Quand on fait certains choix alternatifs, il faut parfois payer cher pour les assumer. Non que ce soit un fardeau d’assumer ses décisions mais il faut s’attendre à devoir y investir de l’énergie qui ne nous serait pas nécessairement exigée si nos choix de vie étaient plus conservateurs.
Cela peut impliquer de devoir s’indigner haut et fort devant un fournisseur de sortie familiale dont la définition de la famille se limite à deux adultes et deux enfants dans leurs forfaits familiaux. Cela peut impliquer de devoir continuellement justifier ses choix en matière de vaccination auprès des infirmières ou du pédiatre lorsque vous avez choisi de ne pas suivre le calendrier proposé. Cela peut impliquer de devoir vous battre pour faire reconnaître les acquis académiques de vos enfants lorsque vous choisissez de leur faire l’école à la maison.
Même si, au Québec, aucune loi ne régit la définition de famille utilisée chez les fournisseurs de loisirs, même si en théorie, la vaccination n’est pas obligatoire chez nous, même si de faire l’école à la maison est tout à fait légal, constamment, on vous demandera de démontrer que vos choix sont judicieux et que vous êtes en mesure de les assumer entièrement sans nuire au développement, à l’intégrité et à l’équilibre de vos futurs adultes.
Vos enfants sont vos enfants (quoiqu’en dise Khalil) mais un bien-pensant quelque part (un médecin, un enseignant, un représentant de commission scolaire, une infirmière, un représentant de compagnie pharmaceutique, un voisin, une collègue by the book) se fera un devoir de vous faire entendre raison quant à la marginalité de vos décisions.
Dès que vous sortez des standards établis, vous déstabilisez un protocole, une procédure, un sous-système.
Ce matin, que mon choix de me faire accompagner par une sage-femme durant ma grossesse ait pour incidence de me fasse sortir des services offerts par le système du santé si je ne me soumettais pas aux procédures, eh bien ça m’a fait sortir de mes gonds.
J’aurais voulu que ce soit simple, j’aurais voulu pouvoir bénéficier du même service que les autres femmes, j’aurais voulu ne pas avoir à dépenser d’énergie supplémentaire pour obtenir le droit de passer mon fichu test d’hyperglycémie provoquée.
J’ai fait le choix d’être suivie par une sage-femme. Par définition, une sage-femme est une professionnelle formée pour accompagner une femme durant la période de sa grossesse et pour l’aider à mettre au monde son enfant dans un contexte d'encadrement sécuritaire, adapté aux volontés de la mère et de son couple mais non-médicalisé.
Les femmes aux grossesses à risque ne peuvent être suivies par une sage-femme. Ce n’est pas mon cas. J’ai des grossesses médicalement faciles. C’est donc ma sage-femme qui répond à mes inquiétudes, prend mes prises de sang de routine, prend ma pression, mesure mon bedon, surveille mon pipi, me fait entendre le coeur de mon bébé, me rassure et me fait un chaleureux câlin après chaque rendez-vous. C’est aussi elle qui m’avertit quand j’ai des carences en fer ou que mon taux de sucre est trop élevé.
Les maisons de naissance avec lesquelles j’ai fait affaire sont affiliées à un hôpital pour les analyses de sang et les urgences bedon. Rien n’est pris à la légère et au moindre risque débordant des compétences de la sage-femme, on réfère à un médecin (curieuse coïncidence, ma merveilleuse sage-femme est la cousine de ma merveilleuse médecin).
Ce matin, donc, je me présente à mon CLSC pour passer mon test de glycémie étant donné que le précédent m’indiquait, snif, un holà au sucré. Évidemment, je m’étais préalablement assurée au téléphone qu’on allait accepter la prescription de test de ma sage-femme même si la maison de naissance était affiliée à l’hôpital de St-Jérôme. Dans un même système de santé, on devrait pouvoir accéder à un service offert à quelques rues de chez soi plutôt que de se taper une heure de route pour pallier à l’excès de zèle et du manque de flexibilité de quelques employés il me semble!
On m’a refusé le test. J’ai soupiré. Puis insisté. On m’a référée à la formelle infirmière. « On ne peut pas vous faire passer ce test Madame, on ne reconnaît pas la validité d’une prescription de sage-femme parce qu’elle ne fait pas partie d’une association. »
Je lui ai expliqué que la sage-femme était une professionnelle membre d’un Ordre professionnel.
« Non Madame, j’ai vérifié avec l’hôpital et le laboratoire refuse cette prescription si elle n’est pas contre-signée par un médecin. »
J’ai insisté, lui ai expliqué que la sage-femme avait les compétences nécessaires pour assurer un suivi de grossesse au même titre qu’un médecin, que je lui faisais confiance, que l'hôpital de St-Jérôme lui reconnaissait aussi cette crédibilité et que de me faire passer ce test était justement une belle démonstration de son professionnalisme. Je lui ai expliqué que je n’avais pas eu de problème à passer le même test au même CLSC à ma grossesse précédente.
Son (ridicule) argument final : « On ne peut vous faire passer ce test puisqu’il peut révéler des choses sur votre état de santé qui sont confidentielles. » (Sans blague!!)
Pardon? L’infirmière était-elle à court d’argument sensé, cohérent et intelligent? Si cette prescription était rédigée par ma sage-femme, c’est qu’en unique juge que je suis pour choisir qui recevra mes « infos confidentielles », j’ai choisi que cette personne serait justement ma sage-femme. (Quelle coïncidence, quand même!)
Me suis butée à un mur. Cela ne donnait rien de m’obstiner avec elle, elle se terrait derrière la position du laboratoire et ses arguments vides et approximatifs. Des mots assassins se sont bousculés dans ma tête, ont chatouillé l'intérieur de mes joues et je suis partie en ravalant ma hargne contre le système et sa fermeture, contre ses pseudo-représentantes têtues, contre la maudite nécessité de toujours devoir lutter pour avoir droit à de légitimes services du moment que l’on ne rentre pas dans une petite case pré-établie.
En arrivant à la voiture, j’ai éclaté en sanglots. Il était 7h45 et j’avais usé de mes dernières énergies pour me tirer de mon lit pour passer ce fichu test avant nos vacances.
Aussitôt arrivée à la maison, les garçons se sont mis à me solliciter. J’ai été sèche, bête, expéditive. J'avais plus urgent à régler que de distribuer des permissions pour un déjeuner aux restants de beignes convoités de la veille.
J’ai réfléchi, réfléchi en ruminant ma colère. Les sages-femmes possèdent une formation reconnue et un ordre professionnel au même titre que les autres professionnels de la santé. Elles agissent dans leur champ de compétences et en aucun cas n’empiètent sur celui des obstétriciens (dont on s'inquiète de la pénurie au Québec). Parce qu'elles ne possèdent pas de compétences spécifiques en pharmacie, elles ne peuvent naturellement prescrire de médicaments, pas même ceux liés à la grossesse. Cette profession est extrêmement surveillée du coin de l’œil par les entités médicales et para-médicales.
Une sage-femme qui possède des compétences reconnues légalement ne peut guère jouir de la latitude que son statut devrait lui permettre (alors qu'un médecin qui n'exerce pas demeure un médecin avec toute la notoriété de son statut). Elle ne peut exercer en toute « légalité » si elle n’est pas embauchée par un CSSS (régit par le système de santé). Ainsi, les compétences de ma sage-femme sont reconnues uniquement dans le cadre de ses fonctions en maison de naissance (sous l'égide du CSSS).
Je n'aurais pas le droit de l'embaucher au privé car alors elle serait dans l'illégalité, pourrait perdre son permis d'exercice et ne serait guère couverte par ses assurances. On ne lui permettrait pas non plus d'attester qu'elle m'a aidée à mettre au monde mon enfant sans qu'elle n'en subisse des représailles et que cela ne compromette la profession pour laquelle elle a été formée.
Que vaut un BACC sage-femme reconnu officiellement par le ministère de l’Éducation si elles ne peuvent pratiquer leur profession sans constamment devoir se buter à la méconnaissance populaire de leur métier? (L'Ordre devrait se lancer dans une méga-campagne d'information pour favoriser la connaissance de la profession et désamorcer les préjugés...et encore, cela ne pourrait se faire sans s'attendre à une solide réplique de la médecine traditionnelle largement en moyens mais ça, c'est une autre histoire...) Considère-t-on les sages-femmes comme des sorcières?
On les forme et elles se retrouvent parfois encore à devoir attendre la sacro-sainte estampe médicale pour valider leurs actes! C’est désespérant, frustrant, enrageant.
Il y a cent ans, les sages-femmes assistaient les femmes en travail naturellement. On faisait confiance à leurs compétences. C’était avant que l’on ne médicalise l’acte on ne peut plus naturel d’accoucher.
Si une sage-femme faisait une erreur, les médias et la gent médicale se feraient un devoir de ternir la profession en entier pour cela. Si un médecin fait une erreur, sa profession n’en souffrira pas : par son simple statut, il bénéficie d’une forme d’immunité professionnelle, d’une infaillibilité plus grande que la faute elle-même. À la limite, on tapera sur les doigts du médecin, non sur la profession comme tel. Une amie ayant perdu son fils à la naissance suite à l’erreur médicale d’un résident en obstétrique souffre encore de l'injustice de cette iniquité en matière d'imputabilité entre les professions.
L'amoureuse de mon frère ces dernières années était anesthésiste et déboursait extrêmement cher pour ses assurances professionnelles afin d'avoir un tant soit peu de tranquillité d'esprit quant à cette question. Les sages-femmes n’ont hélas guère les moyens de payer pour des assurances pareilles pour les couvrir en cas de bévue. D’ailleurs, ce n’est qu’il y a deux ou trois ans qu’elles ont pu trouver une entente avec une compagnie d’assurance pour bénéficier elles aussi d’une protection professionnelle, cela à de strictes conditions.
Peut-on me permettre de comparer le prix à payer pour les sages-femmes pour faire reconnaître leur travail ET obtenir le droit de l’exercer sans le constant contrôle de la gent médicale à celui de la lutte symbolique à engager et aux énergies à dépenser pour faire respecter ses choix quant à sa façon de vivre sa grossesse, son accouchement et sa façon d’éduquer ses enfants quand ses choix sont minimalement marginaux?
11 commentaires:
À mon avis, tu as surtout été confrontée à une lutte de territoire. Un truc plus "fonctionnaire" qu'une question de reconnaissance. Car, si la Maison des naissances avait été sur ton territoire, tu n'aurais eu aucun problème.
Aussi, les cliniques privées reconnaissent les "prescriptions" des sages-femmes pour des tests, des échos et des prises de sang. Comme quoi, elles sont assez reconnues.
J'avais pris la peine de vérifier avant pour la question du territoire ET pour la prescription sage-femme! Il existe une réelle méconnaissance du travail et des compétences des travailleuses de cette profession. (En clinique privée pour mon échographie je n'avais pas eu ce problème).
Sur le territoire de la MdeN de ton secteur, le défrichage a déjà été entamé, cela semble faire une grosse différence au niveau de la perception populaire. Des ententes inter-établissements, ça vous booste une crédibilité!
Je te lis, chère Grande Dame, et je ressens la même révolte que lorsque que j'ai lu Les Accoucheuses! Mais là, nous sommes en 2008...
Ça n'a pas de sens.
Tu sais, je n'ai jamais digéré mon premier accouchement qui a été fait par une nullité totale, une larve sur deux pattes, un sadique, un fou! Et monsieur était gynécologue et l'est toujours! Lui, il a droit de tout signer et de tout décider. Il a les papiers! Mais il est loin de travailler POUR les femmes. Il m'a traumatisée. J'en ai encore mal au coeur et ça fait 20 ans de cela.
Tout un système... Ça fait dur en tout cas.
Je te souhaite bonne chance...Ton doc signera certainement le fameux papier puisqu'elle connaît ta sage-femme. Puis la frustrée d'infirmière bien, elle s'étouffera avec.
Le système de santé au Québec est "trop dommage". Depuis que je suis déménagée en Allemagne, je réalise tout ce qu'il nous manque, chez nous.
Une de mes bonnes amies a d'ailleurs accouché mercredi matin, à la maison, avec l'aide de deux sages-femmes, tel son souhait et le souhait de son conjoint. L'assurance paie la sage-femme, avant et après l'accouchement (les 14 premier sjours de bébé, elle aide à changer la couche, s'occuper du cordon ombilical, et aide à "apprendre" à allaiter), une femme de ménage - pour le dernier mois de grossesse et le premier mois où bébé est là - et le suivi d'un médecin "normal" - si des complications étaient arrivées.
En général, ici de toute façon , tous les médecins sont plus "alternatifs" pour tout...
J'adore ma province natale, mais on pourrait définitivement apprendre de l'Europe...
Je me reconnais bien, dans ce que tu écris, et c'est tellement vrai que ça devient épuisant d'avoir toujours à se défendre, se justifier, se battre parfois, pour faire valoir des décisions, des choix conscients et assumés et qui sont apparemment admis par la société dans laquelle on vit.
J'avais tenté, à la naissance de ma fille, d'accoucher à la maison, alors que ce n'était pas encore officiellement légal (même si aujourd'hui, ça demeure compliqué, mais admis) et je me suis complètement découragée de voir à quel point ça serait ardu. Je voulais effectivement me concentrer sur autre chose... On a tellement besoin de nos énergies enceinte, c'est ahurissant de savoir qu'il faudrait encore se battre aujourd'hui pour que ça se passe comme on le souhaite!
Grande Dame,
batailles= énergie perdue...
Il faudra te fier à CE QUE TOI TU AS ENVIE DE VIVRE et, malheureusement, ou bien heureusement, foutre en l'air tout ce qui te faire encore croire en quelque chose d'insécure, tu comprends?
Je sais, c'est mon opininion, et tu en feras ce que tu voudras.
Personnellement, j'utiliserais ce qu'ils veulent que j'utilise, pas pour leur faire plaisir mais bien pour obtenir ce que tu veux comme test. Ensuite, excuse-moi l'expression mais, je te foutrais tout le reste aux poubelles et je ferais À MA TÊTE.
T'as toujours accouché avec une sage-femme? Tu t'es toujours bien sentie avec çà?
Alors, qui est celui ou celle qui va t'imposer sa façon de voir les choses? La petite infirmière qui, peut-être n'a jamais eu d'enfants?
Le medecin qui ne connaît RIEN de la maternité?
Qui sont-ils pour prétendre qu'ils ont la vérité absolue?
La vérité c'est ta propre vérité à toi et elle se passe d'insécurité.
De la part d'une anti-insécure
Nanou, ce qui est moche (mais nécessaire) c'est que pour changer les préjugés, certaines luttes doivent se faire.
J'ai connu cinq accouchements en milieu hospitalier (qui se sont somme toute bien déroulés) et un en maison de naissance. J'en suis à mon 2e suivi là-bas.
Souimi, voilà un livre que je me promets de lire depuis deux ans (mais dont la longueur me désespère à l'avance).
Frankie, bienvenue sur mon blog! Vous avez raison, le Québec aurait de bonnes leçons à tirer de certains pays plus progressistes.
Véro, pour vivre certaines choses différemment, il faut être prêt à y investir certaines énergies (dont on ne dispose pas toujours, je te le concède). Comme en toute chose, ce sont les marginaux pionniers qui ouvrent la porte aux suivants.
Ton billet m'a évidemment ramené au roman "Les accoucheuses" dont je viens de dévorer les deux tomes en une semaine (ne te laisse pas décourager par la longueur, ça se lit comme un bonbon). Les mêmes difficultés, 150 ans plus tôt. C'est décourageant de voir que ça n'a pas vraiment avancé... :o(
Si il s'agit du CLSC auquel je pense, il est affreux pour le service. J'ai du me battre pour obtenir le droit d'avoir une prise de sang pour un de mes garçon agé à l'époque de 6 ans. Butées les employées refusaient de me donner un RdV et me demandaient d'aller à la cité de la santé grrrr l'entêtement dont j'ai du faire preuve étaient 100x plus grand que mon caractère naturellement calme et doux.
J'imagine aisément leur entêtement et leur refus de servir une demande issue d'une branche qui leur semble tellement moyenne ageuse. Elles devraient prendre le temps d'évoluer ce serai bénéfique pour nous tous.
Un excellent documentaire à voir en lien avec le sujet de ce billet: the business of being born.
http://www.thebusinessofbeingborn.com/
Sarah-Claude
Incroyable, je n'arrive tout simplement pas à le croire.
Vous êtes vraiment patiente. Me connaissant, je crois que j'aurais noté son nom et demandé à voir son supérieur et ce immédiatement et lui aurais mentionnez son imcompétence et la facon dont elle m'a traitée!
Je n'en reviens pas!
Bon courage Grande Dame et bonne fin de grossese!
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