jeudi, avril 03, 2008

La mort...avec désinvolture

Alors que les tout-petits (5-6-7 ans) savent faire des drames impossibles avec des banalités comme "Il a pris ma place à table!", "Il dit que je suis laid", "Il n'arrête pas de chantonner une chanson fatiguante", ils me mystifient complètement avec leur capacité de désinvolture face à une adversité beaucoup plus grande.

J'ai su hier lors de la réunion du C.É. qu'un petit garçon de la classe de Coco (6 ans) venait de perdre son papa. Cela m'a vraiment chagrinée. Lorsque je suis rentrée à la maison, fiston dormait. Ce matin, je l'ai interpelé pour en savoir plus sur ce qui s'était discuté en classe suite à ce triste décès.

Coco s'est alors assis avec désinvolture sur mon lit et m'a raconté: "C'est le papa de Simon. Il traversait la rue en face de son travail et une voiture l'a frappé." Il a haussé les épaules avec une sereine acceptation de la réalité puis a poursuivi: "Une madame est venue dans notre classe. Elle nous a demandé si nous connaissions des personnes qui sont mortes. J'ai levé ma main et j'ai dit que j'en connaissais deux: mon petit frère Thomas et mon Papi."

Il était souriant alors que j'ai les émotions à fleur de peau de penser que six ans, c'est trop jeune pour perdre son papa (je me disais récemment que 33 ans, c'était trop jeune mais six ans, c'est encore plus cruel).

Puis, je pensais aux réactions de Tout-Doux et de Coco lors de la mort de leur jeune frère. Tout-Doux avait six ans et Coco, quatre. Le matin du décès, alors que c'était le branle-bas de combat dans la maison entre l'affolement de Grand-Homme, de moi-même et de Grand-Charme, l'attente des policiers et de l'ambulance, eux, les tout-petits, demeuraient de glace. Ils m'observaient, stoïques, téléphoner froidement à la famille, ils regardaient Grand-Homme tenter de ranimer leur frère inerte sur le plancher. Ils ne réalisaient en rien l'ampleur de ce qui se passait.

Un travailleur social et un psycho-éducateur étaient venus pour faire la liaison entre la réalité funeste de la maison et la réintégration des classes. Tout-Doux avait alors déclaré avec un fond d'enthousiasme: "Moi, j'ai hâte de retourner en classe pour pouvoir dire pendant la causerie que mon frère est mort."

Les deux intervenants avaient demandé à chacun de nos enfants leur lecture des circonstances de la mort. Chacun a raconté à sa façon ce qui s'était passé ce matin-là. J'avais été impressionnée par le stoïcisme et l'apparente insouciance des plus jeunes. La mort est quelque chose de tellement intangible! Coco en avait eu pour plusieurs jours à nous demander quand nous irions chercher Thomas à l'hôpital. Je lui rappelais alors: "Il ne reviendra plus à la maison. Tu te souviens, Thomas est mort. C'est fini, il faut apprendre à vivre sans lui." Et Coco de s'en retourner comme il était venu, avec une sorte de détachement de la situation et un petit sourire mi-insouciant/mi-mal à l'aise.

À cet âge, les réactions sont insidieuses. Elles passent par la bande. Elles nous surprennent au détour. Elle nous étouffent autrement. Coco ne comprenait pas l'irréversibilité de la mort, mais comme j'en ai bavé avec l'insécurité viscérale qui a suivi!

J'ai été étonnée qu'il ne parle pas lui-même des discussions suscitées en classe autour de la mort. Il me semble que la mort nous a tellement interpelés ces deux dernières années. Peut-être qu'en dépit de leur apparent détachement, ils peuvent en avoir marre à leur façon...

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Ce n'est pas banal, comme réflexion. Peut-être qu'au fond, la sécurité vient de la "connaissance".
Mon papa, il est comme ça. Même à 57 ans, dans sa tête, il est maintenant tout petit. Et ce qu'il ne connait pas lui fait très très peur, alors il laisse les autres adultes s'en occuper. Si le truc arrive à quelques reprises, alors, il sait ce que sera la "mécanique", et attend en réfléchissant. Puis vient un moment où il ose dire "bah, ah oui, une telle, elle a passée l'arme...". Comme si.
J'ai souvent pensé que les décès, ils sont comme la première fois où on fait l'amour, en fait. La première-première est assez angoissante et tout est souvent maladroit. La seconde nous amène en terrain plus connu. Les fois suivantes, on joue les vieilles habituées. Comme si.

Anne a dit...

Intellex c'est superbement dit!

Cela dit je suis certaine qu'ils comprennent parfaitement, à leur façon.

Ton texte et la mort récente (hier) d'une tante de mon amoureux qui nous était très chère me remettent en face tellement de réflexions par rapport à la mort.

Ma petite soeur qui avait fraîchement 7 ans lors du décès de mon père me disait se rappeler parfaitement du moment où ma mère nous apprenait piteuse que notre père était décédé. Elle se rappelle avoir demandé ce que voulait dire décédé, ce que voulait dire se suicider, pourquoi ça existait des gens qui voulaient se tuer eux-même, pourquoi notre papa, pourquoi nous. Pendant qu'elle se questionnait d'un air désinvolte comme tu le décris, ma soeur plus vieille et moi mordions dans nos chandails pour retenir les cris de désespoir qui se battaient tous en même temps pour sortir de notre gorge.

D'après moi tous les enfants se demandent un peu si c'est leur faute, peu importe les circonstances.

M'enfin comme d'habitude il est clair que mes réflexions ne mènent à rien. Comment comprendre la mort?

Annette a dit...

Les enfants se familiarisent assez jeunes avec la mort par des histoires telles que Bambi de Walt Disney. Ma fille qui a 4 ans comprend cette histoire, mais ne semble pas comprendre l'ampleur du drame lorsque la maman de Bambi meurt. Pour elle, la maman de Bambi continue un peu à 'vivre' malgré sa mort, car elle réapparaît en rêve à Bambi (pour ma fille, c'est comme s'il y avait une continuité après la mort).

Probablement que tes fils se faisaient aussi une idée de la mort par les films, les médias, etc. Les médias et films banalisent la mort et contribuent à nous 'désensibiliser' un peu malgré nous, ... sauf quand soudainement une mort d'un proche nous frappe de plein fouet et que tout d'un coup (ou avec un peu de temps), on comprend et on réalise que la personne ne reviendra plus jamais. Et pour les jeunes enfants, cela prend certainement un peu plus de temps à réaliser.

Chocolyane a dit...

À près de 21 ans, je n'ai encore jamais été confrontée à la mort. Mes grands-parents sont encore en vie. Mes parents aussi.

Je dois être folle... Mais parfois, je m'imagine ma réaction. Étant plutôt sensible, je n'ai pas de mal. Et je me surprends à sangloter, seule, dans la douche.

Je me demande comment on réussit à passer à travers, et ça m'angoisse.

En fait, j'ai une angoisse du "plus jamais"...