vendredi, mars 14, 2008

Échos intérieurs d'un boum-boum

Je me connais, je le savais bien que cette grossesse allait avoir un goût particulier, mais je n'en réalisais pas encore la portée parce que la fatigue, l'irritabilité et les nausées prenaient toute la place et qu'un premier trimestre, c'est aussi lourd qu'intangible.

Je suis habituellement fébrile de me rendre à mes premiers rendez-vous pour entendre, émue, le coeur de mes bébés. Ce ne fut pas le cas hier. D'abord, parce que je n'avais pas envie des formalités de début de grossesse et encore moins avec une stagiaire sage-femme. Oh je n'ai rien contre les stagiaires et celle-là était techniquement correcte, mais ce n'était pas ma sage-femme, celle à laquelle je me suis tant attachée durant ma grossesse de Frédéric et surtout, celle qui a été si merveilleusement généreuse, présente et discrète à la fois lors du décès de Thomas.

À elle, j'aurais pu m'ouvrir, lui dire les choses telles que je les sens: je n'ai pas vraiment envie d'être enceinte. C'est un fait: j'étais bien, très bien même toute seule dans mon corps. Si j'ai conçu un autre enfant, c'était pour cesser de me torturer une fois pour toutes avec cette question, c'était pour mon homme, c'était pour gagner un certain dû de la part de la Vie: avoir à nouveau six enfants (mon coeur en comptera désormais sept) vivants, pour pouvoir dédier ma portion d'âme condamnée à un autre enfant capable de la recevoir et peut-être, de la colorer un peu. J'aurais pu lui dire aussi que la nouvelle vie en moi a secoué du même coup tous les échos de la mort: Thomas me manque plus que jamais et tout le chagrin confiné depuis des mois à certaines parts secrètes de moi-même déborde de façon incontrôlable.

J'ai entendu le boum-boum régulier du mini-coeur. Et j'ai serré les dents. Pour tuer dans l'oeuf toute éventuelle source d'émotion. Pour demeurer de glace. Pour taire tout sourire mais surtout, pour éviter de pleurer (et devoir expliquer à cette fille qui ne me connaît pas que je suis bien que trop consciente de ma culpabilité envers ce tout petit bébé qui n'a rien demandé du rôle inconscient que je crains de lui attribuer malgré moi: celui de devoir combler le vide abyssal et aride de la mort).

Je suis lucide, je sais rationnellement qu'aucun humain sur Terre (ou ailleurs) ne saura jamais rendre à nouveau vivace cette portion d'âme éteinte avec la mort de mon enfant. Je sais aussi rationnellement que je ne désire confier à aucun de mes fils le mandat de me consoler. Seulement, je me demande si dans l'inconscient, cela peut faire une différence.

Plusieurs personnes ont eu le réflexe de me dire avant ma grossesse lorsque je parlais de la possibilité d'avoir un autre enfant: "Aucun enfant ne remplacera jamais Thomas!" comme pour me mettre en garde contre un éventuel "bébé de remplacement". Les grossesses me rendent folle mais pas stupide. Cette profondeur innommable que je voyais dans les yeux de Thomas, jamais je ne la verrai ailleurs.

Même si je sais pertinemment que je tomberai sous le charme de ce nouvel enfant pour son individualité propre comme je suis tombée sous le charme de mes autres marmots, je suis triste de penser que celui-là devra sa vie à la mort de son frère. Parce qu'en toute honnêteté, si j'avais pu ramener Thomas, jamais ce tout petit bébé n'aurait été conçu.

14 commentaires:

Anonyme a dit...

Bonjour,
ton post d'aujourd'hui me touche beaucoup et je te comprends un peu. Moi il y a presque 11 ans j'ai accouché prématurément de jumelles. Elles sont décédées toutes les 2 donc une que c'est moi qui ai accordé le débranchement. C'était 1996. En 1999 j'étais enceinte de nouveau après multiple fausse couche. J'ai eu une frousse et ma peine que j'avais réussi à refoulée est revenue rapidement. J'essayais comme toi de ne pas me réjouir parce que je ne voulais pas avoir l'impression d'oublier les filles. Et finalement un jour je me suis dis que c'était ça la vie, que j'avais un petit miracle en moi, une nouvelle vie qui ne remplacera jamais celles enlevées trop vite mais qui sera une merveille et un être à part entière. Exit la culpabilité, il faut profiter de chaque petits moments avec ce petit miracle en nous. Moi aussi dans mon cœur j'ai 3 enfants et ça sera toujours comme ça mais je dois continuer à profiter de la vie avec ceux qui reste. Je sais que c'est ce que mes filles voudraient. Et tu sais, tu aurais peut-être eu 7 enfants quand même, on ne connait pas notre destin.. Bonne chance

Anonyme a dit...

Un nouveau bébé n'en remplace pas un autre, certes. Mais il comble le vide laissé. En ce sens où l'expression "si tu prends ta place, physiquement, personne ne pourras te la voler, tu y es déjà". De nombreux parents effectuent ce chemin cahoteux. La place à prendre, elle est là. Elle a été créée, puis portée, prise et... laissée vacante, malheureusement. Qu'aucun autre enfant ne la comble et n'y reçoive tout le bonheur, l'attention et l'amour que cette place recèle, ce serait dommage.
On ne fabrique pas un bébé qui en remplace un autre parti trop tôt dans les limbes. On fabrique un bébé qui aura la chance d'obtenir tout le contenu qui git, bringueballant, en attendant de trouver preneur.
L'acte de création, ce peut être une toile, un récit, un poème, un bébé. Créer, c'est aussi ajouter une valeur physique à un sentiment. Ou à plusieurs sentiments.
Votre billet a du être si difficile à écrire... à admettre puis à mettre en ligne. Et quoique je tente, par mes mots, de vous faire sourire, je sais que rien ni personne n'arrivera à vous faire béatement sourire sur ce sujet. Sachez, cependant, que je suis fière de vous connaître, vous et votre force herculéenne de tous les instants.

Véro a dit...

Je suis en questionnement depuis quelques temps sur la venue d'un troisième bébé dans notre vie... Ton billet bouscule beaucoup dans mon esprit, mais je sais au fond de moi que tu trouveras la réponse que tu cherches et que cet enfant sera comme tous les autres...UNIQUE.

Anonyme a dit...

Ce sera peut-être une petite fille - et la boucle sera bouclée différemment :)
J'écris peu ici, mais je lis et salue ton courage.

Anonyme a dit...

Si tu savais comme je comprends... tellement... Je sais très bien que si Angélique était là Lou ni serait pas et Clément non plus par le fait même. Jamais au grand jamais je n'échangerais mon Lou pour rien au monde... mais tu sais je reprendrais Angie demain matin par exemple... Je vis avec cette dualité, cette boule que j'exprime si mal en ce moment, je veux juste que tu saches que je sais et que je suis là. Je ne me targue pas de comprendre, mais je sais. J'aimerais bien si le coeur t'en dit un petit café un de ses 4 entre petite et grande dame bedonnante. Fais moi signe si le coeur t'en dit.

Miylen a dit...

Il y a de ces histoires devant lesquelles je suis sans mots, ne pouvant imaginer l'ampleur réelle de ce genre de maux.
Douces pensées cependant pour Thomas, pour toi et pour bébé qui s'en vient...

Mi-trentaine a dit...

Grande-Dame, la douleur que vous portez depuis le départ de Thomas me touche beaucoup. Mais le courage dont vous avez fait preuve, en écrivant ce billet,m'émeut beaucoup.

Cet enfant à venir saura gagner votre coeur et trouver SA place. C'est certain.

Grande-Dame a dit...

dafrey, je suis secouée par la pertinence de vos propos. Vous dites que vous craigniez avoir l'impression d'oublier vos jumelles en portant un autre enfant.

C'est une forme de loyauté envers elles et je ressens cela pour Thomas aussi; comme si de trop me réjouir de la venue de cet enfant pourtant désiré serait une forme de déloyauté envers mon enfant que je continue ardemment d'aimer même s'il a trépassé.

Intellex...Muse des mots...(fleur, fleur, fleur)

FDM, je suis certaine que tu trouveras aussi le point d'équilibre désiré pour cette remuante question.

Circé, merci (mais je réponds tout de même: une fille, kessé ça??).

Nathalie, je suis touchée que tu ressentes aussi cela, cette loyauté indéfectible à ta belle Angélique. Je sais de tout mon coeur que cet enfant à venir aura sa place dans ma famille mais pour ce faire je sais que je dois drainer un peu d'émotions un peu trop vives encore...

Milou, merci d'avoir pris la peine de laisser ce mot.

Mi-trentaine, vous me touchez. Vous avez raison, s'admettre certaines vérités exige parfois une petite dose de courage. Je suis pleine de dualités mais je crois les assumer avec la flexibilité qu'exige le fait d'être une personne complexe. ;)

J'imagine que ce billet a pu être aussi chatouillant à lire pour les bien-pensants qu'il fut ardu à rédiger.

Fleurs pour vous toutes.

Anonyme a dit...

Grand homme est au courant de tout ce questionnement ?
C'est très fort d'avoir pu coucher ces mots. Mais on sent que tu voulais tellement les dire à haute voix à TA sage-femme.

Les hormones de grossese exarcèbent les sentiments. Mais il n'empêche que c'est ce que tu ressens très fortement. tu le partages avec nous mais j'espère que tu peux le faire savoir à quelqu'un situer en face de toi.

Pur bonheur a dit...

Je suis certaine que le temps va faire son oeuvre et que dans quelques semaines tu seras plus sereine face à ce nouveau petit bébé qui se développe dans ton ventre.
Tu es encore dans la phase fatigue, nausée et variation hormonale. Dès le 4e mois, je te souhaite de retrouver toute ton énergie et ta vigueur pour bien profiter de ta grossesse.

Caro et cie a dit...

Tu sais pourquoi ça ne m'inquiète pas... Parce que tu es réaliste... Tu ne mets d'oeillères, ne sort pas des théories grandes comme le bras. Que les faits... Que ce que tu ressens vraiment...

xx

Anonyme a dit...

Moi je ne me suis aucunement sentie coupable ou mal face à Samy. Il faut dire que je suis tombée enceinte de Luka très vite après la naissance/mort de Samy, soit à peine 2 mois après. Mais Luka n'est pas un enfant de remplacement, je ne l'ai jamais vu ainsi, en fait je trouve ça même un peu "weird" ces idées-là. Il vient combler ce désir d'avoir un deuxième enfant à s'occuper, à voir grandir, etc. que Samy n'a pu combler mais sans plus.

Même si Luka est là Samy a encore sa place, je suis d'ailleurs à faire faire une toile de lui présentement. Il aura sa toile avant que Luka ait la sienne (notre fille, plus vieille, a la sienne depuis 2 ans). Elle sera sur notre mur du salon aux côtés de celle de Laurie et éventuellement aux côtés de celle de Luka. Il n'est ni moins, ni plus, il est égal à eux. Il n'est pas parmi nous, on n'a pu le voir grandir, le connaitre plus que pendant 3 heures mais ça ne lui enlève rien. J'ai deux fils et une fille.

Luka ne serait probablement pas parmi nous si Samy avait été en santé, mais Samy n'était pas viable, Samy n'est plus alors Luka est là et c'est tout. Je n'ai pas de sentiments face à ce destin là, face aux évènements qui sont arrivés et qui ont fait que... Tout ça nous a été imposé nous n'aurions rien pu faire pour éviter cela. Je ne crois pas qu'avoir arrêté notre famille là et s'être empêchés de devenir parent à nouveau aurait été plus "noble".

Si je m'arrêtais à ce genre de choses il y en aurait bien des "si j'avais fait ça ainsi..." ou des "si je n'aurais pas fait tel choix..." On peut en dire longtemps des choses comme celles-là et je ne pense pas qu'un enfant meurt pour laisser la place à un autre et vice versa. Si Thomas était encore parmi vous peut-être que ce serait un autre de tes enfants qui ne serait plus. Peut-être aussi que tu serais tombée enceinte quand même de se 7e même en ayant encore tous tes enfants. On ne sait pas et personnellement je trouve que c'est un peu une perte de temps que de chercher à savoir si... Vis le moment présent à plein, c'est fort probablement ta dernière grossesse, après tout. Savoure-la même si ce n'est pas toujours facile. Même si tu as perdu à tout jamais cette "innocence" que l'on a toutes "par défaut" avant que le ciel nous tombe sur la tête, il faut savoir profiter de ce que l'on a. C'est une chance que tu portes à nouveau un petit bébé.

Anne a dit...

C'est si triste de lire ça. Si triste de voir qu'une femme qu'on voit si forte peut être si fragile en dedans. C'est beau mais terriblement triste. J'en pleure pour être honnête.

Je sais que rien de ce que je pourrais dire ne pourrait changer l'issue de tes réflexions, mais je tiens quand même à te rappeler comme tu dois le faire souvent, que oui la grossesse sera une sorte de petite torture parce que ces idées là ne cesseront pas de te hanter, mais quand tu verras ton dernier tout petit (ou qui sait, une toute petite?) tu sauras qu'il n'aurait pas pu ne pas y être, et que son existence sera tout naturellement justifiée par l'amour unique des gens qui l'entoureront.

Mon bébé sera peut-être mon seul enfant, je t'écrirai un courriel à ce sujet un jour, ok? Mais tu sais à quel point j'ai rêvé et je rêve toujours d'une immense tablée. Je me dis que mon petit portera peut-être la déception que je ressens qu'il soit mon enfant unique. Heureusement il aura deux frères, mais il sera probablement l'enfant unique que je n'ai jamais voulu avoir, il aura l'attention de l'unique que je n'ai jamais souhaité donner à un enfant. La vie de tous ses frères et soeurs à qui je rêve de donner la vie, il la portera sur ses petites épaules d'unique.

C'est peut-être loin de ta situation mais je comprend tes réflexions, je comprend le vide que tu pense combler. Mais tu sais très bien qu'il sera unique et que bien vite tu pourras donner leur place bien particulière à chacun de tes enfants, Thomas y compris.

Anonyme a dit...

Anne... je dois avouer que tu m'intrigues beaucoup. Mais bon j'imagine qu'il n'y a pas vraiment moyen d'en savoir +.