Mon homme est Authenticité. C'est d'abord sa vertu, son esprit vif, son intégrité et la profondeur de son sens des valeurs qui m'ont allumée chez lui.
Je suis admirative devant cet homme articulé et ambitieux qui trouve la plupart du temps réponse à tout. La vivacité de ses réparties me fait sourire et me séduit. M'exaspère aussi, parfois, mais uniquement lorsque j'en perds moi-même mes mots. Mon homme aime bien se complaire dans sa suprématie et son narcissisme parfois suffisant. À une certaine époque, je ne l'avais jamais vu dans une position de vulnérabilité.
Parfois, il est agréablement jouissif de se le remémorer.
***
À notre ancien travail, notre petit groupe de collègues avait un péché mignon: les scénarios finement montés au téléphone pour faire marcher l'un ou l'autre. Il avait lui-même participé à plusieurs des scénarios en tant qu'acteur.
Un jour, son tour vint inévitablement. Un collègue se creusait les méninges pour tenter de trouver un scénario crédible et surtout, suffisamment puissant pour déjouer la grande lucidité de mon homme.
Je lui donnai un coup de pouce en lui tendant un nom et un numéro de téléphone. Il s'agissait du nom d'un automobiliste avec lequel nous avions eu un léger accrochage quelques jours plus tôt sans qu'il n'y ait pour autant de dommages.
Nous avions pris nos coordonnées mutuelles, "juste au cas".
Je fis un briefing express au collègue pour lui permettre d'en teinter son scénario.
Une fois le scénario monté -et approuvé, nous convinrent d'une date. La torture téléphonique se passerait le lendemain soir.
J'étais absente ce soir-là, mais tout se déroula tel que prévu: le complice téléphona à Grand-Homme, livra avec une crédibilité et une assurance remarquables ce qu'il avait à livrer, puis raccrocha. Le "gars de l'accrochage" était un opportuniste de bas niveau qui voulait faire un coup d'argent vite fait sur notre dos!
Aterré, Grand-Homme jugea la chose suffisamment inquiétante pour me déranger à mon rendez-vous.
Je tentai de surpasser mes médiocres talents de comédienne pour remplir ma part du mandat et ne pas bousiller le scénario qui semblait se dérouler, jusque là, à merveille.
J'étais à un rendez-vous très sérieux, mais je ne pouvais tout de même me permettre de ne pas répondre.
Grande-Dame -Allo?
Grand-Homme, paniqué -Je viens d'avoir un téléphone: M. Untel, avec qui nous avons eu un accrochage. Il nous réclame un total de XXXX.XX$ pour des dommages causés à son véhicule. Il m'a donné toute une liste des pièces endommagées (élément-béton pour impressionner un homme qui ne connait strictement rien à la mécanique automobile) avec les montants respectifs. Il réclame aussi un montant pour perte de jouissance.
Grande-Dame, en tentative de contrôle de son fou rire inopportun -Euh... Ça n'a aucun bon sens! FFfhh! Ben voyons donc! On peut en rediscuter tantôt?
Grand-Homme -Ce n'est pas tout.
Grande-Dame -...?
Grand-Homme -Il affirme que ça sentait la boisson à plein nez dans la voiture.
À ce moment, j'eus une pensée pour l'ingéniosité de mon bouffon de collègue. Je tentai de doubler les efforts pour garder mon sérieux.
Grande-Dame -Aucun bon sens! Quel con! Grand-Homme, je ne peux pas te parler maintenant... "Tu sais ce qu'on va faire? On va surtout pas se décourager. On va trouver une solution(merci au papa de Caillou)".
Une heure plus tard, je terminai mon rendez-vous, saisis illico le cellulaire et téléphonai au collègue :"Écoute, ça prend des proportions beaucoup plus grandes que je ne l'avais anticipé. Il est au bord de la crise de nerfs. Je vais peut-être devoir lui avouer ce soir...."
Le collègue, impitoyable -Essaie quand même d'étirer un peu le plaisir...
De retour à la maison, Grand-Homme se bercait stoïquement. Son calme trahissait une grande panique intérieure. Je devinai l'ampleur de la soirée d'angoisse.
Je m'agenouillai près de lui, enfouis ma tête entre ses genoux pour cacher mon visage et étouffer mon fou rire.
Avec mon empathie habituelle, je l'écoutai me parler de toutes les démarches et des coups de téléphone passés dans la soirée pour nous sortir du pétrin. Une amoureuse soutenante, bienveillante, présente. Comme toujours, je fus merveilleuse.
Le téléphone sonna. C'était son père, qui avait fait lui aussi des démarches de son côté. Son père le rassura: impossible de réclamer quoi que ce soit, il est protégé par une clause X de la SAAQ.
Grand-Homme fut un brin soulagé, mais quand même fort tendu. M. Untel avait l'air, lui aussi, impitoyable. Pas du genre à lâcher prise facilement. Et l'histoire de l'odeur d'alcool dans la voiture, quoi de plus angoissant, d'autant plus que Grand-Homme n'avait que son permis temporaire à cette époque!
Coupable, je finis par interrompre sa discussion téléphonique pour tout lui avouer et faire tomber son insoutenable tension. C'était tellement insupportable pour ma si petite nature de le voir dans un état pareil!
Il mit plusieurs minutes à digérer l'arnaque et calmer sa colère.
Puis, sa fierté l'emporta et il décida de se venger.
***
De retour au bureau le lendemain, Grand-Homme, d'un pas décidé, alla droit à la rencontre du collègue arnaqueur et l'entraîna dans la salle de conférence: "Grande-Dame m'a tout avoué. Là, je suis désolé, mais c'est moi qui vais devoir te réclamer un montant. Sous le coup de la panique, j'ai dû consulter un avocat d'urgence hier soir. Je dois donc te réclamer 100$, excluant les frais de gardiennage de dernière minute.
Le collègue fut extrêmement mal à l'aise de la tournure des évènements et moi, coincée, mi-amusée/mi-embarrassée, entre mon complice et ma loyauté amoureuse.
Inévitablement, le collègue vint me voir pour me réclamer la moitié de ce que mon homme lui réclamait.
Pendant une longue journée, à son tour, Grand-Homme laissa patauger le collègue dans l'angoisse de la dette inattendue. Cruellement. Jouissivement.
Puis, les masques tombèrent volontairement à la dernière minute. La tension professionnelle et relationnelle également.
Ce fut la dernière arnaque de notre petit groupe. Et aussi la plus délicieuse. Celle qui possède encore le pouvoir de me faire sourire insolemment dans les occasionnels excès de suffisance de mon cher amoureux.
3 commentaires:
Ha haha ! C'est drôle, je m'attendais à lire un commentaire de Grand Homme....ben y a rien!;-)
hihi trop drôle
et toi on t'a attrappé?:-)
Eh bien... Un commentaire...
Que dire de plus ? Disons que cette mésaventure a été rendue moins amère par la fantastique revenge du lendemain. Mais j'avais rendu mon collègue encore plus engoissé en lui disant que non seulement j'avais été consulter d'urgence un avocat mais, en plus, puisque Grande-Dame n'était pas présente j'avais dû amener TOUS LES ENFANTS avec moi, en autobus !! À tête reposé, n'importe qui aurait pu douter de mes propos un peu exagérés, mais il est si rare de me voir dans un état de furie (bien que artificiel à ce moment) que mon collègue ne pu qu'acquiescer et se fondre en excuses malhabiles. Y'a quelques avantage à avoir une réputation d'homme stoïque.
La morale de cette histoire serait sans doute : "Ne réveillez pas le dragon qui dors." Mais c'est vrai que le dragon avait angoissé..!
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