Le drame vécu par la famille Cornue représente la hantise de tous les parents. Perdre un enfant: on essaie simplement de le concevoir et déjà, c'en est trop. Ceux qui l'ont vécu font peut-être un plongeon dans leurs propres souvenirs. Je dis peut-être car je ne risquerais pas de me faire la voix de.
La corde raide toute la journée. Comme tous les autres. On est tous humains, on l'a tous déjà envisagé. On a tous déjà soupiré un peu que ce soit arrivé au fils du voisin plutôt qu'au nôtre. En culpabilisant d'avoir eu une pensée aussi odieuse malgré la sincérité de notre compassion. Et pourtant. La corde raide parce que le temps est comme une petite croûte de glace mince sur les souvenirs. Juste un petit crac et tout y est.
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Je m'y revois tellement, dans cette petite pièce à l'hôpital dans laquelle j'étais inséparable du corps de mon enfant. Un petit effort pour le partager avec les autres et hop, à nouveau scotchée près de lui.
Puis, cet enquêteur costaud entrant pour revendiquer sa part aussi. Eh oui, mort d'un jeune enfant, enquête obligée, veuillez sortir de la pièce svp. -Mais pour combien de temps? Qu'est-ce que vous allez lui faire?
Et moi de sortir en laissant mon fils à ces étrangers qui le scruteraient dans cette intimité que l'on cherche toujours à préserver quand on est parent.
Et je me revois, Frédéric dans les bras, sortir de la pièce. Je sens encore mes jambes faiblir, mon corps s'effondrer. Je ne sais plus trop qui a rattrapé Frédéric pendant que je rencontrais le sol. Juste nos familles autour et ce grand silence respectueux. Ou peut-être juste ce grand silence parce qu'il n'y avait rien à dire, tout simplement.
Je revois ce fauteuil roulant arriver. Peut-être mes perceptions me font-elles défaut. Je me souviens d'une infirmière qui insistait pour que je m'y asseois pour aller à la toilette. J'ai deux jambes, je sais marcher. -Madame, asseyez-vous, ce sera plus facile. -Je suis capable de marcher, je ne suis pas handicapée. Et moi de me relever, avec ou sans aide, est-ce important. Au bout du couloir, la toilette. Pour s'y rendre, passer devant cette pièce où policier et photographe examinaient mon enfant comme une victime potentielle alors qu'il n'était qu'un petit canard d'amour.
En sortant de la toilette, encore cette infirmière. Cette fois, elle me tendait des cachets que je refusai. -Prenez-les, Madame. Ce sont des calmants. -Je n'en veux pas. -Vous êtes en état de choc, ça vous fera du bien. -Bien sûr que je suis en état de choc, mon enfant vient de mourir! -Ça vous fera du bien... - Rien ne peut me faire du bien, MON FILS EST MORT!
Et l'infirmière bien intentionnée de rester plantée là devant ma détresse, mes principes et la nécessité pour moi de tout vivre à froid. Elle les tendit à mon homme au cas où lui voudrait bien essayer de me les refiler...
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Quelques jours plus tard (une éternité), mon père dans ma maison alors que nous rentrions de je ne sais plus quelle démarche funéraire. Il avait une bière à la main, m'en offrit une. Je la refusai.
-Il ne faut surtout pas que je boive d'alcool. Si je bois de l'alcool maintenant, ça signifiera sans doute que je suis une alcoolique qui saoûle sa douleur pour ne pas l'assumer.
Et mon père de s'indigner: "Voyons ma fille! Tu n'es pas alcoolique parce que tu prends une bière après la mort de ton fils! Qu'est-ce que racontes là!? Tu as le droit!"
Je refusais de prendre ce risque. Et mon père d'insister. Et moi, loque, de finir par siroter mécaniquement une bière avec culpabilité glaciale sous le regard bienveillant de mon père aussi démolli que nous l'étions tous.
Et presque tous les jours, mon père de me téléphoner pour vérifier si j'avais mangé. C'est que la douleur de la perte était si importante qu'elle masquait les besoins physiques futiles comme manger, dormir, avoir chaud (respirer!!). Les plats préparés par les voisins, maman, amis, famille qui fusaient pour nous donner un coup de pouce... C'est tellement capital le soutien!!
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Des images, comme ça, qui défilent à la pelletée. Tellement lointaines et tellement près à la fois.
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Loin, loin, loin de moi l'idée de chiper des bribes de ces élans de réconfort et de compassion destinés avec raison à cette Maman Cornue qui en a tant besoin. Seulement, au fil des heures qui s'égrènent, le calque de ma propre histoire si ressemblante à la sienne, le film du "après" qu'on occulte pour continuer d'avancer qui défile naturellement pour que jamais on ne l'oublie...
Quoiqu'il arrive, je me sens liée à Mme Cornue.
Inutile de commenter ce billet. Allez plutôt écrire un mot de réconfort à notre consoeur humaine éplorée, si ce n'est déjà fait.
19 commentaires:
Toute la journée j'ai eu le désir de te laisser un mot sans oser le faire... Là j'ose...
Ça fait déjà un petit bout de temps que je te lis, j'ai lu tout tes billets libellés "Thomas"... J'ai beaucoup beaucoup d'admiration pour toi...
Ce que je voulais te dire aujourd'hui, c'est que mes pensées vont vers toi aussi, cette journée n'a pas dû être facile pour toi. Je t'offre compassion et réconfort... Tu en as sûrement besoin et tu as le droit... Celà n'enlève rien à Mme Cornue.
Calins sincères
Moi aussi grande dame je laisse un petit mot ici. puisque depuis quelque temps j'apprends à vous connaître et à aimer ce que je découvre, je demande pour vous aussi, quelques anges qui sauront je l'espère sincèrement vous réconfortez en ce triste jour, un de ces jours ou les émotions remontent subitement et certainement beaucoup trop clairement.
MIKA
je suis aussi d'acord avec femme charmante.....cette journée doit aussi contenir une énorme souffrance et je vous envoie à vous deux...beaucoup de courage et de force ! xxx
C'est en pleurant que j'ai lu ton billet, Grande Dame.
Tu nous en a parlé souvent, par petits bouts, de la tragédie du départ de Thomas. Mais c'est la première fois je crois que tu nous parle de ce qui s'est passé à l'hôpital et ça m'arrache les larmes rien qu'à te lire.
Je vais passer souvent chez Les Cornus , elle va avoir besoin de soutien...
Pur bonheur
Pas de commentaire........Juste une pensée, une prière, quelques soit le mot.Mon coeur est tourné vers vous, mamans de petits anges.
Gros calin a toi
Le noeud dans la gorge, j'ai envie de vous dire comme hier... que je vous fais un gros calin à vous aussi.
Ça fait mal de vous lire, des mots qui percent, droit au coeur. Je souhaite que votre douleur ne reprenne pas des proportions trop grandes et que vous réussissiez malgré tout, à conserver la sérénité (si je puis dire) que vous aviez acquise.
xxx
Billet touchant... et désemparant.
La tragédie de la famille Cornue doit ouvrir bien grand la blessure que tu as.
Aujourd'hui, une pensée pour toi, un gros câlin et une dose de réconfort et "plaster" pour le cœur qui craque.
Merci pour Madame Cornue, car je suis persuadée qu'un jour, elle trouvera réconfort et soutien dans ton histoire.
Personne n'a besoin de moins de réconfort lors de la perte d'un être aimé, que ce soit pour le départ d'un vieux ou d'un tout jeune enfant.
Que ce soit arrivé hier ou l'année dernière ou l'année d'avant ....
J'admire votre solidarité et les mots que vous choisissez de partager et qui nous rendent plus humains. J'admire votre sens de la loyauté dans ces moments de douleur réveillée.
Je ne peux m'empêcher de vous le dire.
Amicalement
Jeanne
Je t'embrasse ma belle. Rien à ajouter, sinon que je pense à toi et à Mme Cornue, sans même la connaître...
Virginie
Bonjour
Ca fait longtemps que je vous lis, j'ai laissé parfois des messages, surtout a la naissance de Beatrice, aujourd'hui j'ai de nouveau envie de vous en laisser un...
La douleur de Mme Cornue vous ramene a votre propre douleur et c'est bien normal et comprehensif, et ca n'enleve rien a celle de Mme Cornue soyez en sure.
Je n'ose imaginer l'horreur de perdre son enfant car je sais deja ce que c'est que de perdre son bébé a 7 mois de grossesse, c'etait horrible... alors je n'ose imaginer ce que ca doit etre quand ce bébé on l'a vu grandir et qu'on a passé du temps avec lui. Ma souffrance apres la perte de mon fils n'est rien comparer a la votre et a celle de Mme Cornue, pourtant pour moi elle etait terrible ( et elle l'est toujours), vous voyez on a tous notre souffrance mais a des echelles differentes.
Alors ne pensez pas que vous faites de l'ombre a Mme Cornue, je suis sur qu'a ce moment meme vous souffrez tout autant qu'elle, pour vous meme ( ca vous ramene a ce jour terrible) et pour elle car vous savez ce qu'elle andure, elle et les siens.
Je suis triste pour elle, pour vous, et en colere aussi car ce genre de chose ne devrait jamais, jamais arriver...
TEndres pensées
Je pense beaucoup à vous, Grande Dame. Je pense à Hugo qui disait qu'il y avait, dans sa vie, un "avant" et un "après" qui étaient séparés par un abîme : le tombeau (il a perdu sa fille de 18 ans environ). Prenez soin de vous.
Enne
P.S. Je ne sais pas si c'est le moment de dire ceci, ni si cela doit être dit, mais j'y vais. Thomas, votre "petit canard", je ne veux pas que vous croyez qu'il sera oublié (c'était l'une de vos craintes, il me semble, à un certain moment). Vous le faites vivre dans vos textes, même s'il ne grandit plus, même si son corps, ses mots, son sourire vous manquent cruellement. Il habite désormais toutes celles, tous ceux qui ont lu vos textes et qui ont été bouleversés par cette petite vie qui vous a été arrachée. Alors voilà. Bon courage dans ce ressassement de souvenirs malheureux. N
Grande Dame, je te fais un gros câlin. Je te serre fort sur mon coeur. Et je pense à toi bien fort pour tenter de t'envoyer des ondes de réconfort. Ça te ramène en arrière et ce n'est pas facile.
Matty xxx
Quand j'ai appris la nouvelle j'ai pensé à toi. Je me suis demandé si tu savais, si tu en entendrais parler et si je "devais" t'en faire part.
Ce ne sera donc pas nécessaire.
Ça me touche autant que lorsque ça été toi. Au point d'en oublier de me laver la tête dans la douche (je me la lave toujours). Ce genre d'impact là là. Je suis là "à moitié" et à temps partiel...
J'suis pas certaine que je ressortirais saine d'esprit d'une telle épreuve.
Ouf... tu es dans mes pensées aussi. L'histoire de Nadia me remue tellement et je n'ai qu'effleuré la mort d'un enfant, je ne peux imaginer ce que ça secoue en toi... Si tu savais le réconfort que j'ai trouvé dans tes écrits après mon petit drame à moi, je ne l'ai jamais fait, mais je te remercie du fond du coeur de ton ouverture et ta sensibilité.
Et les fameux calmants... combien de fois on m'en a proposé cette journée où mon Angie est née... j'ai préféré affronter dans la crudité que le brouillard.
Vous êtes gentilles et compatissantes et j'en suis touchée.
Je vous remercie de conserver dans votre mémoire mon histoire, celle de Thomas.
Vous l'avez dit, Enne, quand on perd un enfant, on ne veut surtout pas que les autres l'oublient. Même si la vie continue (et doit continuer), une part de nous-même se perd quelque part entre l'avant et l'après.
Le temps continuera de couler et même si par moments je souffre de la diminution de la vivacité de certains souvenirs, toujours, il me manquera une partie de moi-même. Jamais je n'oublierai mon fils et toujours le petit Benjamin demeurera vivant dans le coeur de Maman Cornue.
Merci d'entretenir vous aussi le souvenir.
Ouf. Je me permets, à travers mes larmes, d'écrire un petit mot ici... J'ai tout de suite pensé à toi, Grande Dame, en lisant les mots de Mme Cornue. Ma première réaction a été de me dire: "Ah non! Pas un autre!"
J'imagine que chaque histoire pareille vous ramène dans le temps. Ce doit être épouvantable.
Je te fais un gros câlin, Grande Dame. Parce que je sens que c'est tout ce que je puisse faire, dans mon impuissance...
oh. Je n'avais jamais lu ce billet. Quelle est étrange la vie avec ces millions de fils qui nous relient aux autres, non?
Je me sens liée à toi d'une façon bien spéciale auquelle je tiens beaucoup à vrai dire :)
Ah que le temps passe si vite...
Merci pour ces beaux mots remplis de compassion et de sincérité +++
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