J'expliquais hier à la secrétaire du dentiste (qui s'informait du sexe du bébé à venir), que nous ne le savions pas mais qu'avoir une fille contrasterait à plusieurs endroits dans notre quotidien, ne serait-ce que dans le type de jouets qui pullulent en notre demeure.
Puis, je pensai à ce jouet féminin qui avait laissé sa marque chez nous il y a quelques années. Notre répertoire de jouets avait, Ô Grands Dieux, déjà compté une poupée.
C'était il y a près de sept ans. La femme de mon père étant désignée pour le magasinage des cadeaux des petits-enfants de son homme, elle me téléphona quelques temps avant l'anniversaire de Tout-Doux (qui allait avoir deux ans) pour obtenir quelques suggestions.
Je lui proposai d'acheter une poupée. Je ne voyais pas quoi d'autre aurait pu lui faire plus plaisir. Chaque fois que nous allions chez mes amies mères de petites filles, il se ruait sur les poupées pour les cajoler.
La femme de mon père nota la suggestion mais tel qu'anticipé, j'entendis la voix de mon père s'insurger derrière: il était hors de question, "Tab*rn*k", qu'elle achète à son petit-fils, son filleul de sucroît, une poupée pour sa fête. Il n'allait certainement pas contribuer à faire de cet enfant une "tapette". "Les gars, "Tab*rn*k", ça joue avec des camions, des Lego ou des jouets de gars" et accepter autre chose que ça pour eux tombait hors de ses principes les plus fondamentaux.
Sa femme et moi avions bien tenté de l'aider à assouplir ses principes. L'exercice fut vain et le sujet fut clos en laissant mon père continuer de polir davantage ses inébranlables valeurs rétrogrades et les déménager au Temple de l'Intouchabilité. Autoriser sa femme à acheter une poupée revenait à choisir sciemment de faire de mon enfant un gai, une tapette, un fifi, une moumoune.
Je lui expliquai que sur la quantité de garçons que j'avais, il était possible que l'un d'eux soit éventuellement gai et que poupée ou camion n'en seraient pas nécessairement la cause ou le catalyseur en règle.
Son esprit était fermé à tout dialogue. Accepter l'impensable faisait de moi la mère complice d'un futur scandale.
Marianne partit tout de même faire son magasinage et tant pis pour les sacro-saints principes de mon père. Il finirait bien par décanter.
Le soir de l'anniversaire, Tout-Doux fut ravi d'ouvrir son cadeau. La poupée était une nouveauté pour toute la fratrie même si les aînés n'avouaient pas ouvertement être fascinés par le fait qu'en lui faisant taper des mains, elle réagissait de je ne sais plus quelle manière.
Mon père tenu à se dissocier devant le reste de la famille de ce ridicule achat. Il fallait voir son air contrarié et rabougri d'homme lésé parce que son opinion de mâle viril n'avait pas été prise en considération. Son bref discours nous mis tous en garde contre les conséquences permanentes à venir pour ce pauvre enfant.
Cela m'amuse quand j'y pense. C'est tellement représentatif de la rigidité (tendre et attachante malgré tout) qui fut celle de mon cher papa!
En m'entendant raconter cela à la secrétaire du dentiste, Tout-Doux (qui avait oublié la saga de cette poupée) me prit à part pour valider avec moi: "Maman, je suis pas gai parce que j'ai eu une poupée!?". (la crainte résidant doublement dans les moqueries éventuelles de ses frères -rappelez-vous cet épisode- que dans quoi que ce soit d'autre)
J'éclatai de rire.
-Ben voyons mon Lou! Bien non tu n'es pas gai et puis tu sais, jouer avec une poupée, ça n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle! Et puis si un de mes garçons était gai, qu'est-ce que ça changerait? Vous êtes tous mes enfants et l'important c'est d'être bien dans sa peau et heureux dans la vie. Il ne faut pas s'arrêter aux jugements de valeurs et aux principes de Papi!
Juste au cas où Papi aurait eu raison, Tout-Doux tenu quand même à me réitérer que LUI n'était pas gai à cause de cette poupée et de sa possible irréversible "contamination".
(Mes grands aiment bien lorsque je leur raconte ce genre d'anecdote où les principes de mon père donnent lieu à de caricaturales histoires. Ils y renouent avec le personnage que fut leur grand-père, qu'ils ont vu plus d'une fois s'emporter pour des niaiseries aussi farfelues. Il faut dire que malgré notre exaspération, cela le rendait aussi attachant.)
10 commentaires:
Hum hum, mon fils de 2 ans s'amuse ferme avec sa poupée, il a même un joli carosse ROSE pour la promener.
Il faut dire que j'ai une petite fille de 6 mois, et que mon gars m'imite beaucoup c'est temps-ci. Il faut le voir taper dans le dos de sa poupée pour lui faire faire son rot, c'est quelque chose !!!
Doit-je m'inquiéter, docteur ???
Nathalie
Nous étions 5 filles et 4 garçons, nous mélangions nos jeux et ça n'a pas crée de d'éséquilibre.
C'est tellement le fun les poupées. On en a eu tellement ici avec trois filles, des lits de poupées, des beaux vêtements aussi. J'aimais les voir alignées sagement sur les lits de mes filles, les longs cheveux synthétiques soigneusement étalés sur les oreillers, les petits souliers en cuir verni tout propres. En fait, on est au stade de se défaire des nombreuses poupées qui dorment dans leurs boîtes dans la cave et je n'y arrive pas encore. Les barbies, ça, on les garde encore, Quatorze ans les range dans sa chambre "pour les donner", dit-elle, mais il arrive que je la surprenne à en ressortir et à jouer avec. Je quitte alors sur le bout des pieds...
Belle histoire qui m'a fait penser à cette chanson d'Anne Sylvestre... a faire écouter à votre Tout doux :)
"Quand il était encore bébé
Xavier
Voyant sa mère qui pouponnait
Son cadet
Voulant tout faire comme maman
Tendrement
Langeait et berçait son ourson
Sans façons
Vous voyez vous voyez
Qu'il était bien disposé
Mais les amis mais les parents
Apprenant
Qu'il était tendre et maternel
L'eurent belle
De tomber à bras raccourcis
sans merci
Sur la pauvre maman tranquille
Malhabile
Vous voyez vous voyez
Qu'elle n'y avait pas pensé
Ils lui prédirent avec terreur
Quelle horreur
Qu'il allait être paraît-il
Pas viril
Dirent qu'il fallait mettre aussitôt
une auto
Dans les mains de ce petit mâle
Anormal
Vous voyez vous voyez
A quoi on peut échapper
Mon Xavier n'a pas protesté
Pas pleuré
A enroulé vaille que vaille
La feraille
Dans le mouchoir de sa maman
Tendrement
Puis il a fait faire dodo
A l'auto
Vous voyez vous voyez
Qu'on pouvait bien s'inquiéter
Je dois pourtant vous rassurer
Sur Xavier
Il a passé sans avanies
Son permis
Ses sentiments pour son auto
Sont normaux
Tous ne peuvent pas en dire autant
Bien souvent
Vous voyez vous voyez
Tout finit par s'arranger"
Je trouve tout à fait normal que les petits garçons veulent faire comme les grands, c'est-à-dire cajôler un bébé. Les papas font maintenant les mêmes tâches que les mamans, c'est normal qu'ils s'identifient autant à un papa qui s'occupe de ses enfants!
Mes bébés jouent avec des poupées. Tous les deux. Garçon et fille. Ils jouent aussi tous les deux avec des camions.
C'était mignon cette anecdote et qu'on le veuille ou non, c'est toujours un sujet d'actualité!
Cassiopée, tout à fait à propos! :)
J'imagine très bien ton père avoir une montée de pression artérielle tellement il est scandalisé. Il me fait tellement penser à mon mari par moment! haha!
Et je voudrais ajouter que plus jeune j'étais la seule fille avec 3 frères. J'ai donc joué au baseball, au mécano, au hockey et non, je ne suis pas une gouine.
Pur Bonheur, crois-le ou non, j'ai même pensé à ton mari en rédigeant mon billet! :)
Et puis moi aussi enfant j'étais très garçon manqué. Comme j'ai grimpé dans les arbres, joué au baseball, au cow-boy, au football et ma foi, même si je ne suis pas un modèle de féminité extrême, je n'en suis pas lésée pour autant dans ma féminité.
Ça me rappelle mon aînée qui à 3 1/2 ne rêvait plus que d'une piste de course!
Le monde des jouets est si stéréotypé, ça me scie en deux chaque fois que j'entre dans un Toys R us: côté gars/côté bleu/côté camions, mécanos, Lego à gauche vs. côté file/côté rose/côté poupées, dinettes, mini-épiceries à droite.
Quant aux insultes "gay" et "lesbienne" dans la cour d'école, nous avons dû, ici aussi, mettre les choses au point à ce sujet. C'est assez désolant de penser que les enfants apprennent ça quelque part et que ça provient, au bout du compte, du monde des adultes.
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