Est-ce ma simple perception? Je crois que l’on s’attend à ce que toute femme ayant choisi d’être enceinte soit nécessairement rayonnante (détrompez-vous immédiatement sur mon cas). Elle a engendré la vie, elle porte la vie, elle devrait donc surfer sur son bonheur en construction, lui-même issu d’un bonheur que l’on aime croire inébranlable.
Si ce n’est pas le cas, on n’en entend guère parler. On n’en entend guère parler parce que l’autre option, dans l'imaginaire collectif, c’est une femme dans une situation inapte à accueillir un enfant et dans ce cas, la solution est un avortement. Et un avortement se fait sans tapage. En silence. À l’abri des regards, en ravalant ses sanglots. C’est quasi honteux. Il y a plus de 100 000 avortements par année au Canada, mais on en entend parler dans les statistiques seulement.
Quelle femme oserait dire haut et fort : « J’ai avorté mon enfant, ce fut difficile et je porte ma culpabilité, ma désolation ou encore mon profond soulagement » (la sage-femme Isabelle Brabant a écrit, il y a une quinzaine d’années, un texte très beau qui décrivait l’avortement comme une histoire d’amour impossible entre une mère et son enfant)? On porte en silence nos secrets pour ne pas entendre le trop prévisible « Il fallait y penser avant! » aux lèvres pincées et surtout, il faut savoir le faire dans l’humilité puisque l’avortement est un geste réfléchi issu d’une acte inconséquent « nécessairement » irréfléchi.
Il y a tant de jugements, pas étonnant que le sujet soit encore si tabou!
Assumer une décision, dans l’idéal de certains, c’est un peu n’avoir pas le droit de rôder dans des zones grises d’incertitudes et d’hésitations. Nous prenons une décision et à partir de là, interdit de craindre ou de nous plaindre de quoi que ce soit puisque la décision était réfléchie. Cela s’appelle, apparemment, "savoir s’assumer"!!!
Par exemple, si j’ai décidé de fonder une famille nombreuse, me plaindre de mon épuisement serait un peu ne pas savoir assumer mes choix ou encore me plaindre le ventre plein, non?
S’assumer veut-il dire ne jamais avoir le droit de regretter l’envers du côté de médaille choisie? Ou encore, pour se montrer à tout prix rationnel et cohérent, taire à jamais le côté sombre de la décision prise qui nous pèse?
Choisir de devenir enceinte et s’inquiéter de certaines de ses capacités à venir est mal vu, surtout quand on se trouve en connaissance de cause. Mal vu parce que tant de femmes essaient de devenir enceintes et ne réussissent pas, parce que si une grossesse est si pénible pour un corps fatigué, il fallait y penser avant, parce qu’on est déjà multi-millionnaire avec ses enfants vivants et en santé et qu’en avoir voulu encore plus est suicidaire ou capricieux, parce que, parce que, parce que.
Nous vivons dans une société exigeante où la controverse est condamnée. N'est-ce pas justement la controverse qui suscite les réflexions, l'éveil de la conscience, l'ouverture, la tolérance?
Pourquoi ne pourrait-il pas exister un lieu où pouvoir dire en toute liberté sans crainte du regard d’autrui : voici ma décision, mais voici également les appréhensions très réelles qui viennent avec cette décision (pour moi, ce lieu, c'est le bureau de mon extraordinaire sage-femme)?
Pour moi, annoncer le bonheur d’une grossesse, c’est me projeter au 4e mois. Parce qu’il m’est très difficile durant le calvaire du premier trimestre de pouvoir rayonner entre deux nausées, deux sautes d’humeur, deux crises d’angoisse existentielles, deux folles impulsions, deux craintes magistrales, deux crises de larmes où mon univers s'effondre pour un mot de travers, deux apocalypses, deux crises de culpabilité d’être une mère si exécrable, une blonde si médiocre, une fille si malveillante, deux crises d’hypocondriaque dans laquelle je suis persuadée que je vais mourir d’un ou plusieurs cancers (s'ajoutant à mes problèmes cardiaques et pulmonaires imaginaires) au cours de la prochaine année en laissant derrière moi six orphelins éplorés qui n’auront jamais connu leur mère (et qui seront à jamais divisés vu leurs pères différents et qui ne pourront se retrouver que des années plus tard sous l’œil vorace des caméras de Claire Lamarche en faisant pleurer des millions de Québécois au passage) et ainsi voir (de là-haut) basculer dans l’oubli le plus total une famille anéantie par mon tragique décès prématuré. Tout élément composant ma vie est capté à travers les effets pernicieux du verre de ma lunette dramatique!
Je finirai assurément par retrouver mon sourire. Tenez, il y a deux jours, il faisait si doux dehors que je me sentais la plus libre des femmes, je jouissais de marcher en respirant la liberté, j’aurais fait de la chute libre pour crier et me libérer de toutes les toiles d’araignées des frustrations intrinsèques à mon abnégation des dernières années, je serais partie marcher sur les magnifiques montagnes du parc Gros-Morne, j’aurais acheté une nouvelle et graaande maison juste pour le plaisir de changer d’air, de tout réorganiser mon environnement, j’aurais fait les folies les plus gaies qui soient juste pour honorer la vie qui m’habite.
Vivement le deuxième trimestre, qui arrivera avec le printemps.
Hier, après une soirée à grogner après les enfants (et Grand-Homme, ajouterait-il en quête d'un brin de compassion), Fils Aîné est venu s'asseoir près de la lionne redoutable que je suis et m'a dit doucement en marchant sur des oeufs avec ses pantoufles en minou blindées: "Tu sais maman, je t'aime même si t'es enceinte." C'est tout dire...
14 commentaires:
Oh.. c'est qu'il m'aurait fait pleurer ce fils aîné!!
Oh que je comprends... tellement. Autant ce bébé que j'attends est voulu, assumer, désirer, autant parfois j'en ai ras le pompon de courrir l'hôpital pour ci pour ça, de craindre ci et ça, de devoir passer mes journées évachées car au moindre mouvement je contracte. Bref, j'en ai marre... et je compatis.
Merci du billet, c'est bon de se sentir comprise.
Si bon de se sentir comprise effectivement Nathalie!
Comme je l'écrivais hier, autant je criais bien haut à la fin de ma grossesse (en latence depuis une semaine, qui peut rester sain d'esprit?) qu'au fond je voulais juste un enfant, pas cette maudite grossesse (qui au fond fût une merveilleuse expérience), autant je rêve d'un autre bébé depuis que tout p'tit est sorti de l'hôpital. Dieu sait qu'à l'hôpital où il est resté 6 jours je n'aurais jamais voulu penser revivre ça 2 fois.
Tu le sais que tout ça mène à un bonheur absolument indescriptible, tu peux parfaitement te permettre de détester ton état ;)!
Moi aussi, Grande Dame, je vous aime même si vous êtes enceinte!
Un billet criant de vérité et qui fera sentir bien des femmes moins seules - moi y compris-
Et la finale! Superbe! Adorable ton aîné :)
Tous les choix impliquent une perte. On dit aurevoir à quelque chose pour dire bonjour à autre chose. Cela ne veut pas forcément dire que l'on ne pense plus jamais à ce que cela aurait pu être si... Et cela ne veut pas forcément dire que puisse que c'était notre choix que cela anéanti les difficultés qui s'en suivent.
Nous avons tous le droit de nous plaindre, de chialer, de nommer ce qui nous fait souffrir.
Grande-Dame, j'oserais te dire que j'accueille à bras ouverts tes moments d'angoisse. Je te trouve plutôt brave de donner naissance à un autre poupon avec une famille aussi nombreuse. La fatigue ne peut qu'être compréhensible.
Au diable le jugement des gens qui ne savent faire preuve d'introspection.
Est-ce que cette réflexion ne résume pas exactement ce dont tu as besoin actuellement? Celui-là, il est parfois surprenant dans ces gestes de tendresse. Tu vois que tu as bien travaillé et que rien ne s'est perdu!
Etre aimé inconditionnellement pour ce que tu es...et TOI AUSSI, mon petit poussin t'aimer quand même, même si tu ne sens moche, poche, croche - tu resteras toujours "mon adorable petit pit bull" et je t'aime toujours.
Pas toujours facile quand le corps ne suit pas de garder toute notre objectivité et de répondre aux multiples demandes familiales. Il faudrait quand même te donner des points quand tu prépares les muffins ou les biscuits pour les petits au retour de l'école.
Demain est un autre jour et ce soir l'éclipse était magnifique à observer.
Coté sombre de la grossesse éclairé par les paroles de Fils aîné, ce fils qui joue les durs mais qui a le coeur si sensible.
Tu lui as fait un bisou de lionne ?
Oh que je vous comprend Grande Dame lorsque vous demandez si regretter "parfois" l'envers de la médaille est un peu comme si nous n'assumions pas nos choix. C'est vrai qu'il est difficile de dire tout haut que c'est épuisant la vie de famille nombreuse lorsque nous y avons plongé de plein gré. Alors qu'on se le dise entre nous
Je dois vous avouer... que je vous aimes encore plussss quand vous êtes enceinte au premier trimestre. Il y a du sentiment mordant dans toutes vos lignes ! ;-) On dirait que les hormones gonflent vos mots, les plus doux comme les plus enragés. Et j'adore !
C'est un réel bonheur de me sentir non seulement comprise et appuyée, mais AIMÉE de surcroit! :)
Chère Grande Dame, j'ai découvert cet automne les moments de détentes, de réflexions, bref de petites choses qui font la vie que vous nous offrez à travers ce blog. Puis suite à un changement de travail, je m'absente une peu et au retour, quelle nouvelle!!!
Félicitations très chère...
Tu as raison. Les trois premiers mois sont très difficiles. Je ne vomissais pas mais j'étais 'verte' ! Au quatrième mois on a le goût de tout 'revirer' de bord dans la maison, une grande énergie nous habites et ce jusqu'à la fin. Comme tu dis , qu'arrive le printemps qui est synonyme de renouveau, santé et bonne humeur. Moi aussi, 'j'taime pareil' peut-être même plus!
Publier un commentaire