lundi, mars 02, 2009

L'étranger


Nous rentrons à l'hôtel après une randonnée en forêt. À peine installés à notre table dans la majestueuse salle à manger presque vide, j'entends une femme un peu plus loin raconter une anecdote à son petit groupe de convives. Comme je reconnais qu'elle parle de moi, je suis amusée de sa lecture de la situation et je l'écoute s'exclamer:

-...et là, la femme me flanque son bébé dans les bras et s'en va!

-De même? s'exclame un de ses interlocuteurs.

-Ben oui! De même!

-Ben voyons donc!

-En tout cas, une chance que j'aime les enfants parce que...

Son ton est outré de mon geste et la discussion se poursuit tandis que je me rends compte que ça ne m'amuse plus. Je suis devenue dérangée par ses propos et je tente d'identifier la source précise de mon malaise. Je pense d'abord à aller la remercier devant son groupe d'avoir "si gentiment" accepté de prendre mon bébé un instant pour lui signifier que je fais aussi partie (malgré moi) de son auditoire mais je m'en abstiens. Une dame du petit groupe me sourit, peut-être en réponse au sourire que j'adresse encore dans la direction de l'assemblée, puis tout le monde quitte tandis que nous nous apprêtons à commander.

Je continue à cogiter sur sa perception de la situation et songe au scandaleux titre qu'elle aurait donné à son article si elle avait été journaliste au Journal de Montréal: "Une mère impitoyable abandonne son enfant dans les bras d'une étrangère et disparaît".

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Ma propre lecture, à présent...

C'est l'heure de quitter l'hôtel. Grand-Homme part avec notre fils et les bagages tandis que je termine d'habiller Béatrice et ramasse les dernières traîneries de la chambre. Il est convenu que j'irai le rejoindre dans le hall une fois tous les bagages dans la voiture et que nous partirons ensuite en randonnée avec les enfants.

Je descends dans le hall, où je m'installe dans un fauteuil en tentant de calmer ma fille qui hurle. J'essaie de l'allaiter mais ce n'est pas ce qu'elle veut. Voyant que mon homme n'arrive pas, je la déshabille. C'est qu'à côté du foyer, elle commence à avoir chaud. Elle cesse de pleurer et retrouve son sourire.

C'est alors que je vois mon homme arriver avec la voiture. Plusieurs voitures viennent récupérer leurs bagages restés dans le hall et je ne veux pas le faire attendre et ainsi bloquer inutilement l'entrée. Comme je viens de déshabiller ma fille et que je ne veux pas l'exposer au froid, je demande à la dame assise à mes côtés (qui discute avec une autre femme depuis un moment) si elle veut tenir ma fille un instant. Ce faisant, je lui tends mon bébé, qu'elle prend non sans avoir l'air un peu étonnée.

J'accours à l'entrée porter à mon homme le dernier bagage à ranger dans la voiture avant de partir pour la randonnée et reviens une quinzaine de secondes plus tard récupérer ma fille et remercier la dame.

J'habille ma demoiselle à nouveau et nous partons marcher dans la forêt.

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Je ne sais pas ce que la dame a pensé et je suis dérangée qu'elle ait pu percevoir mon geste comme étant quelque chose d'odieux. A-t-elle trouvé que je manquais de délicatesse? A-t-elle considéré que j'avais mis la vie de mon enfant en danger (genre qu'elle aurait pu s'enfuir avec ou la jeter dans le feu si elle avait été mal intentionnée)? Se serait-elle sentie plus à l'aise si je lui avais expliqué que voulais éviter que notre voiture ne bloque l'entrée trop longtemps, que je ne voulais pas exposer ma fille au froid sans son manteau et que je n'en avais que pour quelques secondes, promis-promis? S'est-elle sentie contrainte par ma demande?

J'en conviens, ce n'est pas chose courante que de se retrouver avec un bébé étranger dans les bras. Cependant, j'aurais aimé qu'elle estime que j'avais pesé les "risques" et misé sur l'altruisme plutôt que de (peut-être) penser que j'étais une mère inconséquente.

Dans cet hôtel isolé dans le bois, tous les éléments sont en place pour créer une ambiance fraternelle, rustique, raffinée. J'y ai vu des bambins en pyjama se promener dans le hall et le bar sans leurs parents (ça m'a étonnée, mais bon), des enfants ayant terminé leur repas aller jouer dans le hall sans souliers (pour illustrer l'aspect "salon familier" du hall) alors que leurs parents continuaient de discuter en terminant leur bonne bouteille, des enfants jouer dans les escaliers ou courir dans les couloirs labyrinthiques de la place.

Dans cet endroit, comme c'est souvent le cas dans les contextes de nature/plein air, les inconnus se saluent sur les sentiers, dans la salle à manger, dans le hall. Les clients sont en vacances, décontracts, souvent sympathiques et enclins à la discussion.

Je suis dérangée par cette méfiance à outrance, par ce nivellement par le bas du danger continuel, par le refus de prêter, dans certains contextes, de bonnes intentions à des étrangers. Je suis dérangée qu'il soit mal perçu de prendre un "risque" calculé, qu'on ne puisse pas envisager que l'humain, plus souvent qu'autrement, est bon, généreux et capable d'entraide. Je suis dérangée que cette dame n'ait pas pensé que j'avais pu miser sur cette coopération naturelle entre deux plaisanciers plutôt que sur je-ne-sais-quelle malveillance.

Cette dame croisée sur un sentier alors que je portais ma fille dans un bras et tenais dans l'autre main celle de mon fils en larmes parce qu'il avait froid, m'a-t-elle trouvée aussi odieuse lorsque je lui ai demandé si elle pouvait tenir mon bébé le temps que je recouvre le visage de mon fils avec son foulard?

On apprend aux enfants à se méfier des étrangers. Avec raison. Puis, on grandit et on apprend à utiliser notre jugement au-delà du concept "étranger = danger à tout coup". On apprend à peser les risques. Dans certaines situations, la présence de l'étranger est salutaire. Le concept du bon samaritain existe-t-il encore?

J'aurais aimé pouvoir éclaircir la question avec cette dame, comprendre ce qui l'avait tant dérangée, de son côté, vis-à-vis mon approche.

Lecteurs, lectrices, auriez-vous été choqués, à la place de la dame, dans pareille situation et si oui, pourquoi?

27 commentaires:

anne-isabelle a dit...

J'aurais été honorée de tenir quelques instants cette jolie princesse.

On se sent "en famille" dans un endroit comme celui-là, même chose au camp familial l'été ou il y a des enfants qui courent partout et on arrive pas à identifier quels sont leurs parents hihi J'adore!

Méli a dit...

Moi aussi, j'aurais savouré ce moment, tout simplement, c'est un service très agréable à rendre !

Anonyme a dit...

Non certainement pas choquée! Et j'aurai vite pigé la situation, l'ayant vécue...

Mais je n'aurai pas oser le faire ce geste, je veux dire, confier ne serait-ce que 15 secondes à un inconnu.

Anonyme a dit...

Je n'aurais pas été choqué parce que probablement que je me serais offerte pour t'aider ;)

Anonyme a dit...

au contraire , j'aurais été honnorée de ta confiance et il aurait été agréable pour moi de te rendre service.J'ai fait tenir mes bébés par des inconnus plusieurs fois quand j'ai été mal prise avec seulement deux mains pour tout faire.
Très probablement que cette dame n'a jamais eu d'enfants ou si elle en a eu cela doit être une femme pincée, pas très normal qu'elle raconte cela à ses amis...
tu n'as pas à te sentir mal..et je crois qu'il faut continuer à faire confiance aux gens...
Elyse

La Souimi a dit...

J'aurais été enchantée de pouvoir bercer ta mignonne pendant quelques minutes. Il me semble que cela aurait été une marque de confiance. En déposant ton bébé dans mes bras sans me connaître, c'est un compliment que tu m'aurais fait. J'aurais eu le sentiment de dégager une bonne impression.

Je pense que tu as bien fait. J'aurais sans doute fait la même chose.

Anonyme a dit...

Au contraire, j'aurais été touchée de cette confiance...et comme dit Mme Cornue, j'aurais sans doute naturellement proposé de l'aide.
Y en a qui aiment beaucoup mémérer et faire des plats avec pas grand chose... Tiens ça me fait penser à ta coiffeuse!

France

Pur bonheur a dit...

Non seulement j'aurais été tellement contente de tenir un poupon, peut-être même que je n'aurais pas voulu te le rendre!
A l'écouter se plaindre, on dirait qu'elle l'a eu dans les bras durant une heure, genre tu lui la laisse avec un biberon et 2 couches...

Une femme libre a dit...

Il y a une vingtaine d'années, quand ma mère habitait Verdun, une jeune femme est venue sonner à sa porte. Elle lui a dit être la nouvelle voisine d'à côté et devoir aller chercher son fils d'urgence à l'école. Il avait eu un accident. Son bébé étant malade, ma mère pourrait-elle le garder pendant ce temps, une demi-heure, une heure tout au plus. Pas de problème, répond ma mère qui ne se rappelle pas avoir vu la jeune femme auparavant. Normal, elle a bien dit qu'elle était une nouvelle voisine. La jeune maman avait tout prévu parce que dès que ma mère a dit oui, un grand sac est apparu pour accompagner le bébé et hop! la mère est partie à la course.

Elle était bien prévoyante cette mère,parce que dans le sac,il y avait de quoi changer le bébé pendant plusieurs jours, une grosse boîte de lait en poudre, plusieurs suces et trois biberons! Et le temps passa.

Dans la soirée, ma mère, qui s'occupe toujours du bébé qui ne semble pas malade du tout, m'appelle. Je vais voir cette petite merveille. Ma mère m'envoie sonner à toutes les portes du voisinage. Personne ne connaît la mystérieuse jeune femme et son bébé. Ma mère décide de le garder pour la nuit. Au petit matin, elle appelle la police pour lui raconter cette incroyable histoire. C'est la DPJ qui est venue récupérer le petit enfant oublié. On n'en a jamais eu de nouvelles et la jeune femme n'est jamais venue resonner chez ma mère.

C'est une histoire qui n'a rien à voir avec la vôtre. Mais ma mère est demeurée légèrement craintive quand on veut lui mettre un bébé étranger dans les bras! ;o)

Nanou La Terre a dit...

Çà ne serait venu naturellement, sans problème. On appelle çà rendre un petit service.

Je ne pense pas que çà vaille bien bien la peine de te questionner sur l'attitude de cette personne... Tu es une femme remplie de bon sens.

Nanou La Terre a dit...

Désolée pour la faute! Il faut lire " Çà me serait venu"

Anonyme a dit...

Une question que je me pose lorsque tu as demandé qu'on prenne le bébé qq instants... le message était-il clair ?" ...Juste le temps que j'aille porter le bagage à mon mari et éviter que la petite ne prenne froid."

Avec tout ce qui se passe dans la vraie vie, les gens sont parfois méfiants et prompts à juger.

Quoi qu'il en soit, la dame a sans doute racontée cette aventure - ça la rendait intéressante - et puis après quand elle y repensera, sans doute, elle réalisera que ça la prise au dépourvu et qu'elle aurait pu agir autrement.

Ce qui serait bien c'est que tu ne gardes que le souvenir de l'autre dame qui t'a souris à la table. Elle, elle a sans doute compris, sans juger et n'est pas rentrée dans le jeu de l'autre.

Tu t'es sans doute sentie jugée...laisse couler.

Moi, j'aurais rendu avec plaisir ce petit service. Prendre un enfant dans ses bras, c'est tellement bon!

Toutefois, je ne sais si tu te rappelles, tu devais avoir 11-12 ans; cette voisine qui avait confié ses enfants pour un heure à notre voisine, juste le temps d'aller chercher des couches à 7 h du soir. Elle était revenue à 2 h du matin paniquée en voyant que ses enfants n'étaient plus là,mais chez notre voisine d'en haut.

De même, ma mère pour rendre service à une de mes amies de passage avait accepté de garder sa fille pour un heure semble t-il....mais ma copine est arrivée avec qq heures de retard, sans appeler. Ce qui avait mis ma mère hors d'elle-même et elle n'avait pas tout à fait tort! Elle, si tolérante ne s'était pas sentie respectée.

Grande-Dame a dit...

Je n'ai pas pris le temps d'expliquer le pourquoi de ma demande à la dame. Je ne crois pas non plus qu'elle aurait pu anticiper que j'avais besoin de tierces bras un moment.

Peut-être est-ce de l'incompréhension? Oui, je me suis sentie jugée...

Évangéline a dit...

J'aurais été surprise, mais j'en aurais profité pour me "gâter" une peu!

Yannick a dit...

Pas du tout un service en amène un autre et rendre ce genre de service est tout simplement une pur bonheur.Même si la petite puce pleure n'est pas des plus heureuse.

Vraiment cette dame est bien malheureuse :(.

Pommette a dit...

Très honnêtement, je n'aurais pas pu remettre dans les bras de n'importe qui mon précieux bébé... je suis trop mère poule et mon conjoint aussi et nous ne faisons pas beaucoup confiance aux gens que nus ne connaisons pas. Mais très honnêtement, une dame m'a déjà demandé de surveiller son enfant quelques instants et je ne me suis même pas posé la question, j'ai dit oui! J'avais mes propres enfants avec moi et j'ai pris cela comme un compliment. Comme si la dame m'avait vu avec les miens et ça l'avait mise en confiance. Cependant, si elle ne m'avait pas expliqué le pourquoi, j'aurais surement trouvé cela bizarre!

Evyzamora a dit...

je pense que de part ma nature, même si tu m'avais mis ton enfant dans les bras sans m'expliquer, je ne me serais même pas posé la question ou tu allais et je l'aurais prise, comme un réflexe finalement. C'est une marque de confiance et qu'on aime ou non les enfants, de tenir un bébé quelques secondes demande bien peu d'aptitude....Elle a eu une petite anecdote à raconter à ses pairs ce qui l'a fait se sentir intérescente!
J'aurais été flatté de me trouver à sa place ;)

Anonyme a dit...

on peut comprendre pourquoi aujourd'hui, nous sommes dans une génération ou la plus part des jeunes pensent pas plus loin que leur bout de nez...la valeur d'aider quelqu'un est disparue avec le temps!!!

Élisou a dit...

Non seulement je n'aurais pas été choquée le moins du monde, mais ma nature villageoise m'aurait probablement poussée à vous offrir d'emblée de tenir la petite pour que vous puissiez accourir aider votre tendre moitié, et ce avant même que vous ayez eu l'idée de me le demander!

moi m'aime a dit...

Je suis chanceuse.. car les gens m'offrent très souvent de m'aider quand j'ai mon bébé avec moi et tout les sacs.. donc en tant que mono maman il est certain que j'aurais été très heureuse de pouvoir aider à mon tour!

Anonyme a dit...

Ta coiffeuse aurait dit:

"Je suis vraiment étonnée que tu aies confiée un bébé si sauvage à une étrangère. En tout cas, moi je n'aurais jamais été aussi irresponsable, mais je ne te juge pas, c'est toi qui décide!".

:)

Phil a dit...

Je pense que cette anecdote représentait pour elle la possibilité d'avoir l'attention de son groupe pendant quelques instants. C'est ce qui se passe avec les personnes qui n'ont pas grand chose de trépidant dans leur journée ;-) Et puis c'est plus facile d'attirer l'attention des autres en prenant un air choqué que de dire que c'était formidable d'avoir eu ce beau bébé dans les bras pendant quelques instants.

Moi je suis comme toi, j'ai plutôt tendance à faire confiance aux gens, surtout dans un contexte relax comme celui que tu décris.

Eveline a dit...

Quand il y a un bébé où je me trouve, j'espère toujours pouvoir le prendre. Alors j'aurais été bien heureuse que tu me demandes de l'aide.

Et puis , la dame n'avait qu'à te suivre du regard pour constater ce que tu avais à faire.

Je trouve son attitude bien ridicule.

Grande-Dame a dit...

Hehe, je vois que le profil de ma coiffeuse a été bien assimilé par plusieurs! :o)

Merci de m'avoir partagé votre point de vue!

Anonyme a dit...

Honnêtement, la réaction de la dame, cette étrangère pour vous alors que vous l'étiez pour elle, ne me semble pas tout à fait inappropriée.

Faite l'effort de vous mettre à sa place, changez de côté de clôture et découvrez la nature quelque peu cavalière dont vous avez réclamé sa gentilesse (oui oui, réclamé). Dites-vous que ce jour-là, elle aussi a fait face à une étrangère qui lui a mis un bébé dans les bras, comme ça, sans même lui demander ce service.

Le respect se mérite, il ne s'impose pas. La gentilesse et la bonté s'offre, elle ne se réclame pas. À lui remettre votre enfant dans les bras de cette façon un peu cavalière, sans un mot de politesse, vous ne deviez pas tellement transpirer la détresse, mais plutôt une certaine arrogance teintée d'égocentrisme qui a probablement dû la jeter par terre.

Ceci dit, je suis d'accord avec vous: en général, les gens sautent rapidement aux conclusions. Et manque de respect et de bonté envers les autres...

elle ne devait pas sentir votre détresse, mais plutôt votre arrogance et votre fermeté.

Anonyme a dit...

J'aurais sans doute été surprise, mais surtout flattée de savoir que j'inspire cette confiance :)

Virginie

Anne a dit...

J'aurais été heureuse de pouvoir rendre ce service! Puis, je m'en serais vantée par la suite, genre: "Vous ne savez pas quoi? J'ai tenu un magnifique bébé dans mes bras, ce matin! Quel bonheur!"