mardi, juin 05, 2007

Maurice et la terre ferme


Par un agréable dimanche ensoleillé, Momo roule dans la voie de gauche avec son 4 X 4 qu'il n'utilise pas assez souvent à son goût. Aux côtés de sa dulcinée sur cette route paisible, Momo est un homme heureux.

Par ce dimanche ensoleillé, Momo se sent libre et sans contraintes. Momo, bien que sachant généralement bien gérer son stress, apprécie les journées sans contraintes. Il sourit à sa dulcinée et lui pose amoureusement la main sur la cuisse. Dulcinée rougit de bonheur. Elle aussi, elle est heureuse. Elle est heureuse parce qu'aujourd'hui, elle a son Homme avec elle.

Après plusieurs kilomètres, le boulevard sur lequel roule Momo tombe à une seule voie. Momo clignote à droite pour ne pas se diriger ultérieurement vers les blocs de béton qui bloquent la fin de la route.

Soudain, il aperçoit dans son angle mort une camionnette blanche. Il ralentit pour la laisser passer. La camionnette garde une vitesse constante. Momo accélère donc pour la doubler. La camionnette accélère à son tour.

Momo retire la main de la cuisse de sa dulcinée. Il ralentit pour laisser passer la camionnette. Elle ralentit également.

Momo se sent contrarié et prononce spontanément un mot grossier: "Voyons tabarnak, branche-toi!".

-Maurice, je n'aime pas quand tu dis des mots grossiers, fait remarquer calmement Dulcinée.

Maurice soupire en vérifiant à maintes reprises son angle mort. Le conducteur de la camionnette semble s'amuser de sa non cession de passage et Momo n'apprécie pas que l'on s'amuse à ses dépends.

Il freine brusquement, espérant piéger le conducteur de la camionnette blanche. Ce dernier freine également et, apercevant dans son rétroviseur Momo infliger à son volant un coup de poing de découragement, il s'esclaffe impitoyablement.

Momo scande pour son interlocuteur indisponible: "TA-BAR-NAK! Crisse de cave! Parfait abruti!"

Dulcinée se redresse dans son siège, réalisant soudainement que les mots grossiers de Maurice sont destinés à une seule et même personne. D'effroi, elle pose la main sur sa poitrine et regarde autour d'elle. Elle estime avec justesse que tout reproche quant à l'écart de langage de son époux serait en ce moment superflu.

Momo réussit à détailler l'allure de l'hurluberlu: homme mi-quarantaine conduisant vitre baissée, le coude gauche accoté nonchalemment sur le cadre de la portière. L'individu porte une chemise blanche parfaitement repassée et Maurice reconnaît aux galons sur ses épaules l'uniforme d'un capitaine de bateau.

Maurice prend une grande respiration et serre les poings si fort que ses jointures craquent. Il est rassuré quand il sait à qui il a affaire. Il sourit malicieusement. Maurice, aujourd'hui, n'a pas envie de perdre sa bonne humeur.

Docilement, il accepte le manège de Capitaine. La voie est maintenant devenue unique et les deux conducteurs doivent obligatoirement tourner à droite. Capitaine passe devant.

Maurice a retrouvé son calme. Il tapote la cuisse ferme de Dulcinée qui, pudiquement recouvre ses genoux de sa jupe grise. Maurice lui sourit. Il aime sa femme.

La camionnette blanche termine d'embrasser la courbe et s'engage sur l'autoroute. Maurice la suit. Sociable, il anticipe avec joie le moment où il pourra serrer amicalement la pince de Capitaine.

Ayant retrouvé la liberté des voies multiples, Maurice se positionne à côté de la camionnette blanche et offre un sourire narquois à Capitaine.

Offusqué, ce dernier le méprise du regard et lève insolemment le majeur de sa main gauche.

Maurice estime que Capitaine manque de classe. Il l'imagine à la barre de son cargo et se demande s'il a plus de respect pour les conventions marines que pour les conventions routières.

Clément, Maurice ignore l'offense.

L'égo de Capitaine est heurté et il clanche Momo en le recoupant par le devant.

-MAURIIIICE! C'est un malaaaade! Fais quelque chose! Sac-à-papier! S'exclame Dulcinée.

Maurice pose une rassurante main sur la cuisse de son épouse et décide de prendre la prochaine sortie. Tant pis pour l'égo. Maurice est un homme responsable.

Capitaine, outré de se faire couper l'herbe sous le pied de son plaisir, freine brusquement et recule sur l'accotement pour accompagner Momo dans la sortie. Il le colle sans répit en ne manquant pas de faire gronder son moteur.

Maurice freine sèchement et Capitaine s'écrase net sur son pare-choc.

Capitaine frappe violemment le volant. Il est contrarié.

Maurice décide d'aller serrer la pince de celui qui vient de sodomiser son véhicule.

-Eh bien bonjour Capitaine!! Vous êtes un pro de l'abordage à ce que je constate! Alors, on aime jouer les corsaires sur la route?

-Va chier.

-Votre honneur, Capitaine! (il lui tend la main chaleureusement) Enchanté. Je m'appelle Maurice Bordeleau.

Capitaine sort de son véhicule, en fait le tour et évalue les dommages. Il se retourne vers Maurice: "Tabarnak! Tu as scrappé le devant de ma camionnette!"

Maurice s'impose de retenir son impertinent sourire en regardant le moteur fumer et le prestone s'écouler généreusement: "Eh bien Capitaine, il ne nous reste qu'une chose à faire."

Il lève les sourcils et brandit un constat amiable. Capitaine fulmine du regard.

Maurice s'installe sur la tôle retroussée du capot de Capitaine en ne lui tenant pas rigueur de sa position inconfortable: "Aloooors, Capitaine, je vais d'abord prendre votre nom."

Capitaine croise les bras et fixe le vide: "Gaétan Malenfant-Marleau".

-Pièce d'identité je vous prie.

Capitaine ouvre la portière coulissante de la camionnette pour récupérer la pièce requise dans sa mallette. Un sac de plâtre lui atterrit sur le pied.

Il marmonne un mot grossier et contrôle avec succès son envie de sautiller de douleur sur place.

-Un problème avec votre fret?, s'enquit gentiment Maurice.

Un permis de conduire lui arrive désagréablement par la tête. Il regarde Capitaine Malenfant-Marleau, le considère longuement sans perdre son calme: "Votre permis. Ramassez-le." Le ton est sans appel.

Capitaine se penche, scrute le sol sans succès.

-Là, à babord, précise Maurice en désignant la flaque de liquide vert sans quitter des yeux le constat.

-Tabarnak!

Maurice note avec soin les détails du malencontreux accident et en trace le schéma explicatif.

-Vous appréciez déployer le grand foc sur la route, Capitaine? Si vous voulez mon avis, vous allez devoir abandonner le navire.

Capitaine s'avance et montre les poings d'un air menaçant: "T'as fini de me faire chier oui ou merde?"

Maurice réclame la signature de Capitaine, qui méfiant, étudie la déclaration.

Capitaine rouspète sur quelques détails graphiques dont Maurice refuse de tenir compte. Ce dernier le saisit par l'épaule et lui conseille amicalement: "Capitaine Malenfant-Marleau, la prochaine fois que vous prenez la route, assurez-vous d'être convenablement amariné".

Capitaine a un moment d'hésitation. Il regarde s'éloigner Momo. Puis, une vague de panique s'empare de lui. Capitaine se sent aussi minuscule qu'une goutte d'eau dans l'océan Atlantique.

Maurice rejoint Dulcinée dans son véhicule indemne en envoyant la main à Capitaine sans se retourner.

Capitaine aperçoit les sirènes de la remorqueuse qui approche. Sa main tremble. Il regarde le constat amiable pour valider l'objet de sa crainte. Son attention se pose sur la signature à côté de la sienne: Maurice Bordeleau, Commissaire de la Garde côtière canadienne.

PS. Voyou, considère que j'ai abusé des gros mots spécialement pour ton plaisir personnel dans ce billet.

9 commentaires:

FD-Labaroline a dit...

On ne se méfie jamais assez des anonymes ;-) Je ne suis pas bien au fait de la hierarchie marinière mais j'ai quand même pu deviner qui est qui finalement !

Marchello a dit...

Parfois ça finit mal ces histoires là.

moi m'aime a dit...

une merveille ce texte!

Anonyme a dit...

Wow, génial.
J'ai pensé à environ 10 fins possibles, mais celle-là était la meilleure ;o)
Ben bon pour le maniaque! Un vrai danger public!

Une femme libre a dit...

Un très bon texte sur la rage au volant, une plaie de nos routes et peut-être aussi de nos mers, je suppose!

Le Voyou du Bayou a dit...

Je crois que Dulcinée aurait de gros efforts à faire pour exprimer ses émotions. Sac à papier m'apparait comme un patois bien peu libérateur.

Taïga a dit...

Très bonne histoire! Est-ce un fait réel ou traficoter?

Grande-Dame a dit...

Ma Couvée, c'est de la fiction inspirée par la $?%?"& camionnette au conducteur nonchalant qui m'a niaisée au volant la semaine dernière.

Je suis comme les producteurs de films américains, finalement: je m'organise pour que mes histoires fassent payer les méchants. ;-)

Taïga a dit...

C'est une très jolie Nouvelle alors!