vendredi, août 17, 2007

Le jour où votre dignité de parent s'effondre

Vous l'avez tous connu ce jour où vous avez l'air d'un parent négligent, indigne, qui n'a pas à coeur le bien de sa progéniture.

En fin d'après-midi, un jour, fatiguée et susceptible, vous n'avez pas nécessairement envie de vous faire dire par la coiffeuse que votre fils, "Oh! Mon Dieu!", fait du chapeau, comme s'il était affligé d'une maladie contagieuse que vous aviez honteusement négligé de soigner. Vous n'avez pas pas envie non plus de vous faire dire que "Oh boy chère! Tu devrais consulter une orthophoniste, il n'est pas normal qu'un enfant de presque deux ans parle si peu."

Vous avez bien sûr tenté de lui expliquer que les enfants étaient tous différents et que votre fils savait tout à fait exprimer ses besoins, pour elle, il n'y avait que l'urgence de consulter pour les carences de votre enfant pour lequel votre négligence risque de compromettre le développement. Et pas question de l'obstiner, elle le savait, elle, car son fils consultait actuellement pour le même problème.

Elle était donc très au fait de la chose. Vous vous êtes tue et avez laissé parler. S'il y a une chose que vous détestez, c'est de vous justifier. Inutile de lui parler de vos autres enfants qui ont apprivoisé le langage chacun à leur rythme, y compris celui qui avait réellement un retard de langage qu'il a rattrapé très rapidement une fois qu'il a découvert le bonheur, la puissance et le potentiel des mots.

Vous la guettez faire le tour d'oreille et à chaque coup de ciseau, vous anticipez le "Oh mon Dieu, comme cet enfant a les oreilles sales!". Était-ce votre persuasif silence, le commentaire ne vint pas.

Habituellement, vous savez vous amuser des commentaires scandalisés, mais ce jour-là, vous n'avez pas envie de vous faire renoter vos épouvantables manquements de mère.

En rentrant en voiture, vous songez à toutes ces fois où vos enfants ont eu l'air de vivre dans une famille d'une déconcertante négligence.

***

Vous vous remémorez d'abord cette fois où, en rentrant à la maison, votre fils, alors âgé de huit ans, jouait l'entêté qui emmerde et provoque tout le monde. Il n'avait pas cessé ses niaiseries durant tout le trajet malgré vos nombreux avertissements.

Vous aviez alors menacé de le faire et vous l'avez fait: vous vous êtes arrêtés sur le bord de la route à un kilomètre de la maison pour le faire descendre, le sommant de rentrer à pieds. Dès que vous aviez avancé la voiture pour repartir, il s'était mis à pleurer et vous aviez imposé des conditions pour le faire rembarquer. Il vous en avait voulu, mais il s'était tenu tranquille lors des trajets subséquents.

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Vous songez également à cette fois où, à l'urgence de l'hôpital, vous expliquiez en toute honnêteté la fracture de votre enfant (alors âgé de cinq ans): "C'est son père qui lui a fait ça".

Devant les yeux horrifiés du médecin, vous aviez fourni une précision: "C'était un accident. Votre fils a pris son père par surprise par derrière en lui sautant à la ceinture. Sous le poids de l'enfant toujours suspendu à sa taille, le père a basculé et est tombé assis sur le tibia du fils. Malheureusement, ça a fait "crac"".

Avait-il été sceptique, ce médecin. Combien d'histoires semblables sur de soi-disant "accidents" avait-il entendues? Étiez-vous, à ses yeux, une mère émotionnellement fragile qui prend la défense du conjoint violent?

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Encore une fois, dans une salle d'urgence, une infirmière vous passa d'un ton méprisant le commentaire à l'endroit de Bébé: "Madame, si j'étais vous, je lui mettrais ses sandales."

Surtout, ne pas vous justifier. La justification suggère la position de défensive d'un parent moyen qui cherche à préserver sa dignité. Laisser simplement parler. Vous savez que le "manquement" est isolé et pris hors contexte. Il n'a donc pas de valeur réelle, même s'il vous coûte l'impression d'avoir de graves lacunes parentales. Simplement vous satisfaire de votre propre appréciation de votre qualité de mère.

-Je suis tout à fait d'accord avec vous, madame. Si je les avais eues avec moi, j'aurais aussi jugé bon de les lui mettre, lui répondez-vous avec une fermeté désinvolte.

(Vous songez avec amusement au ridicule de la situation où, dans le brouhaha du départ, Bébé était allé rejoindre ses frères dans la voiture et vous l'aviez installé dans son banc en déduisant qu'il avait, fidèle à son habitude, enlevé ses sandales dans la voiture pour vous rendre compte une fois à l'hôpital qu'il n'en était rien).

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Vous songez à cet après-midi où, en promenade avec un de vos fils (alors âgé de 4 ans), un homme vous intercepta pour demander au fils pourquoi il avait le bras plâtré. Votre fils vous avait alors regardée, vous suppliant des yeux de répondre pour lui à cette redondante question et ledit inconnu avait refusé obstinément d'entendre toute réponse sortant de votre bouche. Il exigeait de l'enfant intimidé une réponse, vraisemblablement persuadé qu'il avait devant lui un enfant battu (alors qu'il était en fait simplement à la fois le plus téméraire et le plus fragile de la gang).

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Bien sûr, vous vous remémorez toutes ces fois où vous avez téléphoné à Info-Santé pour mentionner les petits symptômes accompagnant la fièvre à l'infirmière, qui ne manqua pas de vous faire sentir impitoyablement indigne parce que vous aviez administré de l'acétominophène à votre petiot fièvreux sans avoir pris la peine de prendre la température avec un thermomètre. Ma foi, quelle honte! Une main maternelle, ça n'a rien de précis pour déceler la nécessité de l'acétominophène!

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Vous songez également à ces quelques fois où votre enfant est rentré de l'école avec une note à l'agenda vous priant d'envoyer votre marmot à l'école avec des mitaines. Vous vous souvenez alors avoir déglutit de travers devant la honte dont votre enfant avait osé vous couvrir parce que le matin-même, devant votre insistance pour qu'il enfile ses mitaines, il vous avait répondu en vous fuyant que oui-oui, il les avait dans ses poches.

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Il y aura toujours une situation où, parce qu'on ne peut juger vos capacités parentales qu'à partir de ce cas isolé, on vous estimera parent carencé. Exactement comme il vous arrive de le faire vous aussi envers ces parents qui vous semblent dont limités dans leurs capacités.

Plus vous y pensez, et plus vous vous dites qu'on se sort difficilement de cette malheureusement chaîne de jugements gratuits.

16 commentaires:

Évangéline a dit...

wow! comme je suis indigne aussi... Je suis heureuse de voir que je ne suis pas la seule. Et tu as bien raison, ca ne sert à rien de se justifier. Moi on me jugeait parce que mes 2 fils avaient les cheveux long!

Gooba a dit...

On le fait tous et on se le fait tous faire... Ça porte à réfléchir, à être moins tranchant dans nos jugements face à ce qui se présente devant nos yeux. C'est à ça que ça doit servir, il me semble.

French Lily a dit...

Je sympathise de tout coeur!!

Nous avons dû nous rendre à l'urgence suite à une rencontre brutale entre la table à café et notre puce. L'infirmière, après un sermon sur nos goûts en matière de décoration, a inscrit au dossier qu'elle avait fermement avisé les parents de se débarrasser de ladite table... Non, mais!!!!!

Karim'Agine a dit...

Justement, une ribanbelle de jugements. C'est toujours sans savoir que tous effectuons cette malheureuse habitude.

Une mère d'un enfant autiste a déjà écrit une lettre dans laquelle elle priait les enseignants de ne pas la juger si son garçon allait à l'école avec les mêmes pantalons, un pantalons troués, les cheveux non lavés une journée de trop,...

Ce qu'elle disait c'est que nul n'était en mesure de la juger puisque quelques heures seulement étaient partagées avec son fils. Tandis qu'elle, elle l'avait tous les jours depuis sa naissance et qu'elle devait, parfois, laisser tomber certaines batailles afin de rester en vie.

C'est vrai que personne ne sait ce qui s'est passé avant. Au petit matin, garçon est en crise. Graçon s'est sauvé et rombé déchirant son pantalon. Le manque de temps avait obligé l'envoi à l'école avec le pantalon abîmé. Une nuit difficile! Un refus catégorique de se laver! Un accident bête! un refus de manger!

Je crois sincèrement qu'il est important de garder l'esprit ouvert et de pousser la réflexion un peu plus loin lorsque le jugement nous monte en bouche...

Nous ne savons pas tout! nous ne sommes pas parfaits! Aurait-on fait mieux dans de telles conditons?

Anonyme a dit...

Et ce jugement se faufile même dans les relations amicale et familiale.

La fille de ma belle-soeur est donc meilleure mère que moi elle. Ce n'est jamais dit directement mais toujours par des petits commentaires poches. J'aime mieux être heureuse que mère parfaite, OK?

Ça m'écoeure tellement que je fais de gros efforts pour ne pas porter ce genre de jugements. Ce n'est pas toujours facile mais j'y arrive assez bien.

Dr Maman a dit...

Grande-Dame... au comble.. arriver aux Urgences, avec Fils Ainé.. les orteils encore peinturés en rouges... ouf!! Les oreilles nous en frisent :-)))

Sans blague, on passe toutes par des gammes d'émotions quand on sent un regard accusateur trop insistant sur notre progéniture..

Marie Eve a dit...

Bravo! Bien amené!

Et ouf pour moi, je me sens moins seule!

Pur bonheur a dit...

Moi aussi je m'étais fait regarder de travers quand je suis arrivé à l'hopital avec mon fils de 18 mois le coude fracturé. Il avait avancé une chaise devant le lavabo de cuisine pour jouer dans l'eau quand tout à coup il perdit pied et tomba sur son bras. J'ai senti le regard accusateur des médecins et des infirmières. Je me suis sentie vraiment négligente d'avoir arrêter de le surveiller 30 secondes !!!(c'était un bébé super actif ouffff)

Julie a dit...

Super bien écrit.

Je connais ça le poids du jugement des autres sur ma façon différente d'éduquer mes enfants. Je mise sur des valeurs tel que le respect, la reponsabilisation, et étant monoparentale (j'ai deux petits gars) j'ai décidé de choisir mes batailles pour ne pas craquer. Donc, il y a des choses que les gens jugent très importantes et moi non. Sur ce différent, on me juge.

Tant pis pour eux.. J'ai maintenant compris qu'il ne faut pas m'en faire avec ce regard.. mais ohh combien ce fut difficile d'en arriver à ce résultat.

Mélodie a dit...

Ah! ah! Moi aussi, j'ai fait le coup de la voiture sur le bord de la route à Jack Premier, mais il n'avait que 3 ans. Tout de même, ça l'a calmé pour un bon bout ;-)

Quant aux jugements et aux regards scandalisés, j'y échappe rarement avec ma Princesse Indifférence. Imaginez, pendant ses premières semaines de vie, hospitalisée à l'hôpital Ste-Justine, à subir une multitudes de tests pour tenter de comprendre son état, une infirmière qui (selon moi) doit avoir l'habitude des cas singuliers, m'a questionnée pour savoir si j'avais d'autres enfants. Quand j'ai répondu par l'affirmative, elle m'a alors demandé s'ils avaient des affaires de croches eux aussi.

Je n'ai rien dit. Aujourd'hui encore j'ignore ce que j'aurais pu lui répondre.

Quand à vous Grande Dame, je ne saurais jamais remettre en question votre dignité de mère. J'ai la conviction que vous êtes une excellente mère.

Mel

Le Voyou du Bayou a dit...

Scuse moi si j'ai pas rapport avec mon commentaire, mais comme tu es une horticultrice accomplie, peux-tu me dire si des Hibiscus ça peut rester dehors l'hiver, si ce sont des hibiscus d'automne?

Anonyme a dit...

Ben j'espère très fortement que toutes les fois où j'ai vu des cas où "ça fait dur", c'était un cas isolé.

Pas plus tard qu'au courant de l'été, une petite fille en robe d'été, au parc, qui était privée de sous-vêtement. Elle glissait et on lui voyait la vulve à qui mieux mieux mes amies.

Cas isolé ou pas, aller au parc n'est pas OBLIGATOIRE, j'en ai donc conclu que cette petite fille se promène les fesses à l'air régulièrement. Que pour sa mère, il n'y a "rien là", ça fait partie de leur normalité.

La seule explication que je verrais serait des bobettes souillées, que sa mère a préféré enlever/jeter, mais moi si cela était arrivé, nous serions retournées à la maison en enfiler d'autres, pour ensuite revenir ou non, au parc.

Bref, avant que ma fille glisse nues fesses au parc, ça va être grave! Ben grave!

Grande-Dame a dit...

Je suis contente de lire vos anecdotes en matière "d'indignité"!

Babs, bienvenue!

Voyou, désolée, je ne connais rien aux hibiscus. Ce n'est pas une plante d'intérieur ça?? Parce que tu sais, si j'ai le pouce vert pour l'extérieur, mes plantes intérieur paient le prix de ma négligence.

Mlle K a dit...

Excellent billet!

Je me rappelle que mes parents avaient dû affronter le jugement et la méfiance du personnel d'urgence alors que mon frère et moi avions eu la même fracture du poignet à une semaine d'intervalle. Ma mère m'a confié qu'elle était persuadée que l'infirmière de garde allait contacter la DPJ.

Par la suite, ils ont passé un mois d'horreur à se faire arrêter par les passants qui réclamaient des justifications sur cette étrange coïncidence...

Mme Prof a dit...

Ouais... je n'ai pas d'enfants, mais j'ai eu un pincement en lisant le bout sur les mitaines... j'ai tellement souvent écrit un mot de ce genre dans l'agenda de mes élèves! Mon but est que l'enfant se fasse surveiller plus serré pour qu'il aient ses mitaines (ou pire, ses pantalons de neige!), mais j'avoue que du côté du parent, ce ne doit pas être facile à lire...

Dodo a dit...

Pouvez-vous vous imaginer la tête du médecin à l'urgence lorsqu'il a fallu que je lui explique que mon garçons de 22 mois avait croqué une boule de Noel et que 3 jours plus tard il avait avalé une lumière de Noel (vite vite les radiographies!!!) A ce moment précis, j'ai amèrement regretté que le papa n'y soit pas allé à ma place!!!