lundi, septembre 24, 2007

Une histoire de destin

J'ai toujours aimé entendre mon père me raconter cette histoire. C'est cette histoire qui lui fait croire au destin.

C'était le réveillon du jour de l'an, quelque part au tout début des années 60. Mon père avait quinze ans et s'apprêtait à aller festoyer dans la famille de son meilleur ami, un certain Larose. Il embrassa sa mère et alla rejoindre les Larose, qui habitaient juste à côté du salon de quilles du village.

Neuf membres de la famille Larose + mon père s'entassèrent dans la voiture, prêts à se rendre dans la famille élargie. Au moment où la voiture allait partir, le propriétaire du salon de quilles (où mon père travaillait comme "pineur") l'intercepta et demanda à mon père s'il pouvait rentrer travailler pour l'accommoder.

Ayant d'autres plans pour la soirée, mon père refusa. Mal pris par l'absence d'un de ses employés, le patron insista. Mon père refusa encore. Le patron proposa donc à mon père de le payer temps double. L'ami de mon père l'encouragea à accepter sous prétexte que du temps double, ça ne se refuse pas.

Mon père sortit de la voiture, salua son ami et "pina" les quilles toute la soirée.

Après le réveillon, les neuf membres de la famille Larose reprirent place dans leur voiture et embarquèrent à la dernière minute un dixième membre.

Durant le trajet du retour, leur voiture resta coincée sur une voie ferrée et fut happée par le train. Tous les membres de la famille furent tués sur le coup. Au village, la nouvelle se répandit très vite que les dix personnes dans la voiture des Larose étaient décédées et qu'on les ramassait en petits morceaux de chair fumante tout le long de la voie ferrée.

La nouvelle arriva chez ma grand-mère avant que mon père ne rentre du travail. Ma grand-mère, dans tous ses états, pleurait son fils décédé d'une façon aussi brutale qu'inattendue.

Mon père rentra à la maison après son quart de travail sans se douter du drame auquel il venait d'échapper. Ma grand-mère, voyant son fils rentrer alors qu'on venait de lui annoncer qu'il était mort décapité avec les Larose, se rua sur lui et pleura de joie son miraculeux retour.

J'ai toujours été profondément émue d'imaginer ce qu'a pu ressentir ma grand-mère (que je n'ai pas connue) à cet instant où elle était persuadée d'avoir perdu son fils chéri et que la vie lui offrit la chance de le serrer à nouveau dans ses bras.

Cette histoire m'a toujours beaucoup touchée car si mon père était parti avec son ami, jamais je n'aurais pu naître à mon tour.

Mon père a toujours dit que son heure n'était pas venue ce soir-là et que son patron avait été un instrument du destin pour l'empêcher de partir avec les Larose.

La semaine dernière, mon père a demandé à son frère de trouver dans le cimetière du village la tombe des Larose, qu'il n'a jamais visitée. Il avait envie de se rendre sur la tombe de son ami.

En fin d'avant-midi aujourd'hui, la femme de mon père m'a téléphoné: mon père a eut de brefs instants de lucidité et on l'a informée qu'on évaluait actuellement la possibilité de lui retirer son respirateur.

Alors que je rédigeais la fin de ce message, elle a téléphoné de nouveau: on lui a retiré son respirateur et il a pu prononcer quelques mots. Il était confus, mais tout de même!!! J'ai l'impression de me sentir comme ma grand-mère qui retrouve son fils qu'on lui avait dit perdu!

Son heure, me dirait-il en me faisant un de ses clins d'oeil complice, n'est peut-être pas encore venue.

PS. Merci pour vos bonnes et généreuses pensées!

15 commentaires:

Dr Maman a dit...

Ouf... Longue vie à ton père!!! On était plusieurs à attendre ces détails..

Colle virtuelle

Karim'Agine a dit...

Je crois que plusieurs situations, dans la vie, font en sorte que l'on a pas le choix de croire au destin.

J'en parlais justement à des collègues, aujourd'hui. Le viaduc de Laval qui s'est effondré...Les gens qui se sont faits écraser sous le poids de la structure auraient peut-être pu s'en sauver s'ils avaient roulé plus rapidement ou plus lentement... Peut-être que 10 kilomètres heures de plus les auraient sauvé?

Et moi qui empruntait ce viaduc tous les jours après le travail ou sur l'heure du dîner!!!Ça s'est produit un samedi!!!Je suis en congé cette journée là!

Et toutes ces histoires que nous avons pu entendre suite au terrorisme sur les tours de New York? Le destin n'avait pas choisi cette femme qui a manqué son avion de 5 minutes ou cet homme qui a décidé de retarder son départ d'une journée...

Je comprends que l'histoire de ton père te touche autant. Quand je pense à ce genre de truc, j'en ai la chaire de poule!

Bonne chance et bon courage pour la suite!

Gooba a dit...

Je suis contente que son heure ne soit pas encore venue... Profite de ces moments supplémentaires avec ton papa...

Anonyme a dit...

Ça, c'est une magnifique histoire. Extraordinaire. Parfaitement extraordinaire.
Je joie pour vous.

Anonyme a dit...

Imagines ma chérie, il aurait fallu que tu te trouves une autre mère et moi une autre fille. Et je suis certaine que nous devions faire ces beaux enfants.

Tu te rappelles quand je te disais que cette course tu l'as gagné parmi tous ces petits spermatozoides ...

Bien heureuse de savoir que ton papa reprends du mieux. Je crois en effet que ce n'était pas son heure.

Anonyme a dit...

Etre né sous une bonne étoile pour faire un pied de nez au destin.

Méli a dit...

Très jolie histoire, même si je ne crois pas au destin... J'espère que ton père va continuer à prendre du mieux... xoxo

Grande-Dame a dit...

Méli, je suis curieuse de connaître votre philosophie de vie. Hasard? Destin? Contextes de vie, incidents qui se placent pour nous offrir un contexte idéal nous permettant de nous accomplir?

Pour ma part, je ne crois pas du tout au hasard. Chaque incident, chaque drame, chaque bonheur a sa raison d'être...enfin, dans ma conception de la vie! ;-)

Anonyme a dit...

Et bien ! quelle histoire! Il a probablement raison en plus! son heure n'était pas venue!

xx

Le Voyou du Bayou a dit...

Ça m'a rappelé le film BIG FISH tout ça...

En souhaitant à ton père plein d'autres moments de lucidité.

Pur bonheur a dit...

Comme ta grand-mère a dû souffrir en s'imaginant son fils tué dans un accident! Et quelle fin heureuse.
Il me semble qu'on doit aimer encore plus fort après avoir failli le perdre..
Mais c'est vraiment trop triste pour les Larose...

Anonyme a dit...

Ouuff...
C'est vrai que l'histoire de ton père donne la chair de poule!
Il me semble que décoller ta vie de jeune adulte de cette façon doit amener une notion de précarité et de goût de vivre très fort!
Si le mot destin ou destinée est un peu trop «tout décidé d'avance» à mon goût, je crois par contre que tout ce qui nous arrive est attiré par nous comme un aimant, collé à notre réalité et à notre évolution personnelle. Du plus grand deuil, au plus petit bonheur...
J'envois des ondes positives à ton papa et à toute ta famille qui ont des histoires et un vécu digne des merveilleux écrits dont tu nous gratifies...
France

Méli a dit...

Ma croyance ? Bon, c'est pas nécessairement facile à expliquer et peut-être que je changerai d'avis un jour, mais pour le moment, je comprends le monde ainsi : la vie est faite d'interactions. Nous n'avons de pouvoir que sur nous-mêmes, sur notre façon de réagir aux événements et encore, un peu de contrôle, pas totalement, car il y a des aspects de nous mêmes qu'on ne contrôle pas toujours parfaitement. On peut travailler sur soi pour essayer d'être le plus correct possible pour mettre les bases pour une belle vie. Exemple, travailler fort dans nos études pour espérer une belle carrière. Cependant, il y a des choses qu'on ne contrôle pas tout à fait. On a beau avoir un diplôme, si le domaine dans lequel on est préparé offre peu d'emplois pour le nombre de gens formés, il est possible qu'on en arrache, qu'on vive de la précarité, parce qu'on n'a pas su faire le bon choix... On peut essayer d'être une personne aimable, agréable à vivre, offrir de l'amour ou de l'amitié, personne n'est tenu de nous aimer, donc, on peut mettre les conditions en place, il y a une part de chances dans le fait de trouver une réciprocité, mais une part de nous dans le fait qu'on a quelque chose de bien à offrir... C'est l'interaction de tout ça, ce qu'on est, ce qu'on offre, et ce que l'environnement a à nous offrir qui constitue la vie... Pour moi, il n'y a pas de "force céleste" qui régit tout ça, mais bon... c'est comme ça que je comprends le monde pour le moment... il n'y a pas nécessairement de justice... Il y a des personnes qui vivent des drames horribles, des maladies terribles et n'ont absolument rien fait pour le mériter, elles ne peuvent qu'essayer de traverser ces épreuves le mieux possible...

Ça n'est peut-être pas très rassurant comme vision des choses...mais c'est tout de même comme ça que je comprends le monde. Dans ton histoire, c'est une chance formidable pour ton père, mais une énorme épreuve pour la famille qui a été décimée... Pourquoi eux et pas ton père ? Il n'y a pas de réponse à ça, à mon avis... cependant, ton père et sa famille peuvent apprécier suite à ça la chance qu'ils ont de vivre malgré la fragilité de la vie...

Grande-Dame a dit...

France, Méli, je comprends vos points. C'est vrai, "destin" sonne très "nous n'avons aucun pouvoir sur notre vie, qu'importe ce que nous décidons, quelque chose de plus Grand possède un veto sur notre vie".

Je crois en notre pouvoir sur notre vie, je crois en la volonté humaine. Je crois aussi en une certaine "mission" à accomplir par notre âme, à certaines "épreuves" aussi qui peuvent la nourrir.

Aah, la vie! Je l'aime tant, je pourrais en philospher longtemps! :)

Anonyme a dit...

On ne meurt jamais d'une maladie d'un accident ou d'un attentat. On murt parce qu'on est mortel.

Votre père a compris que seul le destin décidera de sa fin.

Accent Grave