dimanche, juillet 20, 2008

La cohérence

Mon Tout-Doux est un petit garçon particulier. Dans sa douceur, sa délicatesse et sa gentillesse, il y a tout le désir du monde d’être accepté tel qu’il est et de faire partie de la gang. Il y a aussi, tristement, trop de servilité.

Pour faire partie de la plus importante gang qui soit –sa fratrie-, il trime dur. Malgré ses efforts, c’est souvent celui qui est mis de côté, qui se retrouve avec le vilain rôle, qui doit faire les concessions car il ne possède pas la solidité nécessaire pour se faire respecter comme les autres savent le faire. Sa vulnérabilité et sa tendance à occulter son authenticité pour être accepté m’effraient.

Plus souvent qu’autrement, il se retrouve à acheter sa place par des bonbons, des jouets, des concessions ou autre trucs futiles au gré des humeurs des autres même si cela va à son propre détriment. Cela m’attriste autant que ça le rend malheureux.

J’ai tenté différentes stratégies pour lui faciliter la tâche ardue de son intégration dans le respect de son authenticité. Nous lui avons fait une belle chambre juste à lui afin qu’il apprenne à apprivoiser et délimiter son espace propre. J’ai expliqué sérieusement à ses frères l’ostracisme constant dont il était victime depuis qu’il était tout petit et ai sollicité les efforts de tous pour que la situation s’améliore.

Mon Tout-Doux, pour attirer l’attention des autres, a développé ses propres trucs: être le rapporteur en chef ou encore faire des niaiseries.

Ainsi, si j’ai acheté une sorte de céréales que les enfants aiment, c’est lui qui accourt informer tout le monde de l’achat. Si nous allons souper au restaurant, il se dépêche d’aller informer les autres de la sortie. Si nous recevons de la visite, c’est aussi lui qui court livrer l’information. Aucun « spécial » ne lui échappe si cela lui permet d’être intéressant pour les autres le temps d’une livraison.

S’il obtient le droit de piger dans la boîte à surprise de la maison, il préférera prendre ce que ses frères convoitent plutôt que ce qui lui plaît à lui pour susciter de l’envie. Même si l’objet choisi deviendra assurément objet de marchandage et de négociation, le simple fait d’avoir possédé quelques instants un objet convoité par ses frères le satisfera. Bien éphémère satisfaction puisque aussitôt l’échange effectué, il retrouvera son malheureux statut de mouton noir.

La semaine dernière, il m’a avoué que la situation le rendait tellement triste que parfois, il avait envie de me laisser une note sur le frigo pour m’informer qu’il avait quitté la maison. Puis, il se mit à pleurer en me disant qu’il souhaitait tant que ses frères se rendent compte qu’il existe!

Mon coeur de mère se serra et je cogitai fort pour trouver une solution qui le rendrait plus solide à l’intérieur.

Le lendemain, je l’amenai avec moi rédiger au café. Je lui mentionnai que nous allions faire une halte dans un magasin juste avant.

Je lui expliquai le problème tel que je l’avais identifié puis lui présentai le défi que je m’apprêtais à lui faire relever s’il était d’accord :

Le problème : Il manque de force pour assumer ce qu’il est réellement, il compense donc en tentant de devenir intéressant par toutes sortes de moyens détournés et de maladresses qui finissent par embêter les autres, donc par avoir l’effet contraire de ce qu’il recherche.

Ma tentative de solution : Lui offrir un (objet) secret qui lui appartienne uniquement dont il devra apprendre à profiter POUR LUI, non pour susciter l’intérêt ou la jalousie de ses frères. Lui apprendre, donc, à faire la distinction entre une bonne raison de faire partie d'une gang et une mauvaise raison.

Son défi : Tirer son plaisir du fait que l’objet offert était préalablement convoité, qu’il n’y avait pas vraiment accès ailleurs, que les moments privilégiés passés au café avec moi lui assurent une zone protégée où utiliser son objet, qu’il possède un petit secret réjouissant à conserver discrètement en lui.

Les principales difficultés : Apprendre à se taire. Apprendre que même si la joie est généralement décuplée lorsque partagée, mieux vaut parfois garder pour soi une information qui nous rend plus fort plutôt que de la partager pour la voir démollie ou discréditée par les autres (ce qui est souvent le cas avec lui) et se retrouver encore plus démuni qu'avant.

Apprendre à se taire essentiellement vis-à-vis l’aîné (cela allait représenter une difficulté de taille puisque Tout-Doux cherche toujours désespérément l’approbation de l’aîné tandis que ce dernier n’accorde de l’importance à un membre de la fratrie que si lui-même peut en soutirer quelque avantage que ce soit, ce qui nourrit le malsain pattern de quête d’approbation et d’acceptation pour quelqu’un de vulnérable comme Tout-Doux).

Je lui expliquai un des enseignements des arts martiaux : au karaté et au judo, par exemple, aucun élève n’a le droit de faire la promotion de son savoir ou de ses compétences en matière d’auto-défense pour intimider les autres. Le karateka ou le judoka doit apprendre à tirer sa force morale de sa force physique latente. Même s’il est agressé, il doit tenter de trouver une solution autre avant d’utiliser sa force qu’il sait supérieure à celle de ses agresseurs. Cette force est un dernier recours mais en principe, même si non utilisée, elle lui permet de faire rayonner sa confiance et idéalement, c’est ce rayonnement qui doit le protéger. C’est aussi une forme d’humilité.

Le défi était accepté avec enthousiasme. Je le mis en garde : cela allait être extrêmement difficile. À tout moment, il aurait envie de partager avec ses frères sa nouvelle acquisition (qu’il ne méritait d’ailleurs pas, lui spécifiais-je, puisqu’il n’était pas suffisamment responsable. C'était donc moi qui le garderais en lieu sûr). Il devrait en tout temps lutter contre ses pulsions de pie, il devrait apprendre à se taire et à savourer sa joie silencieuse et son rayonnement.

Pis encore, s’il trahissait notre secret, je serais dans l'obligation de nier l’existence de cet achat et le retournerais au magasin puisqu’alors il n’aurait rien compris à ce que je souhaitais lui enseigner.

Nous procédâmes donc à l’achat du fameux Nintendo DS. Au café, Tout-Doux était ravi de l’utiliser sans contraintes. Avec son meilleur ami, il avait le droit de partager jeux et confidences. Cependant, à la maison, silence total, contrôle de soi obligé. Interdiction d’en parler à ses frères afin d’éviter qu’on l’invite subitement à faire partie de la gang pour pouvoir jouer en réseau. Faire partie d’une gang sous prétexte que l’on possède un bien matériel est une bien mauvaise raison.

Le secret était difficile à garder. J’eus droit à d’innombrables et peu discrets: « Quand est-ce que je vais pouvoir leur dire? ». Ma réponse était toujours la même : « Quand je vais estimer que tu auras été fort suffisamment longtemps. Je t’ai averti que ce serait difficile. »

Chaque fois, je le réprimandais de venir me poser cette question alors que les autres rôdaient dans les parages. On eut dit qu'il souhaitait se faire "malencontreusement" entendre. Chaque fois, il repartait déçu de devoir tenir sa langue encore davantage.

Après quelques jours, nous avons amené Grand-Charme au café avec nous. Grand-Charme étant prêt à partager son DS avec son jeune frère "qui n’en possédait pas", j’estimai que nous pouvions le mettre dans le secret. Je lui expliquai la leçon que j’espérais que Tout-Doux puisse tirer du contrôle de lui-même qu’exigeait ce « secret positif ».

Grand-Charme comprit le principe des arts martiaux derrière ma leçon et fiable, il fit le serment de garder le secret. Tout-Doux était ravi de pouvoir partager sa joie avec son « frère le plus gentil ».

Pour moi, si quelqu’un est suffisamment gentil et généreux pour partager sans exigences particulières et dans le respect de son intégrité ses jeux avec l'autre, c’est qu’il l’accepte réellement et donc mérite sa confiance (ce qui n’est hélas pas le cas de l’aîné qui ne
connait guère le partage au sein de la fratrie ou qui impose des conditions irréalistes ou intenables au partage).

Le lendemain, Tout-Doux manqua de discrétion et le secret tomba dans l’oreille avertie de l’aîné (qui se chargea de répandre la nouvelle au grand jour à toute la maisonnée). C'était une semaine exactement après l'achat.

Mon cher Tout-Doux lu dans mes yeux ma déception et cette fois, il trouva la discrétion nécessaire pour aller cuver son chagrin (de m’avoir déçue, d’avoir échoué et de savoir où devrait s’en retourner le DS) loin de moi.

J’allai le retrouver. Il était en larmes et j’avais le coeur déchiré. Il devait partir quelques instants plus tard chez ma mère avec tout son souci d’avoir perdu ET ma confiance (qui était davantage une déception pour lui) ET son DS.

Je suis triste pour lui. Je connaissais l’ampleur des efforts requis pour ce que je demandais à un petit garçon vulnérable de pas encore neuf ans. Je suis certaine aussi qu’il aurait pu tirer une grande leçon de ma « philosophie des arts martiaux ». C’était certes difficile mais s’il avait tenu quelques semaines de ce régime, il aurait certainement pu apprendre à mieux contrôler sa tendance à vouloir constamment acheter son acceptation chez les autres par de mauvais moyens. J'ai réellement espéré qu'il y arrive, il aurait été tellement fier de lui par la suite!

Je sais que je devrais être une mère cohérente et retourner ledit bidule électronique au magasin afin de conserver ma crédibilité mais cela me brise le coeur.

Tout à l’heure, il reviendra de chez son père et je connais le premier sujet qu’il abordera. Il tentera de me démontrer que malgré son échec, il a réfléchit et a compris la leçon.

Cependant, le malsain pattern reprendra le dessus et cette fois, j’ignore quel stratagème je pourrais développer pour lui apprendre à ne jamais vendre son âme pour être accepté par les autres, même par ses propres frères.

Comme le dit ma mère, il faut parfois être dure pour apprendre à l'enfant une leçon qui lui servira davantage que de lui épargner un chagrin momentané.

Sauf qu'en pratique...C'est dur.

18 commentaires:

Karim'Agine a dit...

J'ai eu la larmes à l'oeil une bonne partie de votre billet. je suis sensible à la fragilité des autres. J'imagine qu'elle réveille celle qui m'habite. Je n'ai guère de solution à proposer, mais une simple et douce pensée pour vous qui êtes mère de ce petit. Cette situation avait pour but de développer sa force et voilà que c'est la vôtre qui est sollicitée.

Une femme libre a dit...

J'adore cette technique d'art martial que vous avez utilisée avec Tout-Doux, idée pleine de sagesse. C'est imaginatif et utile. Maintenant, il faut retourner l'objet mais si vous avez eu cette idée, vous en aurez une autre et Tout-Doux s'améliorera de fois en fois au gré des épreuves et il appprendra à vaincre. En fait, pourquoi ne ferait-il pas un art martial? Seulement lui. Ou autre chose qui l'intéresse et le distingue.

Anonyme a dit...

Superbe idée grande dame!!!
Ingénieuse.Le plus difficile dans notre rôle de parent c'est de faire les règlements et s'y tenir...Je crois que l'effort en vaut la peine même si c'est tellement difficile.
Elyse

Anonyme a dit...

Pour apprendre (quoique ce soit...) il faut se pratiquer, faire des erreurs et s'améliorer jusqu'à parfaitement accomplir le nouveau défi. Je trouve que ton petit garçon a fait preuve de beaucoup de bonne volonté et qu'une semaine c'était quand même une belle victoire! L'importance dans ce qu'on tire d'une leçon ou d'un nouvel apprentissage, n'est-il pas le sentiment qu'on est bon et capable de poursuivre, malgré les erreurs naturelles? Je trouve qu'il ne t'a pas déçu en fait, au contraire, il devrait avoir le sentiment d'avoir fait de bons premiers pas et poursuivre avec une nouvelle confiance...Peut être ne fallait-il tout simplement pas partager le secret avec aucun membre de la fratrie? Il s'agit alors d'une erreur de stratégie plus que d'une faiblesse de sa part...

Un cours secret ou .?. en seconde étape?

De toute façon, le fait de vous casser la tête avec tant d'ingéniosité et d'amour pour vos petits, fait de vous une merveilleuse maman. Lâche pas avec Tout-Doux, c'est loin d'être décourageant!

Bonne journée!

France

maman So a dit...

Pas facile parfois d'être parent!! Je t'admire beaucoup pour la mère que tu es... tu veux le bien de chacun de tes enfants et c'est ça être maman!!

J'ai le coeur qui fait mal pour toi...pour l'effort que tu dois faire pour retourner le dit jeu...mais j'aurais une proposition à te faire: Pourquoi ne garderais-tu pas le jeu en secret pour une durée X et quand tu jugeras que ton Tout-Doux sera prêt à nouveau à tenter sa chance avec le même défi que tu lui as lancé précédemment, il devra à nouveau retenter sa chance, mais seul lui saura que le jeu n'a pas été rapporté au magasin? Je pense qu'il a droit à une nouvelle chance selon moi...(mais je respecte ton choix)seulement après avoir pris concience de ses erreurs, car il n'en aura pas avec la "fameuse" gang qu'il convoite tant!!

Et sur ce... je t'envoie plein d'ondes positives pour encourager ton Tout-Doux à ne pas lâcher!!

Encre a dit...

Je ne sais vraiment pas si j'aurais le courage de retourner le DS - dur dur d'être une mère conséquente.

Mais peut-être pourriez-vous le garder pour le lui remettre en récompense après qu'il aura fait une session complète d'art martial? Je suis de l'avis de Femmelibre : cela ne pourra que lui être profitable, et aux yeux de l'enfant, vous serez tout à fait conséquente avec vous-même.

Bonne chance dans votre décision, quelle qu'elle soit.

Grande-Dame a dit...

J'ai proposé à plusieurs reprises un art martial à mon fils. Je suis persuadée que cela pourrait lui servir (je parle bien sûr pour la force morale). Il était hésitant.

Je lui ai demandé de me proposer une autre activité de son choix. Il n'est pas très fixé. Je devrai peut-être imposer un cours s'il ne se branche pas lui-même. Il faut parfois un élan pour partir et il n'a pas encore conscience des bienfaits d'une activité dans la construction de ce que nous sommes.

Garder le DS, le cacher, le sortir dans un moment où le progrès sera plus tangible. J'y ai songé. Je n'ai pas encore trouvé la formule parfaite et il m'en parle plusieurs fois par jour.

Tu as raison France, qu'il ait tenu une semaine est exceptionnel. Peu discret comme il est, c'est étonnant que ses frères n'aient rien entendu avant (il venait sans cesse m'en parler).

Il a encore beaucoup de travail sur lui-même à faire (et moi avec lui si je veux qu'il soit suffisamment intègre pour traverser l'adolescence qui viendra bien assez vite).

Je dois vous avouer que je suis soulagée de constater que je ne suis pas la seule à trouver difficile d'être cohérente même si nous savons toutes que c'est la chose à faire.

Bonne journée à vous toutes! :)

Anonyme a dit...

Un DS, il sera toujours temps d'en racheter un autre.
Ratata.

Pur bonheur a dit...

Je te comprends très bien, mais ciel que j'aurais du mal à retourner le jeu! Ça doit être très difficile de ne pas partager une telle joie.

Anonyme a dit...

Je suggère les scouts. http://www.scout152.ca/

Grande-Dame a dit...

Eveline, voilà une suggestion qui fera bien sourire mon entourage...

Anonyme a dit...

J'ai encore quelques bonnes idées en réserve, dont celle que tu avais utilisé avec son frère ainé ..., ou le thérapeute dont je t'ai parlé...
et...
comme j'ai souvent vécu la même situation enfant, n'étant pas toujours capable de m'exprimer devant ceux qui parlaient plus fort et qui écoutaient jamais, je comprends très bien mon petit fils...je crois que ce serait un outil approprié.

Et bien que je pense qu'il faut le renforcir, je serais indulgente malgré tout - je lui donnerais une chance de se rattraper (des bons points a chaque fois qu'il réussit a faire un plus).

D'une part on le pénalise pour n'avoir pas réussi a le faire plus d'une semaine (ce qui était peut-être un exploit pour lui) et comme fils ainé ne manque jamais une occasion de le rabrouer...est-ce qu'on ne le pénalise pas outre mesure.

Par contre, je suis pour l'idée de la méthode de karaté. Mais, une méthode de renforcement , pas de punition.

Rappelles-toi, à mon retour du travail, je n'exigeais que 20-30 minutes, le temps de reprendre mon souffle.

Comme il garde tout intérieurement, mais il réussit a bien s'exprimer quand il est en confiance - donnes-lui une petite chance, il le mérite bien.

Eveline a dit...

Et pour quelles raisons?

Grande-Dame a dit...

Pour la simple raison Eveline qu'une partie de mon entourage baigne dans le scoutisme et que le groupe spécifique que vous suggérez ne m'est guère inconnu.

Pourquoi suggérer celui-là, d'ailleurs? :) Se connaîtrait-on?

Eveline a dit...

Nous ne nous connaissons pas mais je sais de quel coin vous êtes à cause de ce billet : http://grande-dame.blogspot.com/2008/06/voluer.html

Ma copine (animatrice dans ce groupe scout) est allée voir ce même spectacle avec sa marmaille et elle m'en avait parlé peu avant que je lise votre billet. Vous devez sûrement la connaître ;-) Elle a une fille, deux garçons et une autre fille.

Grande-Dame a dit...

Je comprends mieux maintenant. Je pense bien effectivement connaître votre copine.

Eveline a dit...

Si je ne m'abuse, sa plus vieille est au même niveau scolaire qu'un de vos fils.

Ma plus vieille a fait partie de ce groupe en 2004-2005 dans les castors. Nous avons changé de ville depuis mais elle est tout de même Sizenière dans son groupe de louveteaux au nouvel endroit. Les scouts lui ont apporté le plus grand bien. C'est pour cela, à la base, que je suggèrais cette activité pour votre Tout-doux.

Peut-être nous croiserons-nous au souper spaghetti du 152e groupe scout alors? ;-)

Grande-Dame a dit...

Effectivement Eveline, son aînée est une amie de Grand-Charme.

Je serai heureuse de vous serrer la pince si nous nous croisons dans une activité du groupe.