dimanche, novembre 26, 2006

Velours au coeur

Thomas, les derniers mois de sa vie, avait entièrement sa place dans les jeux avec ses frères.

Les grands s'amusaient à le traîner sur une couverture sur le plancher de bois franc. Thomas se laissait traîner avec joie, aimait qu'on l'emballe dans une boîte de carton et qu'on s'étonne avec exclamation lorsqu'il en sortait subitement, prenait plaisir à courir dès qu'il voyait dans mes yeux et mes gestes lents que je n'attendais que sa fuite pour le pourchasser et le dévorer.

Il pleurait en nous voyant tous disparaître en jouant à cache-cache. Il fallait toujours un volontaire (moi, le plus souvent) pour se sacrifier et le prendre avec lui. Thomas, de sa cachette, faisait du bruit, placotait et trahissait involontairement celui qui avait eu la grandeur d'âme de le prendre sous son aile. Mais il était heureux. Heureux d'être inclus dans le jeu.

Les garçons se construisaient des cabanes en deux clans et Thomas était le seul autorisé à n'avoir pas d'allégeance fixe. Il pouvait passer de l'une à l'autre et on ne lui en tenait pas rigueur.
Petit Caractère, qui vient juste avant Thomas dans la fratrie, était proche de son cadet. Thomas était quotidiennement accaparé par les excessives démonstrations d'amour de son aîné. Il finissait par le repousser, n'en pouvait plus de tant d'affection. Il réclamait sa place dans les jeux de la fratrie, semblait être prêt à laisser son titre de réceptacle à câlins pour graduer vers un titre de joueur à part entière.

À présent, le gouffre est béant entre mes 4e et 6e fils. Comment le 6e pourra-t-il se lier naturellement avec les autres puisqu'il manque un maîllon? L'écart de quatre ans est trop grand, ils ne pourront s'intéresser aux mêmes jeux, la continuité étant brisée par cet hiatus monstre qu'est la mort.

***

Quel bonheur ce week-end de constater mon erreur! J'observais mon quadrupède de 14 mois enjoué marcher en riant vers Petit Caractère dans le but de le mordre. Il fallait voir ce dernier se pousser pour éviter la redoutable morsure d'un bébé apparemment inoffensif!

Bébé, dont l'enthousiasme et la volonté de mordre grandissaient au prorata des tentatives d'évitement de l'autre, poussait de petits cris de joie avant de rire aux éclats chaque fois que ses dents réussissaient à se poser sur la chair de son aîné. Un grand, grand velours au coeur.

Et ce matin, Petit Caractère, fidèle à son habitude, assis à côté de la trappe à chauffage sur la courtepointe avec Bébé en lui énumérant gaiement: "Lapin, coq, écureuil, chèvre, Caaanaaard!!!"...

Le splendide rire aux éclats de Bébé qui résonne de l'autre bout de la maison après chaque "canaaard"...un grand, grand velours au coeur.

Je vais les espionner pour observer la scène de plus près: Petit Caractère a été chercher un yogourt -qu'il partage avec le petit quadrupède. Entre deux bouchées, il énumère les quelques animaux d'un livre dont il regarde les images avec bébé et après la nomination du dernier animal, il se frotte le nez sur le bedon nu d'un bébé ivre de bonheur qui offre à qui veut l'entendre ses délectables éclats de joie.

Soudainement, un murmure d'espoir que malgré la sourde douleur, l'absence du cinquième maîllon n'empêchera pas le quatrième et le sixième de se lier, que ma famille ne sera pas scindée entre "l'avant" et "l'après".

8 commentaires:

Anonyme a dit...

ha....tellement touchants ces enfants...adorable.

je suis heureuse de ce velours au coeur

Shônia a dit...

J'ai pue observer, vendredi soir, petit caractère écouter un film tout en se faisant tirer les cheveux-donner des bisous baveux-fouiller dans sa collation sans cesse par petit quadrupède et ce, sans rouspeter. J'ai aussi vue ton fils ainé s'assurer que petit quadrupède n'ingère rien de "dangereux" pour lui. Puis ta douceur s'est occupé de nourrir petit quadrupède avec de la nourriture approuvé par fils ainé.

Soit rassuré que tout en gardant présent dans leurs souvenirs le cinquième maillon de leur fraterie, la solidarité et l'amour fraternel qui reigne parmis tes fils est tout à fait admirable!

Grande-Dame a dit...

Oh, touchant ce regard externe! Voilà que tu flattes généreusement mon égo maternel, merci! ;-)

Belle d'Ivory...Binette de fleur imaginaire, à défaut de t'en offrir une authentique. ;-)

Anonyme a dit...

Que d'amour et de bonheur malgré tout dans tes écrits et ta merveilleuse famille...

Pur bonheur a dit...

Tu sais, dans quelques années 4 ans de différence n'y paraitra plus. Quelle belle famille !

Anonyme a dit...

De solides liens unissent tes petits hommes! C'est tellement touchant de lire les histoires de ton quotidien avec eux.

Grande-Dame a dit...

S@hée, Tangerine, Dr. Maman...Merci pour vos fleurs-commentaires.

Anonyme a dit...

Mmmm, c'est bon, ça, de voir que malgré toute cette douleur (et moi qui n'ai qu'un fils, je frissonne à l'idée...), votre famille est restée vibrante et joyeuse.