Un geste fréquent: préparer de la salade.
Les huit-dix derniers mois de la vie de Thomas, ce geste était accompagné d'un petit rituel: je lui demandais s'il voulait donner de la salade au lapin et où qu'il fût dans la maison, il accourait. Il se levait sur la pointe des pieds pour regarder les légumes sur le comptoir et attendait près de moi sa feuille de laitue. Je la lui donnais et il se dépêchait d'aller s'accroupir près de la cage pour l'offrir au lapin.
Heureux de voir l'animal se ruer sur la nourriture, il revenait près de moi et infatiguable, en réclamait encore. Les aller-retours entre le comptoir et la cage pouvaient durer de très longues minutes. Même si le lapin avait largement dépassé son quota de verdure, j'avais du mal à refuser à Thomas une troisième, puis quatrième portion. Il y mettait tant de coeur!
Je compris rapidement qu'au nombre de fois où il venait réclamer encore de la laitue, mieux valait la lui donner en plus petits morceaux.
Puis, mon beau bonhomme est décédé et durant dix-neuf mois, j'ai préparé la salade sans bambin à mes côtés pour se soucier du lapin avec un tel engagement. Ce petit rituel me manquait intensément au début, puis j'ai fini par m'habituer au Vide.
La semaine dernière, en préparant la salade, j'ai, sans réfléchir, demandé à Frédéric s'il voulait donner de la salade au lapin et au cochon d'Inde. Il est accourut et est reparti aussitôt vers les animaux.
En le voyant partir à la course avec sa laitue et son enthousiasme, j'ai réalisé ce que je venais de faire. Ça m'a grandement remuée. Je venais de lui transférer sans le vouloir un rituel qui appartenait à Thomas et moi.
Ce geste simple aurait probablement passé incognito si Thomas n'était pas mort. Frédéric aurait naturellement nourri les animaux, comme tous les enfants aiment faire.
Je crois que je cherche à préserver certains souvenirs liés à Thomas uniquement, à les garder immaculés pour lui seul et à leur attribuer un certain statut "non transférable".
Maintenant que j'ai "transféré" ce geste, je ne peux plus reculer. Frédéric s'attend, en me voyant affairée à la préparation de la salade, à en offrir aux animaux. En l'observant s'élancer avec bonheur vers les cages, cela me fait chaud au coeur, mais me rend aussi nostalgique. Jusqu'à la semaine dernière, dans mon coeur, c'était la petite tête brune que je voyais courir laitue en main. À présent que j'ai la chance de voir courir la petite tête châtaine si vivante, comment garder intacte la première image?
Les souvenirs étaient si clairs au début, je voulais être certaine de ne rien oublier. Certaines images pâlissent, à mon très grand regret. C'est la vie qui prend le dessus et ça, ce n'est pas toujours facile à accepter.
13 commentaires:
Quel âge a Frédéric ? Et l'âge de Thomas à sa mort ? Pas beaucoup d'écart désormais, non ?
Déjà, de le nommer a une signification.
Bien sûr, voir avec peine s'estomper les souvenirs. Mais également, voir la tristesse profonde se transformer parfois en nostalgie puis peut-être en autre chose par la suite.
Câlin.
xxx
xxx
Très émouvant... Je suis remontée dans le temps il y a quelques jours... découvrant l'histoire de Thomas... apprivoisant ce qui me serrait le coeur à chacun de tes mots... laissant couler une larme sur ma joue... je suis une maman moi aussi... dès que tu parles de Thomas, mon réflexe est de regarder mes enfants, et de les serrer fort fort... pour me rassurer...
Je comprends que tu veuilles restituer à Thomas ce qui "vous" appartenait... c'est un peu comme une trahison... même si...
En même temps, que tu sois en mesure de donner à Frédéric la possibilité de faire les choses simples de la vie que tu faisais avec Thomas... n'est-ce pas une façon de continuer à vivre à travers lui...???
gros bisous
véro
Zablog, bienvenue!
Frédéric vient d'avoir deux ans alors que Thomas est décédé à 23 mois. Le cadet a désormais plus de "vécu" que son frère aîné.
Enidan, Cricri, je vous aime mes copinautes. :)
Véro, effectivement, c'est de cette manière que je tente de le voir. Je trouve mes baumes où je peux. La signification que l'on donne aux gestes, l'interprétation que l'on donne à certains événements y est pour bcp dans la Foi qui m'est propre.
Je reste sans mot... je ne sais que dire à la lecture d'un texte si boulversant...
Peut-être que Frédéric va transformer le rituel à sa manière, y mettre du sien, de son âme et il l'habitera à sa façon. Tu pourras aisément départager les deux souvenirs.
Merci de ton accueil, Grande Dame ! J'ai laissé quelques commentaires déjà mais je crois que je signais simplement Zab. :)
Bébé est devenu Frédéric. Un très beau prénom. Frédéric ne remplace pas Thomas, mais il évoque, bien sûr, les souvenirs de son frère bien-aimé. Thomas vit à travers toi et à travers tes écrits.
Une de mes copinautes a aussi perdu son Thomas. Et j'imagine qu'elle vit aussi certains sentiments que tu ressens quand je te lis, bien que chaque deuil soit unique. Bien que je ne peux pas vivre concrètement sa douleur, tes paroles m'en révèle une portion.
Zablog, il se pourrait bien que cette copinaute et moi soyons une seule et même personne.
Euh...
*petit moment déstabilisant de doute*
*recontage 1-2-3-4-5, 5 et non 6 !*
Elle a eu 5 enfants ... dont 2 filles.
*bruit de "mauvaise réponse" utilisé dans les quiz télévisés*
Le compte n'y est pas ! C'est donc, bel et bien, une autre maman, qui plus est, d'un grand Thomas. Je l'avais d'ailleurs invitée à visiter ton carnet quelques mois après la mort de Thomas (le sien) mais je ne sais pas si elle l'a fait et je ne voulais pas insister.
Mais saudine, tu m'as fait douter quelques secondes ! ;)
Elle s'est aussi exprimée en parole sur le web. Si un jour ça t'intérèsse...
Chaudes larmes, sanglots. Te lire raconter les épreuves quotidiennes du deuil si éprouvant de son enfant est d'une beauté touchante, malgrès la tristesse. Et pleurer me fait du bien, sans raison. Merci encore une fois.
C'est toujours aussi touchant de te lire au sujet de Thomas et ton bébé.
Je pense souvent à toi.
Matty xxx
Zab, je fais donc erreur. :)
Yannou, Matty, merci.
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