Elle est embarrassée, la charmante jeune femme, lorsqu'elle se présente au comptoir arrière de la pharmacie. Docilement, elle prend son rang dans la file. Elle attend en simulant un quelconque intérêt pour un livre d'introduction à l'homéopathie.
D'un coup d'oeil discret, elle évalue le nombre de personnes qui la précèdent pour une consultation privée avec le pharmacien. Plus que deux personnes. Elle n'a aucune idée de ce dont traite la page d'un livre sur l'histoire de la pénicilline qu'elle zieute hypocritement. "Ça doit causer de la pénicilline", se dit-elle bêtement.
Plus qu'une personne. Son coeur se met à battre la chamade. Elle tente de contrôler sa nervosité en feuilletant un livre sur la discipline des enfants avant trois ans. "Propos fort pertinents et bien documentés!" lance le splendide jeune homme qui la suit en se penchant vers elle. Elle lui sourit timidement et se dépêche de remettre le livre sur le présentoir. Surtout, ne pas attirer l'attention sur elle.
La rondelette technicienne la regarde, signe que c'est maintenant son tour. La jeune femme s'avance en tenant son sac à trois mains.
La technicienne dépose un petit panier rose sur le comptoir: "Avez-vous votre prescription? Possédez-vous des assurances? Avez-vous un dossier ici?"
La jeune femme murmure: "C'est...euh...c'est pour...euh...je voudrais avoir une...pilule du..."
-Je suis désolée madame, pourriez-vous parler plus fort?
-Oh, je... Désolée... (grande respiration) Je voudrais avoir une...pilule du lendemain.
-Oh! Il faut vous présenter au comptoir des consultations. Je vais appeler le pharmacien.
En aparté: "M. LEBLOND! UNE CONSULTATION!
La main devant la bouche, dévisageant du coin de l'oeil la jeune dame, elle précise: "C'est pour une pilule du lendemain". Un sourire qui aurait pu ne pas avoir le privilège de se nommer ainsi se dessine sur son visage blasé.
Le pharmacien se dirige vers le comptoir des consultations. Zut. Ses tempes grisonnantes le rendent trop séduisant. Surtout, s'imaginer qu'il a l'air de... Réal Giguère*. Ça pourrait faire l'affaire. Ça fera l'affaire. Ça doit faire l'affaire.
Pharmacien, complaisant -Bonjour Mademoiselle. Que puis-je pour vous?
Jeune femme, mal à l'aise -J'ai entendu votre collègue vous expliquer... Pourquoi me posez-vous la question?
Pharmacien, travaillant péniblement à tracer la ligne entre la jolie cliente et le devoir professionnel -C'était par politesse, Mademoiselle. Alors dites-moi, à combien d'heures remonte votre dernière relation sexuelle non protégée?
Jeune femme, respirant profondément -Six heures.
Pharmacien -Hm, c'est tout frais. Et à quand remonte vos dernières règles?
Jeune femme, s'assurant de la distance physique du charmant jeune homme qui la suivait -Deux semaines. Je crois. Je ne suis pas sûre. C'est que je n'ai pas l'habitude de...
Pharmacien -Vous êtes au courant que l'efficacité de la pilule du lendemain diminue plus le nombre d'heures qui sépare la relation non protégée de la prise de la pilule est grande?
Jeune femme, commençant à piétiner -Ouioui, je sais.
Pharmacien, prenant soudainement un ton de confidence -Et...dites-moi, Mademoiselle, vous ne prenez pas de moyens contraceptifs habituellement?
Jeune femme, perplexe -Euh...C'est-à-dire que... Écoutez Monsieur, je ne suis pas sûre de la pertinence de cette question. Est-ce une question professionnelle ou personnelle?
Pharmacien -Oh mais c'est professionnel, Mademoiselle. Je dois savoir. Alors, pourquoi ne vous êtes-vous pas protégée?
La jeune femme est exaspérée et songe se pointer à une autre pharmacie. Et puis non, ce n'est pas possible, elle n'a plus le temps.
Elle s'approche du comptoir, lui fait signe de s'approcher avec son index. Le pharmacien, mi-embarrassé/mi-enchanté (professionnellement, bien entendu), s'exécute.
La jeune femme appuie ses coudes sur le bord du comptoir, laissant au pharmacien tout le loisir d'apprécier son galbe jusque là discret, et lui sussurre à l'oreille: "Vous est-il déjà arrivé, Monsieur (elle valide le nom sur sa cocarde en reculant la tête un moment) Leblond, d'être un matin chevauché intensément par votre femme en quête de cet orgasme sur sa pente ascendante et qui, malgré votre vigilance et vos supplices responsables pour qu'elle s'arrête, ne peut plus répondre qu'à ses ardentes pulsions sous peine de vous infliger une journée massacrante parce que vous avez eu l'audace d'être conséquent et de couper court au moment le plus extatique de sa journée?"
Embarrassé, le pharmacien essuie discrètement les coins de sa bouche, déglutit et baisse les yeux.
Il se dirige vers la brave Ginette et lui balbutie: "Ginette, brave Ginette, pouvez-vous...SVP...préparer...priro...prirori...priroritai...prioritairement les pilules du lendemain pour la jeune fem....pour Mademoiselle Sciubak, je vous prie."
Brave Ginette -Oui, Monsieur.
Monsieur Leblond fuit du regard Mademoiselle, remercie distraitement Ginette et court se réfugier un moment derrière une rangée de rassurantes pilules.
Tentant de dissimuler la virile proéminence de son sarrau, il aperçoit Mademoiselle s'éloigner du comptoir et agiter à la hauteur des yeux le précieux petit sac blanc en lui jetant un troublant clin d'oeil impertinent.
*Pour mes lecteurs hors-Québec, Réal Giguère est un animateur déchu de jeux télévisés.
13 commentaires:
L'ordre des pharmaciens dirait sûrement qu'il a bien agi mais je ne peux m'empêcher de questionner cette méthode "professionnelle".
Il me semble qu'il devrait plutôt y avoir un petit feuillet informatif sur lequel la cliente répondrait à deux ou trois questions et signerait. Cet exemple démontre très bien que la ligne entre l'abus et le devoir est ténue.
Il n'y a pas de bureau privé pour les consultations? Il y en a un avec une porte qui se ferme à ma pharmacie à moi (un Jean Coutu).
Magnifiquement raconté, comme toujours!
Hah aha, bien fait pour le curieux de pharmacien ! :-))
Ahah, cet été, il m'a fallu justement passer au confessionnal des pharmaciens. Oui, exactement pour une pilule du lendemain, mais sans ce genre de lendemain... Bref, si vous voulez comprendre, cherchez "durs lendemain" chez moi...
J'en profite, chère Grande Dame, pour vous souhaiter une excellente fête des mères, à la six !
Qui est Mademoiselle Sciubak? Est-ce le nom de Grande-Dame... échappé par inavertance?
Est-ce une expérience petsonnelle? Ou une Nouvelle dont vous avez été inspiré?
J'ai bien aimé ton histoire! :c)
Jmartyne, je suis allée lire ton "Dur lendemain", j'étais crampée!!!! :c)
Merci de me faire rire, c'est toujours gênant en public ces trucs-là
Moi et ma couvée...disons plutôt fiction inspirée d'expérience personnelle! ;-)
JMartyne...indocile JMartyne, pfff! :-)))
Ça lui apprendra à poser des questions pareils! s'pèce de maniaque! pfff
LOL
certains professionnels de la santé manque cruellement de savoir-vivre et d'empathie pour leur prochain...comme cette femme médecin qui m'avait fait les gros yeux lorsque j'avais questionné sur la possibilité de prendre la pilule en continu (faut croire que pour elle, le sexe avec plaisir n'est pas une option), etc.
disons que ça fait du bien de lire une nouvelle comme ça qui remet en place ces "petits dieux" dont nous dépendons dans ces cas-là!
HAhaaaaa.. !
T'as jamais été chercher une prescription de suprax pour une gonorrhée toi han ?
ÇA c'est mortifiant ! :P
Jeune homme, mon amie Isa est une pharmacienne très professionnelle.
Je lui disais que parfois, ça devait être tentant (et facile) de porter des jugements sur la vie de certaines personnes à partir d'une simple prescription. Elle m'assure de sa neutralité peu importe l'état physique du client et parce que je l'estime, je la crois.
Toutefois, peut-être est-ce mon désabusement, je crois que la tendance au jugement est intrinsèque à l'humain et je ne crois pas que les professionnels soient immunisés contre.
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