d'yeux déstabilisées de mes interlocuteurs se posent sur mon merveilleux collier sans trop oser de commentaires.

Arrgh, cela me titille!! J'aime observer l'impact de ma façon de me présenter aux gens lors de nos rencontres subséquentes. Par exemple, je sais maintenant qu'à la Chambre de Commerce, je suis "oui oui, celle qui fait de la gestion de courriels et qui a six enfants!".

J'aimerais savoir (parfois à mes risques et périls) si je pourrais maintenant devenir la divine femme en superbe tailleur noir, "vous savez, celle qui avait des mailles à ses bas de nylon et un ri-di-cu-le collier de pailles de plastique ?".

Je tente le coup devant le miroir et suis satisfaite de l'effet coloré dans mon cou. C'est p-a-r-f-a-i-t. Mes enfants seraient si fiers de savoir que je porte réellement les colliers qu'ils m'ont fabriqués avec tant de coeur". C'est délicieusement contrastant.

Je grimace d'envie... mais ce ne sera pas pour aujourd'hui. Je me dois d'être une solide entrepreneure plutôt qu'une excentrique incongrue et sans crédibilité.

Je vais finalement à mon dîner d'affaires le cou nu. Je souris aux gens, je serre des mains, je discute, distribue et empoche des cartes.

Je souris devant la courtoisie et la vitalité des échanges, devant la futilité de d'autres, devant certaines personnes qui cherchent à se donner une contenance encore malhabile (j'en fais assurément partie), devant les discours narcissiques des autres membres (aussi une de mes spécialités), devant le présentateur qui se donne toujours un mal fou à essayer d'être drôle et enthousiaste pour bien refléter le dynamisme économique municipal.

À ma table, des gens sympathiques, stimulants et drôles. Une femme et un homme qui s'offrent des yeux intéressés et doux. Pour illustrer ses propos et en guise d'une évidente complicité professionnelle, l'homme ose glisser ses doigts délicatement dans la nuque de la femme qui rit de plus bel en lui jetant un regard tiers-étonné/tiers pudique/tiers-rrrrwaarr!

Je suis indéniablement une observatrice amusée dans l'univers des tailleurs-cravates.

lundi, décembre 04, 2006

Neuf mois

Voilà neuf mois aujourd'hui que notre Thomas est décédé. Neuf mois plus un jour que j’ai bercé tendrement mon petit garçon brûlant de fièvre sans me douter que c’était la dernière fois. Neuf mois plus un jour qu’il s’est endormi paisiblement dans mes bras et que j’ai été touchée de tant d’abandon à mon égard. Neuf mois. Le symbole temporel de la Vie. Le laps de temps nécessaire pour construire un humain qui deviendra autonome.

Nous avons appris ce matin que la directrice-adjointe de l'école où mon homme enseigne venait de perdre sa fille de seize ans dans un accident de voiture.

C'est bouleversant de connaître trop intensément le calvaire qu'elle et sa famille vivent en ce moment. C'est atroce de savoir que deux parents de plus ont été contaminés par cette insoutenable déchirure qui fera désormais partie de leur histoire et de leur quotidien.

La vie est un guess. On investit temps, amour, espoirs dans un enfant et on ignore si tout ça nous filera entre les doigts ou si nos petits pourront construire sur tout le capital que nous voyons avec fierté s'accumuler chez eux.

Au colloque sur la mort subite du nourrisson auquel nous avons assisté en septembre dernier, nous avons rencontré un couple des plus inspirants. Ils avaient perdu leur petite fille de vingt-deux mois pendant son sommeil dix-huit mois plus tôt.

La femme était enceinte de huit mois et elle et son mari semblaient amoureux, complices, heureux, confiants en l'avenir. Ils étaient magnifiques à voir.

Ils nous ont expliqué que suite à la mort de leur Jasmine, ils avaient beaucoup cogité sur le sens qu'ils voulaient donner à la vie, sur la façon dont ils voulaient l'honorer.

Ils ont affirmé qu'en dépit de tous les risques de souffrance qui viennent avec la venue d'un enfant, ils avaient accepté de prendre ce risque à nouveau. Après la mort d'un enfant, on repousse souvent l'idée de poursuivre la construction de sa famille, redoutant la douleur dorénavant trop familière qui peut nous attendre au tournant. Quel écorché vif voudrait prendre le risque de s'achever en affrontant le même drame une seconde fois?

Toutefois, le temps passe, adoucit parfois la perception de la souffrance. Prendre ce risque, pour un parent endeuillé, signifie aussi prendre le risque de tout le magnifique qui vient aussi avec la naissance d'un enfant. C'est là-dessus que le couple avait décidé de miser.

La certitude de tout ce beau peut sembler évident pour quiconque choisit d'avoir un enfant. Après tout, c'est la raison principale pour laquelle on choisit de concevoir un bébé. Et c’est bien ainsi pour assurer la survie de l’espèce : si nous avions la conscience absolue et viscérale de la douleur auquel on s’expose en faisant le choix de mettre au monde et de prendre sous son aile des poussinets que l’on ne peut immuniser à coup sûr contre toute agression, ne serions-nous pas terrifiés par notre propre impuissance? Cela pourrait affecter nos choix et avoir une grande incidence sur la prospérité de l’espèce humaine.

Après avoir pris malgré nous conscience que la mort et la souffrance sont aussi intrinsèques à la vie, on saisit doublement, je le crois, la valeur de chaque merveilleux moment qui nous est offert.

Ce couple avait repris confiance et était prêt à dealer avec les incertitudes et les coups bas de la vie. Leur attitude m'avait beaucoup touchée.

Je pense à présent à cette mère fraîchement endeuillée qui doit affronter la pire douleur qui soit. Je n'aurais que cette envie de lui offrir ma très perméable épaule pour qu'elle la mouille à volonté. Comme mes amies l’ont fait pour moi il y a neuf douloureux mois.

En tendant l’épaule, nous offrons une partie de notre force, mais également une partie de notre vulnérabilité. Ne pleure-t-on pas aussi ses propres blessures à travers la souffrance des autres? C’est peut-être ce que l’on appelle la compassion.

dimanche, décembre 03, 2006

Un vendredi soir


Du verglas. Une panne d'électricité. Un bébé affamé. Deux parents vont chercher du St-Hubert.

Un souper à la chandelle. Un bébé-ogre enfin rassasié. La maman le descend de sa chaise haute. Les deux parents continuent leur repas dans la quasi-obscurité.

Une fois repu, le père change de pièce. La mère fait quelques coucous au bébé, puis suit son homme. Le bébé pleurniche. La mère revient, le prend contre elle.

La mère, accotée sur un cadre de porte, discute avec le père dans l'obscurité.

Au bout de plusieurs minutes, odeur suspecte. Non, ce n'est rien d'organique. Le pantalon de bébé est humide, collant, a une drôle de texture. Mais quelle est donc cette odeur?

Le père éclaire le pantalon du bébé avec la lampe de poche. Il est bleu. Du même bleu que le mur de la cuisine. Les parents retournent sur les lieux du crime, éclairent le plancher. Une section du plancher de la cuisine est entièrement bleue.

Aux limites de l'immense flaque de peinture, des petites traces de pas bleues, de mignons orteils de bébé qu'on voudrait immortaliser là. Bébé s'est bien amusé on dirait.

Le père éclaire le visage de son fils. Il éclate de rire en voyant William Wallace. La mère rit de la situation. Bébé a la moitié du visage bleue, les vêtements bleus, les pieds et mollets bleus sous son pantalon.

Bébé est mis en quarantaine dans la chaise haute et le père et la mère se mettent à la tâche: chacun à quatre pattes, ils frottent vigoureusement la peinture avec le seul éclairage de la lampe de poche.

Soudain, le père renverse la mère dans la flaque de peinture et passionnément...Mais non, voyeurs, ils frottent toujours!! Pas le moment (snif snif) pour des fantaisies amoureuses colorées! ILS FROTTENT en ramassant les frites bleues autour de la zone sinistrée en rigolant.

Bébé, amusé de la situation, est joyeux dans sa chaise haute. Qu'il ait le visage rose, vert ou bleu n'a aucune importance pour lui: il a ses deux parents à ses pieds qui ramassent son dégât en lui faisant des coucous à la lueur de la lampe de poche. L'apogée du bonheur.

mercredi, novembre 29, 2006

Et la lumière fut

Il est de ces changements qui surviennent et qui nous éblouissent. Parce qu'on ne les attendait plus, on n'ose trop y croire lorsqu'enfin on y est confrontés.

Parfois, pour amorcer le processus du changement, on fait un move initial, comme consulter une psychologue, une travailleuse sociale, un pédo-psychiatre.

Il arrive parfois qu'en dépit des actions entreprises, le statu quo persiste.

On se creuse alors la tête, on se décourage, on peste, on soupire, on se révolte. Quelque chose doit bien être plus fort que la rigidité, l'entêtement, l'orgueil et la tyrannie d'un enfant de douze ans. Quelque chose devrait bien pouvoir vous permettre de percer la carapace, mais quoi?

On décide de prendre une voie alternative, on opte finalement pour l'hypnothérapie et Ô, alleluia, le changement radical je vous dis pas!

On regarde son enfant maintenant auréolé de sa nouvelle attitude, on se plaît à découvrir cette toute récente bonne foi, ces élans naturels pour aider, partager, rigoler sans mesquinerie. Wow.

La routine se poursuit et trois mois plus tard, on se rend compte avec désolation et épuisement que le tyran est revenu en force.

Sauf que...

Les mystères enchantés existants, parfois, naturellement, sans crier gare, un changement survient...

Un mercredi soir, tandis que les plus jeunes moussaillons s'amusent, vous entrez dans le bureau et surprenez une discussion entre votre amoureux et votre aîné.

L'aîné est en train de magasiner le prix d'un Nintendo quelconque vraiment hot sur Internet en tentant de démontrer à votre amoureux que "ce n'est pas si dispendieux".

Les deux hommes zieutent sur un site, puis un autre, et encore un autre. L'ado ne réussit pas à trouver un prix raisonnable qui pourrait convaincre le ministère des Finances.

Pourtant, avec toute sa volonté, il insiste et persiste, c'est vraiment ce qu'il désire le plus pour Noël et il défend bravement ses idéaux en articulant de son mieux ses arguments.

Devant son insistance qui commence à se faire lourde, vous rajoutez votre mot: "Fils aîné, tu connais très bien ma position sur les Nintendo et compagnie. Ce genre de jeu n'entrera pas dans la maison."

Fils aîné motivé -Oui mais c'est vraiment ça que je veux.

Grande-Dame -Même si j'étais d'accord avec le principe, je n'achèterais jamais ces machines hors de prix.

-Mais vous pourriez vous cotiser, demander aux mamies, à mon oncle Luc, avec tout cet argent, ça ne vous coûterait pas si cher!

-C'est non.

Fiston soupire, mais tenace, revient vite à la charge.

Grand Homme, légèrement excédé, se met lui aussi à revendiquer auprès de Fiston un cadeau pour Noël.

Fiston, impassible -Je ne peux pas moi. Je suis un enfant.

Grand Homme -Et alors? Qu'est-ce que ça change? Tu n'as qu'à demander à tes frères de cotiser avec toi...

Fiston, un brin agacé par la revendication parallèle -Nous sommes des ENFANTS.

Grand Dame -Ça n'a rien à voir. Boute-en-train (9 ans) prépare des cadeaux chaque année à chacun des membres de la famille...

Fils aîné -Il ne fait qu'emballer des babioles dont il ne veut plus pour s'en débarrasser...

Grand Homme- Faux. C'est toi qui agit ainsi.

Grande-Dame approuve et poursuit: "Boute-en-train offre des cadeaux tout simples pigés ça et là, mais il a cette attention, il aime faire plaisir. Il m'offre une Caramilk emballée chaque année qu'il a paye avec son argent. (Doucement) C'est un enfant lui aussi...

Changement d'attitude radical de Fils aîné. Un masque tombe.

Fils aîné -Mais là! Arrêtez, vous allez me faire pleurer!

Soudain, silence. Les yeux de Fiston s'emplissent d'eau. Il est assis sur le divan, recroquevillé sur lui-même. Cela vous alerte. Fils aîné n'offre jamais ses larmes. Vous savez qu'il est sensible, mais les larmes, ça non. Jamais.

Vous sentez bien que quelque chose se passe. Échange furtif de regard entre Grand Homme et vous. Grand Homme est visiblement aussi intrigué-ébahi que vous.

Fils aîné, tentant de sourire pour camoufler son extrêmement inhabituelle émotivité (et réussissant plutôt mal): "Et dans la boîte que j'ai emballée il y a quelques jours, vous croyez qu'il y a quoi?"

Fils aîné éclate en sanglots.

Vous osez: "Fils aîné... Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce que tu as mis dans la boîte?"

Grand Homme incrédule, en le taquinant -Sûrement des jouets dont tu voulais te débarrasser!!?!

Fils aîné, à présent incontestablement bouleversé -Si vous allez dans ma chambre, vous allez voir tout de suite qu'il manque quelque chose...

Grand Homme, moqueur -Pas ton radio, toujours?

Fils aîné tente un sourire.

Grande-Dame, touchée de la grandeur d'âme soudaine de son petit dur d'aîné -C'est ta super base de Légo.

(Il faut savoir que Fils aîné prend un soin extrême de tout ce qu'il possède, est très créatif et a construit -et perfectionné au fil des années une base de Légo invincible avec des tours, des armes redoutables, champs de force et autres particularités très recherchées par ses jeunes frères, qui n'ont jamais Ô grand jamais pu s'avancer à moins de deux mètres de ladite intouchable base sans risquer la crise de panique aïgue de leur aîné)

Fils aîné pleure de plus bel, se camoufle le visage entre les genoux.

Vous êtes viscéralement émue de la situation, doublement parce que c'est lui, le sensible qui joue toujours le Dur, lui qui refuse toujours de parler de ses sentiments, lui qui ne vous a pas montré une larme depuis la mort de son petit frère il y a presque neuf mois.

Vous vous approchez, le prenez contre vous. Voilà votre grand garçon au petit duvet de moustache qui sanglote dans vos bras tandis que vous ne comprenez rien à la situation, que même dans le regard de votre amoureux, vous ne parvenez pas à trouver d'explication à cet élan d'ouverture et de générosité subit.

À travers ses sanglots, vous entendez un "...je ne leur offre jamais rien..." empreint de culpabilité et d'auto-flagellation morale.

Le détachement affectif de cette Super base semble ardu, mais c'est précisément ce qui rend le geste honorable.

Vous êtes ébahie, déstabilisée, soulagée, heureuse que derrière cette façade de tyrannie chronique, il y ait bel et bien ce coeur que vous étiez pourtant certaine d'avoir conçu en même temps que tout le reste.

En allant border votre aîné, vous apercevez à l'emplacement habituel de la base un vide évident...

...Et en posant votre regard dans l'autre coin de la chambre, sur la bibliothèque, votre coeur se serre en voyant l'immense boîte rouge contenant l'objet d'un grand dépassement.

mardi, novembre 28, 2006

Le bout du tunnel

Papa sortira de l'hôpital demain. Après un interminable mois d'inquiétudes, de douleur de progrès, de problèmes, de régression, de crise, de progrès, de "surprogrès", il voit enfin le bout du tunnel.

Je suis heureuse. Je lui ai dit à quel point j'avais eu peur de le perdre, à quel point cette douloureuse angoisse à l'idée qu'il s'en aille m'avait fait retrouver la capacité de pleurer que j'avais perdue après la mort de Thomas (ironiquement à cause de surexploitation). Nous avons parlé des vraies affaires. Les affaires de coeur.

Il articule de mieux en mieux avec sa nouvelle langue, sa trachéo a été recousue, il a recommencé à marcher -lentement et péniblement, mais tout de même. Il mange maintenant de la purée dégueulasse et a hâte de retourner chez lui pour une purée cinq étoiles.

Le médecin lui a dit qu'il était à présent sauvé de son cancer et de lui-même. Papa n'a pas nommé le vice, il m'a simplement dit: "Tu sais de quoi je parle". Bien sûr que je le sais. Je suis tellement fière de lui!

Il a franchi une grande étape en admettant pour la première fois de sa vie son alcoolisme. Même s'il n'a pas prononcé le mot, il a quand même dit: "Tu sais de quoi je parle"...C'est tellement énorme comme allusion!

Il s'ennuie de ses chats adorés. Demain, il les retrouvera.

dimanche, novembre 26, 2006

Velours au coeur

Thomas, les derniers mois de sa vie, avait entièrement sa place dans les jeux avec ses frères.

Les grands s'amusaient à le traîner sur une couverture sur le plancher de bois franc. Thomas se laissait traîner avec joie, aimait qu'on l'emballe dans une boîte de carton et qu'on s'étonne avec exclamation lorsqu'il en sortait subitement, prenait plaisir à courir dès qu'il voyait dans mes yeux et mes gestes lents que je n'attendais que sa fuite pour le pourchasser et le dévorer.

Il pleurait en nous voyant tous disparaître en jouant à cache-cache. Il fallait toujours un volontaire (moi, le plus souvent) pour se sacrifier et le prendre avec lui. Thomas, de sa cachette, faisait du bruit, placotait et trahissait involontairement celui qui avait eu la grandeur d'âme de le prendre sous son aile. Mais il était heureux. Heureux d'être inclus dans le jeu.

Les garçons se construisaient des cabanes en deux clans et Thomas était le seul autorisé à n'avoir pas d'allégeance fixe. Il pouvait passer de l'une à l'autre et on ne lui en tenait pas rigueur.
Petit Caractère, qui vient juste avant Thomas dans la fratrie, était proche de son cadet. Thomas était quotidiennement accaparé par les excessives démonstrations d'amour de son aîné. Il finissait par le repousser, n'en pouvait plus de tant d'affection. Il réclamait sa place dans les jeux de la fratrie, semblait être prêt à laisser son titre de réceptacle à câlins pour graduer vers un titre de joueur à part entière.

À présent, le gouffre est béant entre mes 4e et 6e fils. Comment le 6e pourra-t-il se lier naturellement avec les autres puisqu'il manque un maîllon? L'écart de quatre ans est trop grand, ils ne pourront s'intéresser aux mêmes jeux, la continuité étant brisée par cet hiatus monstre qu'est la mort.

***

Quel bonheur ce week-end de constater mon erreur! J'observais mon quadrupède de 14 mois enjoué marcher en riant vers Petit Caractère dans le but de le mordre. Il fallait voir ce dernier se pousser pour éviter la redoutable morsure d'un bébé apparemment inoffensif!

Bébé, dont l'enthousiasme et la volonté de mordre grandissaient au prorata des tentatives d'évitement de l'autre, poussait de petits cris de joie avant de rire aux éclats chaque fois que ses dents réussissaient à se poser sur la chair de son aîné. Un grand, grand velours au coeur.

Et ce matin, Petit Caractère, fidèle à son habitude, assis à côté de la trappe à chauffage sur la courtepointe avec Bébé en lui énumérant gaiement: "Lapin, coq, écureuil, chèvre, Caaanaaard!!!"...

Le splendide rire aux éclats de Bébé qui résonne de l'autre bout de la maison après chaque "canaaard"...un grand, grand velours au coeur.

Je vais les espionner pour observer la scène de plus près: Petit Caractère a été chercher un yogourt -qu'il partage avec le petit quadrupède. Entre deux bouchées, il énumère les quelques animaux d'un livre dont il regarde les images avec bébé et après la nomination du dernier animal, il se frotte le nez sur le bedon nu d'un bébé ivre de bonheur qui offre à qui veut l'entendre ses délectables éclats de joie.

Soudainement, un murmure d'espoir que malgré la sourde douleur, l'absence du cinquième maîllon n'empêchera pas le quatrième et le sixième de se lier, que ma famille ne sera pas scindée entre "l'avant" et "l'après".

jeudi, novembre 23, 2006

Tranche de soirée

Tranche de souper

Attablée, la famille commence à déguster sa salade (les divines salades étant ma spécialité).

Fils aîné -Maman... Certaines feuilles de ta salade goûtent bizarre...

Grande-Dame -C'est du kale. C'est délicieux au goût et excellent pour la santé.

Fils aîné -Du kale? (grimace) J'aime pas vraiment ça. Je le mets de côté...

Charme de 9 ans -DU "KALE"?!!? (yeux subitement allumés) Wow, comme Kevin-"Kyle"!!!

Grand-Homme -C'est quelqu'un à ton école?

Fils aîné à Grand-Homme -Ben non, toi, tu peux pas le connaître!

Charme, enthousiaste -Non, c'est un gars dans Loft Story!!!

Échange à la fois interrogatif et exclamatif de regard entre Grand-Homme et Grande-Dame.

Grande-Dame, pas certaine d'avoir bien entendu -C'est qui?

Charme, encore plus heureux de l'intérêt que l'on manifeste à son personnage-mystère -C'est un lofteur.

Fils aîné -Il est bisexuel.

Approbation enthousiaste de Charme.

Échange de regard interrogatif et exlamatif entre Grand-Homme et Grande-Dame.

Grande-Dame à Fils aîné: "Qu'est-ce qu'un bisexuel?"

Charme, heureux de connaître la réponse et d'instruire sa mère, devance son frère -C'est quelqu'un qui aime les hommes ET les femmes.

Grande-Dame perplexe devant la culture sexuelle de son fils de neuf ans -(...)

Fils aîné un peu blasé à Charme -Elle le savait déjà... (en levant des yeux désabusés vers sa mère)

***

Tranche de fin de soirée

Je fais du classement dans un tiroir fourre-tout, y trouve des photos de Thomas oubliées depuis longtemps, des cartes de félicitations reçues à sa naissance, son baptême. Je soupire d'amour de les regarder. Souvenirs nostalgiques et doux-amers devant les cartes de souhait de son premier -et unique anniversaire.

Je vais border les petits, leur partage les photos trouvées. Ils parlent de moins en moins de leur petit frère décédé, mais ils sont heureux et excités devant la "tendreté" des images retrouvées, des souvenirs qui jaillissent. Nous parlons un peu de lui. Ma Douceur réclame une de ces photos pour renouveler celle qu'il garde près de son lit (zut, il me faudrait des doubles!).

Ils s'avancent chacun leur tour vers les photos que je leur présente et embrassent leur bébé-frère sur chacune des images.

Je suis heureuse qu'ils gardent dans leur coeur amour, tendresse et loyauté pour leur petit frère devenu ange avant de devenir homme.

mardi, novembre 21, 2006

Coiffeuse story, partie 2

Et ce soir, c'est moi qui tiens les ciseaux.

Il est grandement temps que l'on s'occupe du toupet de ces moussaillons, qui doivent lever la tête pour voir de l'autre côté de leur rideau capillaire.

Ma Douceur est le premier client à venir poser ses fesses sur la chaise. Outre le gigotage parce que les cheveux dans le cou, dans le dos et sur les épaules, ça piiiiiique, je suis étonnée du calme auquel j'ai droit pour aiguiser mes piètres talents de coiffeuse sur mes pauvres cobayes d'enfants.

Mon Petit Caractère (que ce soir, j'appellerai Petit Charme) vient à son tour poser ses petites fesses sur la chaise tandis que son prédécesseur est déjà au bain.

J'ai presque du regret à couper ses belles mèches dorées sur le front qui lui vont à ravir et qui lui donnent cet air si délectable. Petit Charme se tient tranquille, est d'une patience exemplaire.

Je suis agréablement surprise: aucun pleurnichage, aucune plainte sur le tirage de cheveux ou la crainte de voir son sort réduit par ma faute à celui de Van Gogh. Je suis tellement plus efficace quand ils sont coopératifs!

Au suivant. Mon grand Charme s'asseoit sur la chaise.

Je me mets à la tâche de mon dernier client pour ce soir.

Hurlement de terreur en provenance de la salle de bain. Inquiète, je me retourne.

Voilà mon Petit Charme décontenancé, paniqué, littéralement horrifié qui marche vers moi d'un pas décidé après avoir croisé un miroir et qui semble résolu à déposer sa plainte officielle:

"Mamaaaaaaan, je voulaiiiiiis paaaas que tu me coupes les cheveuuuuux comme çaaaaa!"

-Oh, tu n'aimes pas ta coupe?

-Noooon!!!! Mamaaan, je veux paaas comme çaaaaa, je veux comme avaaaant....

-Hmm, on pourrait te mettre une perruque pour aller à l'école demain? Ou mettre l'horrible masque de Grand Charme en attendant que tes cheveux repoussent?

-Noooon! Mamaaaaan! Je veux que mes cheveux soient COMME AVANT. Là je ressemble trooop à papaaaa! Je suiiiis laiiiid, vraiment trop laiiiid!

(Hmm. "Ton père, tu honoreras"....)

La discussion se poursuit dans son lit (j'essaie de le convaincre que son père n'est pas laid et Grand Charme, loyal allié de papa, fait l'éloge de la beauté de leur paternel), je tente de calmer sa panique, il est vraiment désorienté d'avoir perdu ses repères capillaires. Il me demande si ses cheveux repousseront.

-Oui, bien sûr. Les cheveux poussent tous les jours. Leeentement, mais ils poussent tous les jours.

-Demain, ils vont avoir poussé?

-Euh, ils vont déjà avoir commencé... mais ce ne sera qu'à Noël qu'ils seront à peu près longs comme avant qu'on les coupe.

Petit Charme me donne le bénéfice du doute, est rassuré et s'endort paisiblement, le coeur gonflé d'espoir de retrouver son long toupet doré.

Au matin, dès son réveil, Petit Charme se précipite vers la salle de bain. Elle est occupée. Il piétine impatiemment sur place en attendant que son occupant sorte. L'occupant finit par ouvrir, brusqué par ce qu'il croit être un pipi matinal urgent.

Petit Charme grimpe sur la marche et se plante devant le miroir, espérant y retrouver une toison plus familière.

Dépit. Désillusion. Défaite. Désespoir. Déconfiture.

C'est à ce moment qu'il doit encaisser la dure réalité.

vendredi, novembre 17, 2006

Fleurs pour parents

J'apprécie toujours les rencontres aves les enseignants de mes enfants. J'aime avoir du feed-back de leur évolution en-dehors du cadre familial.

Je connais mes enfants pour ce qu'ils sont avec moi, mais n'ai pas vraiment d'éléments de d'observation (pour éviter d'utiliser le très vilain "comparaison" ;-) ) avec un groupe du même âge. À la maison, ils sont eux, je connais leurs forces, leurs tendances, les indicateurs de ce qui ne va pas. Ils sont ma référence pour un enfant de leur âge respectifs.

En discutant avec leurs enseignants, j'apprends à connaître le développement social de ma progéniture et cela m'enchante d'ouvrir la porte sur un aspect d'eux auquel je n'ai pas souvent accès.

C'est toujours un bonheur de se faire flatter indirectement par les commentaires des profs, de ressentir cette fierté à l'idée que ces petits garçons que j'aime plus que tout, même loin de mon rayonnement protecteur, ils cheminent et accumulent du bagage pour nourrir leur caractère, personnalité, leurs connaissances.

Ainsi, mon Petit Caractère de cinq ans "est un élément positif dans le groupe, un leader qui aime aider les autres de façon constructive, qui prend confiance en lui et qui règle ses conflits jadis classés avec les poigts de mieux en mieux avec les mots. Ah, et il est cultivé, a un bon vocabulaire et est très articulé pour son âge". Flatterie numéro 1.

Je connais peu l'enseignante de ma Douceur de sept ans. Elle est nouvelle à l'école et ses interventions écrites et la rencontre de début d'année me donnaient l'impression d'une prof très exigeante, très axée "discipline". J'avais hâte de la rencontrer pour valider mon impression.

Finalement, échanges intéressant, elle sait où elle s'en va, elle tient les rênes de sa classe serrés. Nous avons partagé nos observations. Mon fils a un esprit de synthèse incroyable que je prends plaisir à découvrir. Il nous expliquait cette semaine ce qu'il avait appris sur les Égyptiens, nous détaillait la hiérarchie des dieux égyptiens "qui sont différents du dieu unique de la religion catholique". Le prof me disait à quel point elle trouvait ma Douceur cultivée pour son âge, son vocabulaire recherché et sa capacité de partager de l'information pertinente au bon endroit dans une discussion admirable. Flatterie numéro 2.

L'enseignant de Boute-en-train a eu lui aussi sa dose de bons mots: un élève aidant, généreux, qui a un peu tendance toutefois à s'asseoir sur sa facilité alors qu'il pourrait se surpasser aisément avec un minimum d'efforts. Il expliquait qu'il avait observé le côté humoristique et théâtral de mon Boute-en-train, qu'il avait une belle complicité avec lui et que mon fils aimait bien aller lui partager des jeux d'esprits assez vifs "pour son âge".

Dans ma tête: "Ça y est, il a été grossier, nooooon, j'ai faillit!!!"

Le prof rajoute: "Oh, mais rien de déplacé! C'est simplement qu'il a une présence d'esprit, un type d'humour qu'on ne retrouve pas habituellement chez un enfant de 8-9 ans."

Me voilà rassurée. Flatterie numéro 3 (ma fierté de mère commence à être drôlement gonflée).

On passe ensuite à ma première rencontre avec un conseiller du secondaire. Je ne m'attendais à rien d'inquiétant, mon aîné étant un élève appliqué, studieux et autonome.

Voilà mes flatteries numéro 4: bon élève, discipliné, à son affaire, qui s'affirme de plus en plus et qui a assez d'aplomb pour aller négocier avec tact et doigté une note qu'il juge injustifiée avec un enseignant.

Wow.

Mes fils sont évidemment imparfaits et je connais chacun de leurs défis à relever en classe, mais n'est-ce pas magnifiquement agréable d'apprendre à connaître les aspects cachés de ces petits humains que nous avons engendré, de découvrir le potentiel de ces jeunes personnes qui sont aussi une partie du capital d'une nouvelle génération?

***

En contre-partie, depuis que je suis en amour avec un prof, les rencontres avec les enseignants me font sourire. L'observation de ces profs pendant la rencontre nourrit mon imagination quant aux discussions de salles de profs.

À force de débats passionnées entre mon homme et un de ses amis enseignants sur la pédagogie, la réforme, la discipline, les solutions à tous les maux de l'éducation au Québec et surtout, surtout, les parents (aaaah, les parents, qui semblent être le calvaire chronique de plusieurs!), je ne peux m'empêcher de sourire à imaginer qu'au moment où je m'asseois sur la chaise en face de l'enseignant de mon fils, je deviens moi aussi le calvaire d'un prof.

Je tente alors de contenir mon amusement (j'ai toujours en tête les discussions enflammées), ne voulant pas avoir l'air trop insolent par mon sourire déplacé.

J'ai de l'estime pour ces enseignants habités par leur passion et leurs idéaux, mais je ne peux m'empêcher de ressentir un élan de réelle compassion pour certains enseignants épris d'éducation et qui, tout frais sortis de l'université avec des idéaux plein la tête, s'affichent comme des spécialistes incontestables dela pédagogie venant étaler généreusement l'Ultime Savoir en méprisant de façon à demi-avouée les parents qui apportent l'enfant à l'école comme de la simple eau au moulin.

La pédagogie est-elle à ce point universelle et indépendante de l'individualité de chacun? Un parent et un prof qui travaillent de pair, c'est envisageable et même souhaitable, non? Le parent, par sa connaissance de son enfant, peut aider l'enseignant à peaufiner ses méthodes avec lui. En quoi le parent est-il un si lourd fardeau pour l'enseignant? Le prof se sent-il discrédité dans son rôle?

La directrice de l'école de mes moussaillons -femme que j'estime, m'a dit lors du dernier conseil d'établissement suite à une proposition que j'apportais que je ne vivais pas dans le vrai monde, que les parents sont centrés sur leurs besoins et leurs droits par opposition à leurs responsabilités. Les profs et les responsables du service de garde étaient unaniment d'accord.

Dans ma toute bonne foi, je suis demeurée perplexe. J'ai déjà croisé l'un de ces parents, qui m'avait grandement consternée par son désengagement total vis-à-vis de son enfant et que je croyais être une exception.

Nous avons une petite école de quartier harmonieuse, un brin hétéroclite et à la clientèle majoritairement d'origine québéboise et dont les parents se situent dans la classe moyenne, je discute avec d'autres parents -hétéroclites aussi, ne partage pas les opinions de tous, mais la plupart me semble des parents soucieux du bien-être de leur enfant, investis, semblant accorder à leur éducation une importance minimalement "correcte" (j'ose à peine apposer d'étiquette).

Le portrait que me dresse des parents le personnel de l'école est tout autre. Beaucoup trop de parents sont laxistes quant à l'éducation de leurs enfants, trop peu impliqués, peu coopératifs, nourrissent mal leur enfant, les sous-habillent en hiver, ne respectent pas les conventions implicites et explicites de l'école, etc.

Encore une fois, je demeure perplexe. Est-ce que je vis vraiment dans ma bulle?

Suis-je si naïve?

mardi, novembre 14, 2006

Tendres moments

Le trajet vers Sherbrooke est toujours à la fois angoissant et excitant.

Angoissant parce que malgré le portrait quotidien que m’en dresse sa femme, je ne conceptualise pas facilement l’état physique et psychologique dans lequel je trouverai mon père et qu’en dépit du fait que le cancer soit à présent tout gratté, je ne peux m’empêcher d'appréhender que je me dirige vers lui pour une dernière fois.

Excitant parce que c’est toujours un soulagement merveilleux de le serrer dans mes bras, de le voir vivant et de percevoir dans ses réactions à ma vue cette joie partagée (qui ne la ressentirais pas?).

Hier, c’est avec une indescriptible émotion que j’ai entendu le son de sa voix au téléphone. De petits sons, mais c’était bien sa voix, que je n’avais pas entendue depuis son opération. J’ai pu percevoir l’enthousiasme dans son ton lorsqu’il a validé auprès de sa femme que je venais le voir.

« Oui oui, ta fille s’en vient te voir, elle sera là en fin d’après –midi ».

Inutile de se forcer pour parler, c’est déjà assez difficile pour lui, mais me savoir attendue avec impatience et sentir sa joie au bout de fil a décuplé ma hâte d’arriver au bout du long trajet.

Pour l’occasion, j’ai retiré mes moussaillons de l’école pour l’après-midi. Quelle joie de rater l’école pour aller jouer avec les Légo super cool de mamie et passer une journée privilégiée avec grand-maman! Mon grand devait dire adieu à son cours d’arts plastiques, l’apogée du bonheur scolaire pour lui, mais bon, dans des moments comme ceux-là, coûte que coûte, on s’organise!

Quelques heures plus tard, je suis enfin arrivée à l’hôpital sur l’étage de papa. Mon cœur s’affolait de la même façon que si j’avais un rendez-vous galant, mais c’est à la rencontre de mon père que j’allais.

J’ai vu sa femme au bout du corridor. Elle a souri, nous a envoyé la main. Je suis entrée dans la chambre et mon cœur battait un peu plus fort. J’ai aperçu papa assis dans une chaise roulante. Son visage bouffi s’est illuminé lorsqu’il m’a vue. Je lui ai souri et il m’a serrée dans ses bras.

Je n’aurais pu le reconnaître si je l’avais croisé sur la rue. Je n’aurais jamais soupçonné un visage humain (tant connu et tant aimé de surcroît) d’avoir la capacité d’enfler à ce point. Ses beaux yeux bruns étaient réduits à de simples petits traits. Sa femme m’a confié : « Je suis contente que tu le vois comme ça. Si tu l’avais vu hier! Son visage était trois fois pire. » Ce que j’ai vu était assez inimaginable, imaginer trois fois pire était impensable.

Nous avons parlé. Sa trachéotomie ayant été recousue, j’ai pu converser avec lui autant cela se pouvait. Je l’ai entendu faire de son mieux pour parler avec sa nouvelle langue. Je devais être très attentive pour bien comprendre ses mots.

Cela m’émouvait d’être près de lui, impuissante et bienveillante à lui caresser la cuisse. Il y a huit mois, dans cette chambre d’hôpital où nous bercions le corps vide de notre petit garçon envolé durant la nuit, la situation était inversée : c’était papa qui était assis près de la mère effondrée que j’étais et qui me caressait la cuisse en silence, trop impuissant et effondré lui-même pour pouvoir dire quoi que ce soit. Qu'aurait-il pu dire de toute façon? Dans une situation comme celle-là, la solidarité est silencieuse. Seule la présence compte.

Et puis, comment réconforter son enfant qui vient de perdre le sien quand on a soi-même le cœur en miettes? C'est le comble de l'impuissance. Pour un parent, cela doit être atroce et demander une force hors du commun, mais nous avons besoin de cette force. Dans ces moments où simplement vivre devient insoutenable parce que l’on est amputé d’une partie à la fois essentielle et indépendante de soi-même, toutes les forces de l'entourage deviennent vitales.

Ainsi, c’est à mon tour d’offrir mon épaule et pour tout dire, j’en ai autant besoin que lui. Hier, nous avons parlé. Pas beaucoup de mots. Juste les nécessaires.

Papa ne se souvenait plus s’il avait signé sa carte de don d’organe. Sa femme lui a dit que oui, il a hoché la tête comme pour nous dire « Parfait, voilà une bonne chose de réglée».

Il a profité d’un moment d’absence de sa femme pour se dépêcher de prendre ma main entre ses deux mains enflées pour me regarder tendrement à travers les deux petits traits qui lui servent de yeux. Deux grosses larmes ont obstrué les minuscules trous et avec beaucoup d’amour, il m’a murmuré en ne lâchant pas ma main : « Ton frère et toi, vous êtes les deux plus grandes réussites de ma vie » (ce que mon amoureux a commenté par un « Je ne sais pas pour ton frère, mais en ce qui te concerne, je suis tout à fait d’accord avec ton père! » (mon homme a assez souvent raison, je dois l’avouer). Papa a étouffé son sanglot, puis sa femme est revenue.

J’imagine que dans de tels moments de souffrance, on ne peut faire autrement que de faire un genre de bilan de notre vie, regarder en arrière et qualifier l’ensemble de ses accomplissements.

Nous avons été marcher dans le corridor. Papa se tenait à sa petite femme jusqu’à ce que je me propose comme une béquille beaucoup plus appropriée pour ses 6’2". Il était émotif. Cher papa… Après sept jours presque entiers sans sommeil, comment garder un moral d’acier? On flancherait à moins. Je lui ai proposé un massage de la nuque et l’idée lui a plu.

Au retour à sa chambre, il s’est étendu. Je me suis assise près de lui sur le lit et doucement, j’ai massé sa nuque et son cuir chevelu, là où la tension s’accumule toujours. Après quelques minutes, il s’est endormi. Je le regardais, maigre et soudainement abandonné et vulnérable. J’avais l’impression de m’occuper d’un de mes enfants.

Nous avons éteint les lumières, l’avons embrassé, lui avons laissé un mot sur le tableau magique, puis nous sommes repartis vers la métropole.

Ce soir, je ferai téléphoner ses petits-fils. Papa m’a dit qu’il serait heureux d’entendre leur voix.

lundi, novembre 13, 2006

Chicane de fratrie

Journée efficace, soirée bien remplie, mais tranquille.

Maman roule ses sushis en se délectant à l'avance.

Les quatre grands garçons arrivent de chez leur père. Ils saluent maman, discutent un peu, puis la fratrie se divise: le tyran de 12 ans, Candide de 7 ans et Petit Caractère de 5 ans d'un bord (dit le clan du lapin) et Boute-en-train de 9 ans (dit le clan de cochon d'Inde) de l'autre.

Le clan du lapin va s'installer dans une chambre pour construire une base de Légo vraiment cool avec un champ de protection invincible.

Le clan du cochon d'Inde tente de s'approcher pour participer à la construction, mais on le rejette illico.

Ça, c'est vraiment dur: lui qui partage, est conciliant, généreux, attentionné aux autres, voilà qu'on oublie tout de ses égards passés et on l'ostracise cruellement sous prétexte qu'il leur faut un ennemi pour tester la résistance du champ de protection rouge (en réalité, maman sait bien que l'unique raison est que son aîné ne veut pas de son frère le plus âgé, qui lui s'affirme plus que les autres...aucune démocratie pour un tyran, c'est la dictature, point à la ligne).

Le clan du cochon d'Inde est triste et va chercher son petit animal -un cochon d'Inde, vous l'aurez deviné. Tristement, il le colle dans le creux de son épaule et le caresse en lui confiant sa désolation que ses frères le mettent de côté ainsi.

Il marche de long en large du couloir en lui sussurant tendrement : "T'es la plus belle animale de la maison, oui Gripoil, t'es la plus gentille... Au moins, toi tu es mon amie..."

En backround et à la rescousse de leur mascotte, les membres du clan du lapin s'écrient: "Aaargh! Jamais d'la vie! Grimpp est bien plus belle que Gripoil, bien plus douce aussi...Gripoil, elle est même pas belle!"

S'ensuit une série d'insultes -que je tairai ici- contre les deux petits animaux de part et d'autre des clans. On cherche à blesser l'ennemi par la porte ultime de la vulnérabilité: le cochon d'Inde et le lapin. Pis encore, on porte atteinte à leur intégrité physique.

Aucun des clans ne voulant admettre la suprématie de la beauté de l'animal du clan opposé, maman décide d'intervenir.

Après analyse de la situation, elle choisit d'enrayer le problème à sa source: le grand tyran sournois qui encourage les petits à insulter l'animal pour blesser son petit propriétaire. Il doit donc quitter la chambre et se diriger vers la sienne, ce qu'il exécute fidèle à son habitude, en traînant de la patte et en maugréant que c'est injuste, qu'il n'a rien fait, qu'il est toujours puni pour les autres.

Maman fait la leçon aux petits. Elle trouve cela très mesquin de leur part de rejeter Boute-en-train ainsi sous aucun motif, uniquement parce que le tyran l'a décidé. Elle leur rappelle la bonté du Boute-en-train, qui les accueille toujours dans sa chambre et partage quotidiennement tout ce qu'il possède de plus précieux avec eux. Elle n'admet absolument pas qu'ils puissent accepter de proférer des insultes à l'endroit de son animal pour l'atteindre, tout cela parce que Tyran initie le bal et les encourage à le faire. Elle leur rappelle qu'ils ont toujours le droit de protester face à un tyran, que ce soit lui ou un autre.

La tempête semblant calmée, le message semblant être entendu, maman retourne à ses sushis.

Elle entend -et écoute- avec intérêt la discussion qui se poursuit dans la chambre tandis que Boute-en-Train s'est installé naturellement sur le plancher avec ses deux petits frères pour continuer la Super Base:

(Boute-en-train)-(...) Pourquoi vous vous laissez manipuler par lui? Il vous fait faire tout ce qu'il veut et lui ne partage jamais rien avec vous, ne vous laisse même pas aller dans sa chambre. Il se permet tout ce qu'il veut avec vous et vous acceptez tout, pourquoi?

(Candide)-Ben (soupir).... Il veut venir nous construire des bases... (haussement d'épaules)...

-En plus, vous faites comme lui quand il insulte Gripoil, ça c'est vraiment pas correct, ça me fait de la peine. Peux-tu m'expliquer, Candide, pourquoi le matin, tu me supplies de te laisser prendre Gripoil et tu te plains que je ne te la laisses pas assez et que là, ce soir, tu te mets à l'insulter?

-Tu as insulté Grimp toi aussi. Tu as dit qu'elle n'était pas belle.

-C'est parce que vous ne m'avez pas laissé entrer. Comprends-tu ce que je te dis pour le Tyran? Il ne te donne jamais rien en retour, il n'est même pas gentil avec toi alors que moi, oui. Je suis juste.

-Je l'sais... Mais t'sais, quand le Tyran entre dans ma chambre et que je lui demande de sortir, il le fait jamais.

(Petit caractère)- Même, quand on lui demande de sortir, il nous dit "non"!

-Il faut pas que tu te laisses faire! Toi non plus Petit Caractère! Il vous MANIPULE. Il vous fait croire qu'il veut vous construire une base pour vous, mais la vérité, c'est que lui n'a plus de Légo et qu'il se sert des vôtres parce qu'il a envie de construire. Il s'impose. Comprenez-vous?

Les deux petits affirment que oui.

-À partir de maintenant, vous suivez mes directives envers le Tyran?

-Quelles directives?

-Celles que je viens de vous donner! Vous NE vous laissez PLUS manipuler juste parce qu'il est le plus vieux!

-(...)

(Boute-en-train)-Maintenant, vous n'insultez plus mon cochon d'Inde...

-Et tu n'insultes plus Grimp!

-Entendu mon pote. On se serre la pince?

-(...)

-Elle est là ma pince, Gros Lard!


Conclusion: Tous les diplomates ne peuvent être parfaits.

vendredi, novembre 10, 2006

Coiffeuse story

Autant le dire tout de suite, ma coiffeuse est "particulière". Ses commentaires sont spontanées et la plupart du temps pleins de jugements.

Si certains adoptent le très original leitmotiv: "Pis, quoi de neuf?"pour amorcer une discussion sans trop d'efforts, le : "Pis, es-tu encore enceinte?" a la cote auprès de ma coiffeuse.

Ainsi, tous mes soins capillaires débutent de la sorte:

-Salut Grande-Dame, entre!

-Bonjour! Comment vas-tu?

-Oh, ça va, ça va, ben il faut, hein, on n'a pas le choix (ça me fait toujours sourire).

- ...

-Ouin! (moue mi-dégoûtée/mi-désespérée) Ça fait un bout que t'es pas venue hein! (Elle prend une mèche de mes cheveux et la laisse retomber avec un soupir d'incertitude.)

- ...

-Bon! Qu'est-ce qu'on te fait?!! T'es vraiment due pour un bon rafraîchissement. (Elle regarde plus attentivement mes cheveux, fait une moue interrogative) Est-ce...est-ce que tu as retouché à tes cheveux?

-Oui, oui, j'ai coupé un brin mes pointes.

-Fiou. J'avais peur que ce soit moi qui ai coupé ça croche comme ça.

(Je souris de l'habituelle indélicatesse de la remarque)-C'est vrai que tu as vraiment la touche pour me faire quelque chose de beau.

(Sur un ton de grande évidence)- Ben, c'est sûr hein, je suis coiffeuse, c'est mon métier. Ça fait presque vingt ans que je fais ça.

- Bon! Ma chérie, j'ai en tête quelque chose qui t'irait vraiment bien!

-Ah bon...détaille...

Elle m'explique (c'est son métier, elle est coiffeuse) et on passe au lavabo.

Tandis que j'ai la tête sous l'eau -Pis. Comment vont les enfants?

(Je vois venir le sempiternel même sujet)-Très bien.

(lave-lave, frotte-frotte, rince...)

-Mais là... T'es pas encore enceinte hein?

-Non.. Pas pour l'instant.

-Fiou. Parce que là, ça t'en fait beaucoup... Des grosses familles, on ne voit plus ça souvent aujourd'hui. Moi j'en ai juste un pis je ne revivrais pas une autre grossesse... Ben écoute, j'ai été malade tout le long!

-Ah, c'est dur. J'ai moi aussi toujours eu beaucoup de nausées...

-Pis mon bébé, il était gros. DIX livres! Tu sors pas ça comme tu veux...J'ai été obligée d'avoir une césarienne!

-Tu sais, les miens pesaient plus de neuf livres et ils sont sortis naturellement...

-Mais le mien, on se parle de DIX livres.

-(...)

(coupe-coupe...)

-Ils sont beaux tes enfants.

-Merci. Ton fils est charmant aussi.

-Ben oui! Il est vraiment beau mon fils! Ben c'est sûr hein, j'ai eu une césarienne, sa tête était ronde-ronde! Certaines clientes me montrent les photos de leur bébé, et ils sont vraiment pas beaux.... J'ai de la misère à leur dire la vérité...

-Les nouveaux-nés sont rarement beaux. Plusieurs de mes enfants étaient affreux à la naissance.

-Heiiiin? Pauuuvre toi! Pas le mien. Il était vraiment beau... C'est sûr hein, césarienne...

-(....)

-Faque là, c'es-tu fini les bébés?

-Je ne sais pas. J'ai besoin de passer à autre chose, mais en même temps, je demeure ouverte... Je ne suis pas vraiment prête maintenant...

-Ben pauvre choueeeette! C'est sûr! T'es en deuil, donne-toi le temps! Et puis tu sais, ton fils mort, tu ne pourras jamais le remplacer!

-Si je fais un autre bébé, ce ne sera pas pour remplacer mon fils. Juste pour scandaliser le monde un peu...voir la tête de mes voisins...

(scandalisée)-Ben arrête donc toi!!! Tu ferais pas ça!?!

(sourire amusé) -(...)

-Tu me niaises là? Écoute ma beauté, c'est bien beau les bébés, mais il faut savoir s'arrêter!

-Pourquoi?

-Ben.... Parce que... Écoute, c'est pas facile aujourd'hui! Le monde aujourd'hui là..... Hein... C'est plus ce que c'était...Et puis ça coûte cher les enfants...

-(...)

-Et ton ex, il te paie une pension j'espère? (Elle attend)

-...Hum.

-Je sais pas combien il te donne, mais ça coûte cher les enfants...

(Dans ma bulle, je souris)

-Tu dois avoir de bonnes allocations aussi... Tsé, cinq enfants... (Elle fait une moue suggérant un montant substantiel)

-(...)

(attendant impatiemment la réponse)-Mais là, est-ce que vous prenez des moyens contraceptifs?

(prise au dépourvu) -Euh...

-J'espère que vous en prenez, parce que fertile comme tu es, tu vas m'annoncer que t'es enceinte à ta prochaine visite...

-(...)

-Oh, je voulais te dire, je t'ai vue chez Maxi la semaine dernière!

-Ah...

-Moi c'est extrêmement rare que je vais là-bas. Je vais habituellement chez IGA. Mais toi, avec ta gang, je te comprends d'aller chez Maxi. Le service est moins bon, mais ça coûte moins cher...

(éclat de rire) -Coiffeuse, tu es pleine de préjugés!

-Ben quoi? C'est vrai que ça coûte moins cher chez Maxi !?

-Tu prétends que je vais chez Maxi parce que ça coûte moins cher alors que j'y vais parce que c'est tout près de la maison. Erreur sur mes motifs.

-En tout cas...

-(...)

-Et voilà ma belle! Qu'est-ce que t'en penses?! C'est beau hein! J'suis pas mal contente... C'est sûr que ça te fait du bien...

-C'est trrrès joli! Ouais, j'aime! Tu as vraiment du talent!

-C'est mon métier, hein! Bon, bon automne! Est-ce qu'on se revoit avant Noël?

J'adore cette coiffeuse. Rien à rajouter.