Voilà neuf mois aujourd'hui que notre Thomas est décédé. Neuf mois plus un jour que j’ai bercé tendrement mon petit garçon brûlant de fièvre sans me douter que c’était la dernière fois. Neuf mois plus un jour qu’il s’est endormi paisiblement dans mes bras et que j’ai été touchée de tant d’abandon à mon égard. Neuf mois. Le symbole temporel de la Vie. Le laps de temps nécessaire pour construire un humain qui deviendra autonome.
Nous avons appris ce matin que la directrice-adjointe de l'école où mon homme enseigne venait de perdre sa fille de seize ans dans un accident de voiture.
C'est bouleversant de connaître trop intensément le calvaire qu'elle et sa famille vivent en ce moment. C'est atroce de savoir que deux parents de plus ont été contaminés par cette insoutenable déchirure qui fera désormais partie de leur histoire et de leur quotidien.
La vie est un guess. On investit temps, amour, espoirs dans un enfant et on ignore si tout ça nous filera entre les doigts ou si nos petits pourront construire sur tout le capital que nous voyons avec fierté s'accumuler chez eux.
Au colloque sur la mort subite du nourrisson auquel nous avons assisté en septembre dernier, nous avons rencontré un couple des plus inspirants. Ils avaient perdu leur petite fille de vingt-deux mois pendant son sommeil dix-huit mois plus tôt.
La femme était enceinte de huit mois et elle et son mari semblaient amoureux, complices, heureux, confiants en l'avenir. Ils étaient magnifiques à voir.
Ils nous ont expliqué que suite à la mort de leur Jasmine, ils avaient beaucoup cogité sur le sens qu'ils voulaient donner à la vie, sur la façon dont ils voulaient l'honorer.
Ils ont affirmé qu'en dépit de tous les risques de souffrance qui viennent avec la venue d'un enfant, ils avaient accepté de prendre ce risque à nouveau. Après la mort d'un enfant, on repousse souvent l'idée de poursuivre la construction de sa famille, redoutant la douleur dorénavant trop familière qui peut nous attendre au tournant. Quel écorché vif voudrait prendre le risque de s'achever en affrontant le même drame une seconde fois?
Toutefois, le temps passe, adoucit parfois la perception de la souffrance. Prendre ce risque, pour un parent endeuillé, signifie aussi prendre le risque de tout le magnifique qui vient aussi avec la naissance d'un enfant. C'est là-dessus que le couple avait décidé de miser.
La certitude de tout ce beau peut sembler évident pour quiconque choisit d'avoir un enfant. Après tout, c'est la raison principale pour laquelle on choisit de concevoir un bébé. Et c’est bien ainsi pour assurer la survie de l’espèce : si nous avions la conscience absolue et viscérale de la douleur auquel on s’expose en faisant le choix de mettre au monde et de prendre sous son aile des poussinets que l’on ne peut immuniser à coup sûr contre toute agression, ne serions-nous pas terrifiés par notre propre impuissance? Cela pourrait affecter nos choix et avoir une grande incidence sur la prospérité de l’espèce humaine.
Après avoir pris malgré nous conscience que la mort et la souffrance sont aussi intrinsèques à la vie, on saisit doublement, je le crois, la valeur de chaque merveilleux moment qui nous est offert.
Ce couple avait repris confiance et était prêt à dealer avec les incertitudes et les coups bas de la vie. Leur attitude m'avait beaucoup touchée.
Je pense à présent à cette mère fraîchement endeuillée qui doit affronter la pire douleur qui soit. Je n'aurais que cette envie de lui offrir ma très perméable épaule pour qu'elle la mouille à volonté. Comme mes amies l’ont fait pour moi il y a neuf douloureux mois.
En tendant l’épaule, nous offrons une partie de notre force, mais également une partie de notre vulnérabilité. Ne pleure-t-on pas aussi ses propres blessures à travers la souffrance des autres? C’est peut-être ce que l’on appelle la compassion.
12 commentaires:
Vous êtes Grande, chère Dame. Très Grande. Avec des majuscules partout.
Je me permets le Stendhal devant vos mots, j'emprunte vos points pour catharsis. Et je vous souris. Sachant.
Je vous souhaite le rouge sur le noir, le jaune près du bleu. Le sourire brodé à la larme. Et tous ces souvenirs à bien préserver.
Je ne parle pas aussi bien que JM, je veux simplement que tu saches que tu m'as émue. Que même si cette douleur, je ne la comprends pas, je tente de l'imaginer. Je la perçois un peu. Simplement un peu. Et ce peu est tellement douloureux...
chere amie, Puis-je t'offrir un sourire du coeur, une fleur, une grande valse avec ton amoureux pour t'amener l'espace d'un instant dans une dimension du coeur ou tu t'envoleras en pensée rejoindre ton petit amour pour le bercer un autre fois.
Pour toi aujourd'hui Grande Dame, j'ai reçu un calin rempli de tendresse et les rires heuruex d'un enfant calin.
Tu as tout à fait raison.
Concernant la vision de ce couple, moi je la résume un peu à "qui ne risque rien n'a rien"... C'est très simpliste mais reste que c'est ça quand même que nous, nous avons conclu. Si nous étions restés bloqués à la perte de notre bébé, à mon avis ça n'aurait eu que des impacts négatifs. Notre fille serait encore enfant unique, nous n'aurions pas Bébé, nous serions sûrement rendu moins "loin" dans notre deuil que nous le sommes là, nous serions rendus "craintifs" de la vie beaucoup plus que nous le sommes là (car oui ça a son impact et je pense que c'est pour la vie).
Il faut apprendre que ce genre de drame ça fait partie "des choses qui arrivent" aussi cruel que ça puisse être quand nous le vivons. Vous n'étiez pas les premiers, ni les derniers, à passer par là. Nous de même...
On ne le souhaite à personne mais on sait que ça va indéniablement ré-arriver...
Bon courage à ce couple fraîchement éprouvé.
Je tiens à rajouter ceci:
Je crois que l'important c'est de trouver notre propre façon de nous RÉCONCILIER avec la vie. Trouver une façon pour qu'on puisse dire autre chose que "la vie est une vache...", conclure autre chose...
Doub, je peux appréhender à travers ce que tu écris, juste sentir du bout des mots, et je me dis que c'est ainsi que l'on doit vivre, dans la pleine conscience de toute cette infinie fragilité, afin de saisir tous les moments à leur juste valeur.
Les gens me disent que je suis intense. Et c'est ô combien vrai. Je n'ai pas vécu ton épeuve mais tes souffrances tout comme tes envolées d'amour éternel pour cette partie de toi en voyage font écho en moi, et je te gardes, souvent, au quotidien, une pensée. Nous ne nous connaissons pas. Mais toutes les mères se connaissent.
Et quelle maman tu es!
C'est la douce magie de noel.... :)
Vous êtes des perles d'empathies.
jm, j'ai un grand faible pour vos images colorées.
Choco, grand coeur sensible...une fleur, tiens! ;-)
Baraka, une valse avec mon amoureux? Hm, j'ai un gros faible pour cette image aussi!
Y en a marre, vous semblez avoir vécu votre épreuve la tête haute. Ça ne signifie toutefois pas que le coeur est muet, mais la force de la vie vous a tirés par en avant. Ça vaut beaucoup ça.
Vivi, tu me touches. Tes paroles sont d'or. Merci.
Votre billet m'a touché. Réellement. Que dire d'autre ?
Un (ex) Futur Papa d'un bébé de 5 mois
Tu m'enlèves les mots de la bouche. C'est magnifique Grande Dame.
Mon commentaire sur la magie de noel devait plutot apparaitre dans "et la lumière fut" ..désolée!!
Je découvre votre carnet et je suis si émue de vous lire. Rien que la pensée de six enfants m'entourne et passer au travers une telle épreuve m'émeut énormément. Perdre mon petit bout de fille est ma plus grande peur, ma plus grande angoisse. Depuis qu'elle fut dans mon ventre, je n'ose imaginer le pire, j'essaie de chasser l'angoisse qui s'immiscent en moi dès que j'y pense. Même si j'ai failli mourir après l'avoir mise au monde, je repasserais par les même souffrances pour la savoir en santé.
Mon coeur se serre pour votre petit Thomas. Je ne peux imaginer la peine. Les mots sont creux devant une telle épreuve. Votre force m'inspire...
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