mercredi, septembre 19, 2007

Don d'organes

J'ai, avant la mort de mon fils, signé les cartes de dons d'organes de mes enfants. Cela me semblait naturel, altruiste, bon.

Comme Thomas était décédé depuis plusieurs heures lorsque nous l'avons trouvé au matin, ses organes n'auraient pu continuer de vivre dans d'autres personnes.

Au moment où le médecin nous a annoncé "officiellement" (!) son décès, nous avons pu nous réapproprier son corps et nous enivrer douloureusement de lui sans délais. Là, maintenant, sans égards pour autrui.

On dit, dans les documents prônant le don d'organes, que le prélèvement est fait de façon digne et respectueuse. Je le crois.

Lorsque nous avons récupéré le corps de notre fils, le don d'organes m'a traversé l'esprit et bien que je me doutais que les circonstances de son décès rendent la chose impossible, j'aurais refusé net qu'on me demande un délais supplémentaire pour lui retirer ses organes. Je le voulais entier, intouché, intact. Je voulais toutes les minutes, toutes les secondes possible à nous, sa famille.

Malgré le fait que je demeure persuadée que le don d'organes est un très beau geste, je doute de ma capacité à avoir été en mesure de le poser à ce moment advenant que cela aurait été possible. Parce que, voyez-vous, ces six heures de proximité avec son corps intact tel que nous, ses parents, le lui avons conçu fut d'une importance capitale dans le cheminement de mon deuil. Combien de parents n'ont pas cette chance de bercer leur enfant jusqu'à ce que toute chaleur ait disparue?

Récemment, j'ai lu deux textes dans le forum de La Presse où des parents d'adolescentes racontaient leur sentiment de fierté que les organes de leur fille aient pu sauver la vie de cinq, six autres personnes. Je me suis demandé si ces parents avaient pu dire un digne au revoir à leurs filles aussi et dans l'affirmative, s'ils avaient ressenti une impression que le corps de leur enfant avait été "violé" de son intégrité pour la noble cause du don d'organes.

Avaient-ils vécu leurs au revoirs avant le prélèvement d'organes? Le corps de leur fille leur avait-il été rendu affaissé (j'ai été impressionnée de la grosseur des poumons à l'expo Le monde du corps), vide, recousue de fil noir ou de broches? Peut-être avaient-ils préféré ne pas revoir leur corps dans cet état?

Dans le contexte pénible de la mort de son enfant, il me semble que l'empathie n'est pas nécessairement la première qualité d'un parent. Du moins, ce ne fut pas la mienne. J'ai donné une certaine quantité de fil à retordre à la très gentille infirmière qui nous demandait de partir après deux heures passées près de Thomas parce que le coroner réclamait le corps de notre enfant. Je refusais net chaque fois qu'elle revenait (respectueusement) à la charge.

Nous avons étiré ainsi le temps jusqu'à six heures. Six fort égoïstes heures où une seule chose comptait: la proximité avec notre fils (nous avons su six mois plus tard que nous aurions pu réclamer de rester près de lui encore plus longtemps dans une pièce réfrigérée).

Je me dis que si je suis émue devant un bout du foie congelé de mon fils pas plus gros qu'un pois, peut-être ressentirais-je aussi une certaine fierté de savoir que ce petit coeur tant aimé bat encore, que ces petits poumons respirent encore, que ses reins, son foie, sa cornée sont encore utiles dans le corps de confrères, consoeurs humaines.

Cette idée est toutefois remuante. Bien que cela soit improbable, comment réagirais-je de serrer la main d'une jeune fille, d'un jeune homme en sachant que sa survie dépend de cet organe que nous avons consenti à lui donner? Pourrais-je regarder cet/cette inconnu(e) sans le voir comme le prolongement de mon enfant, sans sentir que j'ai un certain "droit" sur sa vie?

Complexe question que celle-là. J'espère ne jamais avoir à être déchirée entre cette possessivité viscérale et ce fait coupable que de la mort de mon enfant dépend la vie de plusieurs autres personnes.

11 commentaires:

Pur bonheur a dit...

Mes deux enfants ont signés leur permis de conduire pour le don d'organe. Je suis fière d'eux, ils l'ont fait spontanément. Mais ça serait très très difficile à vivre pour moi et comme toi, je tiendrais à connaitre la personne qui recevrait leur don...

Évangéline a dit...

ouf... Pour moi aussi ca va de soi de faire un don d'organe, mais tu me fais voir un autre côté de la médaille...ouf...

Anonyme a dit...

Pour mon homme, pour moi, c'est OK. Mais, je n'ai pas signé de cartes de donneurs d'organes pour mes enfants. Ils sont trop petits et je ne veux pas décider pour eux. Et puis, je sens que je serais incapable de les savoir découper même si c'est pour sauver d'autres vies. Tout comme je sais que je ne serais pas capable pour mon homme mais comme sa décision est prise, je tâcherai de la respecter si le cas se présente et si je le peux.
J'attends donc que mes enfants soient capables de prendre la décision par eux-mêmes sans se sentir "obligés" de faire comme leurs parents avant d'en parler.

Annette a dit...

A lire ton témoignage, j'ai les yeux pleins d'eau ... Pour moi, le don d'organe allait de soi.
Mais ton témoignage me permet de découvrir l'autre côté du miroir.

Peut-être serait-ce moins 'difficile' de donner des organes pour un enfant qu'on débrancherait d'un coma irrémédiable que pour une mort dans la nuit?

Peut-être qu'un parent qui accepterait après des jours de réflexion de faire débrancher son enfant d'un coma irrémédiable pourrait voir une lueur de vie en offrant les organes à d'autres enfants?

J'espère n'avoir jamais à faire face à de telles questions ...

Anonyme a dit...

Je comprends très bien ton point de vue....¸
Pour ma part c'est plus simple que ca. (et égoïste peut-etre diront certains). Je n'ai pas d'enfant. Je n'ai donc pas ce dilème.

Et pour moi même et bien je n'ai pas signé cette carte de don d'organes. La raison viscérale est toute simple. Je ne veux pas, après mon passage ici, être rattachée sur terre parce que je VIS DANS QUELQU'UN D'AUTRE malgré moi....

Anonyme a dit...

oufff.. j'ai signé la carte de mes enfans, mais je croit que moi non plus je ne lâcherais pas mon enfants, donc au "yable" le don d'organe...
Bon courage
PAtou

Grande-Dame a dit...

Hm, je me sens un peu moche, je ne voulais pas susciter par ce billet une baisse de la volonté de don d'organes. (imaginez maintenant ma moue gênée)

Anonyme a dit...

je crois que les circonstances qui peuvent donner lieu au dons d'organes sont assez restreintes. Ce doit être une personne qui respira encore, artificiellement ou non et dont on constate le décès neurologique. C'est donc la famille qui permet l'arrêt de l'aide respiratoire. Les adieux peuvent donc théoriquement se faire sur de longues heures avant que le patient ne soit "débranché".
Bon, ça c'est de mémoire mais je m'étais un peu renseignée car il y a un léger conflit à ce sujet entre tendre époux et moi.
Ceci dit, ce n'est certainement jamais des situation et des décisions faciles.

Anonyme a dit...

Je pense comme bibitte. De plus, je suis presque certaine que les dons d'organes sont faits de façon anonyme. Tu ne sauras jamais quel organe a été greffé dans le corps de qui. C'est donc certain que tu ne te retrouveras pas à serrer la main de l'enfant dans lequel le coeur de ton fils bats. En tk pas en le sachant. Et je crois que c'est mieux comme ça!

Grande-Dame a dit...

Jessica, effectivement, on ne te donne qu'un bref profil de la personne qui a reçu l'organe de ton enfant.

Si je ne m'abuse, c'est le receveur qui reçoit les coordonnées du parent du donneur. Certains aiment prendre la peine de remercier.

Bibitte, tu as raison pour le maintien en vie artificiel. Toutefois, il y a toujours un moment où l'on doit dire au revoir une fois pour toutes et je salue la force de ceux qui savent le faire pour le bien d'autrui.

Ysa_la_tite_mere a dit...

Ici c'est signé pour les enfants. Pour avoir passé par le processus de don d'organe quand mon père est mort, c'était certain que je signais pour moi et mes enfants, même si devant le fait, je ne peux pas savoir comment je réagirais. Perdre son père c'est dans l'ordre des choses, donné ses organes, c'est un grand réconfort, mais pous les enfants, c'est différent. Mais j'espère que si la situation se présentait je le ferais. Je pense vraiment que je le ferais. Comme certaines l'ont dit, en effet, on a le temps de faire ses adieux, il n'y a pas d'urgence. C'est nous qui décidons de "tirer la plug". Et il n'y a aucun contact entre les donneur et les receveurs. On sait par Québec-Transpant s'ils ont survécu à la greffe et on peut communiquer de façon anonyme en passant par Québec-Transplant. Les gens se Québec-Transplant sont d'ailleurs vraiment extraordinaires.