jeudi, novembre 15, 2007

La force du réseau

Depuis le début de ma vie adulte, j’ai connu les bienfaits de deux types de vie complémentaires: l’isolement dû à mes études –à distance (j’ai fondé ma famille en étudiant à plein temps) et la nourriture sociale que constitue le réseau développé par le travail.

Pour le social, il y avait la famille, les amitiés, les collègues. Puis, l’organisme communautaire de mon quartier dans lequel je m’impliquais et les camarades du judo.

Il y eut, après mes études, les congés de maternité qui me plongeaient dans un profond paradoxe : la famine sociale liée à l’isolement par opposition à mon besoin de demeurer avec mes bébés jusqu’à ce qu’ils puissent se déplacer à quatre pattes, prononcer un « maman » enthousiaste doux à mes oreilles pour m’accueillir à mon retour du travail.

Il y eut l’unique session de maîtrise où je sentis la liberté absolue que constitue le fait de circuler dans un lieu de savoir en étant autre chose qu’une mère. Il y eut mon travail auprès de chercheurs en communication et toute la confiance qu’ils avaient placée en moi. Y a-t-il plus enivrant sentiment que celui de se sentir admiré et estimé?

Socialement, il y eut des dîners fous de copines spontanées, charismatiques et lumineuses.

Il y eut aussi la reddition : je n’arriverais pas à terminer ma maîtrise avec quatre enfants, peu de sommeil, beaucoup de responsabilités, pas de soutien conjugal et un couple à la dérive.

Puis, il y eut ma séparation. Une libératrice mais tout de même douloureuse séparation où je me savais la force de passer à travers alors qu’on s’inquiétait de ma solidité. Je me sentais solide parce qu’élément d’un système où règne l’homéostasie, parce que membre d’un réseau, parce que confiante en ma force.

Il y eut mon amour profond pour mon homme et plus vite que l’éclair (!), les deux divins enfants que nous avons eus ensemble.

En trois ans, il y eut une séparation, un nouvel amoureux, beaucoup d’adaptation de part et d’autre, la naissance de deux enfants, la mort de l’un d’entre eux, le démarrage d’une entreprise, le sabordage de celle-ci, trois cancers pour mon père et des soucis de différents ordres. De l'amour gros comme ça, aussi.

Ces trois dernières années et demi, il y eut l’effritement de mon réseau social. Parce qu’en congé de maternité prolongé et sans vie sociale active, la famine est plus criante et menaçante que jamais.

Aller prendre une bière avec une copine, aller dîner avec une autre de temps à autre, c’est momentanément nourrissant, mais ça ne remplace pas l’apport vitaminique du réseau.

Le réseau, c’est le système dans lequel tout être humain trouve la place qui tend à le mener à l’équilibre. C’est sa part d’appartenance au monde actif. Le réseau, c’est la gang, c’est l’appui derrière, c’est les petites tapes dans le dos, c’est l’image positive que l’on nous renvoie de nous-même et qui nourrit notre estime, notre sentiment d’avoir des compétences et une personnalité qui nous sont propres, c’est la certitude d’avoir une place dans une communauté, c’est prendre du système et lui redonner autrement, c’est sentir que l’on contribue nous aussi à nourrir la machine.

La richesse du réseau, c’est les discussions spontanées au bureau au détour d’un couloir, c’est le bonjour joyeux aux collègues le matin, c’est la force de la cohésion, le partage des bons coups, les fous rires, les brainstorming d’équipe, le feed-back, l’entraide, les compliments inattendus, les sourires de ses pairs, la reconnaissance, la familiarité, l’accueil des autres, la gratification sociale.

Graduellement, j’ai perdu cela. C’est un vide immense et on pourrait croire que le vide ne pèse rien. C’est faux. Le Vide, c’est très lourd. Seuls, sans reflet de nous-même, qui sommes-nous? N’est-ce pas essentiel d’avoir la possibilité de se voir dans le regard de l’autre pour être en mesure de maintenir et de peaufiner la définition que nous nous faisons de nous-même?

Être consciente quotidiennement des riches réseaux dont fait partie l'être qui partage ma vie me confronte. Cela creuse un écart entre nos réalités dans un moment où j’ai plus besoin du diapason que du fossé.

La solitude est douce, l’isolement est destructeur. Je suis devenue un terreau parfaitement fertile pour la folie.

Mes implications isolées ne me permettent pas de développer de réseaux, seulement quelques connaissances agréables, mais éparses et sans force de frappe.

Durant l’année de mon entreprise, il y eut le réseautage d’affaires. Ce fut agréable et je suis heureuse de l'avoir fait même si ce n'était pas exactement ce que je recherchais humainement. Rencontrer d’autres entrepreneurs, discuter, partager des repas, s’informer ou simplement se reconnaître et se saluer.

Hélas, ce fut aussi une année de deuil où mon esprit était absent. Avalé par autre chose. Ailleurs, dans un univers émotif inconnu. Paralysé. L’émotif sollicite toute ma personne. Impossible de m’en dissocier. Utopique d’espérer en faire fi pour les besoins de la cause. Rencontres superficielles, donc, où il me fallait me détacher de mon fardeau émotif le temps de m'intégrer aux affaires. Quelle illusion! Off la sourde souffrance, on le masque de sociabilité.

La reconstruction d’un réseau est graduelle. Le mien n’en est pas encore aux devis.

J’espère depuis des mois terminer mon livre avant de retourner travailler. Boucler un projet avant d’en démarrer un autre. Être entièrement disponible d’esprit. J’ignore actuellement comment je pourrais concilier les deux. Finances, besoin de réalisation et soif de social obligent, je continue tout de même ma recherche d’emploi.

Peut-on avoir un aussi grand besoin de calme et de solitude pour terminer un projet essentiel à notre survie émotive en même temps que la quête désespérée de la gratification qui vient avec le reflet positif de nous-même issu du réseau?

11 commentaires:

Dr Maman a dit...

La fête passée.. adieu le saint. Le réseau, les amis, s'amenuisent lorsque nous délaissons l'endroit où se tient l'échafaud du social. Des amitiés que l'on croyait sincères s'amenuisent... C'est le lot de beaucoup de maman à la maison ou de travailleurs autonomes. Se recréer un réseau est vital, mais combien difficile parfois. Le cotoiement de pairs peut être bien important dans la définition de soi. A nous de redéfinir ce soi si la situation nous éloigne du réseau. Bons projets!

Encre a dit...

À trop être confinée dans un univers qui n’est plus qui n’est plus strictement le nôtre et qui ne peut plus nous suffire, on a besoin de réintégrer le monde des adultes, et de s’y réaliser. J’aurais peut-être dû me contenter de parler à la première personne. J’ai besoin de travailler aussi avec des adultes, de rencontrer aussi des adultes, d’avoir des conversations avec des gens de plus de 10 ans. Je suis pourtant en train d’effectuer le fameux virage en direction du travail autonome pour pouvoir consacrer plus de temps à mes enfants. En ce moment, je jouis encore du meilleur des deux mondes (travail à l’extérieur et travail autonome) mais je ferai bientôt le grand saut ― pas dans le vide, j’espère. J’ai pourtant des appréhensions, et votre billet me rappelle qu’il me faut trouver des moyens de préserver certaines relations, ou créer de nouvelles. Bonne chance à vous! Je vous souhaite tout le calme du monde (tout le calme possible dans une maison si grouillante de vie) pour finir d’accoucher de ce livre, puis d’intégrer le plus stimulant des milieux de travail.
J’ai bien hâte de voir votre bouquin dans la vitrine de mon libraire :D

Anonyme a dit...

C'est un très beau texte ! Et pourquoi les deux ne seraient pas compatibles. Besoin de calme intérieur et besoin de se reconnaitre dans l'autre à l'extérieur ? C'est juste le temps qu'il faut prendre, et c'est vrai que tisser un réseau peut prendre un peu de temps....et si l'écriture et l'édition de ton livre t'apportait tout à coup un réseau là où tu t'y attendais le moins ? :-))

Mi-trentaine a dit...

Dommage que nous, tes lecteurs, n'ayons qu'une présence virtuelle, car nous constituerions tout un réseau social!

Véro a dit...

Je ne savais pas que tu écrivais un livre?! Ca me met de bonne humeur, tiens!!! Tu as un tel talent d'écriture, il fallait que tu l'exploites, c'est clair!
Peut-être que tu es à un moment de ta vie où tu laisses derrière toi celle que tu as été... pour devenir celle que tu as toujours voulu être...
Quand la vie donne des coups, il y a urgence à ne plus rien laisser filer...
Je te souhaite plein de bonnes choses pour l'avenir..

Méli a dit...

L'être humain est complexe, je comprends très bien ce que tu exprimes... Tu es consciente de tes besoins et lucide, tu trouveras certainement le chemin qui te conduiras vers la satisfaction de ces besoins... Take care, xoxo

Annette a dit...

Grande Dame,

Maman d'une fillette de 4 ans, je trouve que les enfants font grandir notre réseau de façon agréable et spontanée. Matin et soir à la garderie, c'est avec plaisir que je rencontre les autres parents, les éducateurs et les enfants. De même, grâce à ma fille, je connais mieux mes voisins qui sont ravis de la voir grandir. Par ses cours de ballet et de natation, mon cercle s'agrandit aussi lorsque je salue les autres enfants et leurs parents de même que les instructeurs.

Je trouve ces rencontres généralement plus chaleureuses que certaines d'ordre professionnel qui ont tendance à être teintées d'intérêts pécuniers plutôt que d'amitié.

Votre réseau est probablement plus grand que vous ne vous en doutez.

Bien entendu, le milieu du travail et ses défis vous manquent. Mais rappelez-vous que ce même milieu est aussi coloré de compétitions, à l'occasion de harcèlement, de politique et de conflits.

Bonne chance dans votre recherche d'emploi.

Une lectrice assidue,

Annette

Grande-Dame a dit...

Votre point de vue est très intéressant Annette!

Vous avez raison, du moins, en ce qui me concerne, pour la garderie. J'aime bien les discussions quotidiennes spontanées qui finissent toujours par s'étirer longueeeement avec l'éducatrice de mon tout-petit.

Nous sommes deux incorrigibles pies, mais j'imagine qu'un certain besoin de social est comblé via ces discussions.

Anonyme a dit...

Maslow n'aurait pas mieux expliqué le phénomène.
Je vous lis comme une catharsis de mon théâtre intime !!! Personnellement, le "been there, done that" derrière la cravate, j'acquiesce. Et je salue votre courage. Peut-être n'en est-ce pas, pour vous ? Quant à moi, j'aurais utilisé les mêmes mots, le même ton, la même tangente... mais n'aurais su assumer ouvrir avec tant de lucidité mon insatisfaction (been there... déjà dit huh ?). Vous êtes grande, cela va de soi. Et Dame, jusqu'au bout de moi. Écho.

Anonyme a dit...

on remarque de plus en plus l'arrivée sur la toile des reseaux professionnels qui viennent s'ajouter a tous les reseaux sociaux grand publics
ainsi comme sus mentionné les reseaux etudiants mais aussi les reseaux pro tels que lesjeudis.com proposent par exemple un reseau de chercheurs d'emploi desirant acquerir des infos sur les employeurs ds le plus grand anonymat
pensez vous que ces nouveaux moyens de recrutement et d'informations sur les entreprises puissent revolutionner le monde de l'emploi et du recrutement?

Anonyme a dit...

je vois pas en quoi s'inscrire sur des reseaux sociaux puissent aider a la recherche d'un emploi, a moins d etre extremement chanceux mais ça s'appelle le hazard