Mon frère et moi avons été élevés par notre mère, une femme avant-gardiste, ouverte d'esprit, libérée, grano et excentrique sur les bords. Une mère qui s'intéresse à la psychologie et la spiritualité en-dehors du catéchisme de l'époque.
À presque 16 ans (et 17 pour mon frère), nous sommes partis vivre avec notre père.
Ce fut un choc culturel de côtoyer son esprit conservateur, ses préjugés, sa fermeture d'esprit et ses idées préconçues. Nombre de fois, mon frère et moi devions expliquer certaines choses de la vie à notre père, essayer de lui faire retirer ses oeillères, le calmer dans ses ardeurs morales dépassées. Nous le faisions tendrement parce que notre orgueilleux de père, dans ses colères irrationnelles, était aussi charmant et attachant. La situation m'a souvent donné l'impression que nous étions les adultes et notre père, l'enfant.
Il entretenait des préjugés sur les Noirs mais accueillait nos amis Noirs avec chaleur et courtoisie. Ses discours racistes n'étaient jamais dirigés vers des personnes en particulier mais plutôt vers "la race", stigmate beaucoup plus facile à entretenir de façon générale que pour un être en particulier. Il connaissait un Noir très sympathique qui s'appelait Vainqueur Boncoeur et il se défendait d'être raciste parce qu'il aimait discuter avec lui. Nous nous moquions de ses préjugés non fondés et il finissait par rire de bon coeur (!) avec nous. Je crois qu'au fond, il était fier que notre mère nous ait donné l'ouverture d'esprit qu'il n'aurait pas su nous donner.
Un de nos cousins que mon père aimait bcp a adopté un petit garçon haïtien et je crois que ce fut le coup final qui l'a attendri.
Il se fâchait souvent contre l'homosexualité. Cela le révoltait profondément et encore une fois, mon frère et moi le modérions, tentions de calmer ses foudres irrationnelles. Il aimait la musique de Simon et Garfunkel (c'est l'achat d'un disque d'eux aujourd'hui qui a inspiré ce billet) et se défendait d'être homophobe sous prétexte qu'il écoutait leur musique (le sophisme parfait!).
Il y a trois ou quatre ans, mon frère amena notre père prendre une bière sur une terrasse du Vieux-Montréal. Notre père (homme très complimenteur) observait un jeune serveur. Il ne put s'empêcher d'aller le voir pour le complimenter: "Pardon monsieur, je ne suis pas homosexuel mais je tiens absolument à vous dire à quel point vous avez des yeux magnifiques", ce qui selon ses dires embarrassa le jeune homme.
Lorsqu'il revint à table, mon frère (un client régulier du serveur) expliqua à mon père que le jeune homme, lui, était gai. Notre père fut alors embarrassé du poids de son propre compliment. À travers différentes situations le confrontant à ses préjugés, je crois qu'il finit par assouplir certains de ses principes.
Il était rigide dans plusieurs aspects de sa vie et nombre de fois je me suis emportée contre le manque d'ouverture qui teintait ses réflexions (genre: je l'accusais d'être étroit d'esprit gastronomiquement parlant et il me répondait qu'il était loin d'être difficile puisqu'il aimait la viande et les patates, ce qui donnait à ses hôtes des possibilités infinies pour le recevoir. Je m'insurgeais, lui expliquais que l'ouverture n'était pas dans l'accessibilité de la bouffe qu'on ingurgite mais dans notre capacité à essayer quelque chose de nouveau. Nous nous querellions sérieusement et il réaffirmait contre tous doutes que le fait d'aimer la viande et les patates témoignait de ses larges horizons culinaires). Heureusement, il avait de l'humour et nous avons désamorcé nombre conflits dus à des erreurs de perception.
Mon homme, lorsqu'il veut me faire rire, emploie le raisonnement biaisé de mon père. C'est tellement caricatural que je ne peux m'empêcher d'éclater de rire.
(je suis heureuse d'avoir tous ces souvenirs pour me le rappeler tellement attachant dans ses excès et sa démesure!)
6 commentaires:
Mon mari qui est dans la mi-cinquantaine ressemble tellement à ton père sur ces points-la!!!
Je reconnaissais mon père en lisant tes propos.
Merci pour ce beau billet.
Il y a un peu de mon mari là-dedan.
QUEL BEAU BILLET....REMPLI DE TENDRESSE ET D'AFFECTION....TU AS SÛREMENT UN BEL ÉQUILIBRE EN AYANT VU LES 2 CÔTÉS !! BONNE FIN DE JOURNÉE ET SURTOUT......CONTINUE DE NOUS PONDRE DE SI BEAUX BILLETS...C'EST TOUJOURS BIEN AGRÉABLE DE TE LIRE XX
Les larges horizons culinaires de ton père m'ont bien fait sourire! Steak, patates...
Très cute (et touchant comme d'habitude) sur billet, mais je bénis le ciel de ne pas en avoir un avec de telles largesses ni comme chum, ni comme enfant!
France
Le modèle "Vieux-jeu" est donc répandu?
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