Petit à petit, sans même que vous ne vous en rendiez compte.
Les téléphones qui s'espacent, les soupers qui se font de plus en plus rares, les rituels qui tombent puis plus rien. Plus de nouvelles. Vous n'avez rien oublié seulement, au moment où vous regardez derrière, vous apercevez le fossé et votre amie, loin derrière, n'est plus qu'un petit point noir.
Petit à petit, sans même que vous ne vous en rendiez compte.
Les attentions, le plaisir de se retrouver tous les deux, la volonté de préserver farouchement la zone intouchable, le temps si précieux lorsque passé en sa compagnie, ce que vous ressentez pour l'autre. Vous reconnaissez autant de valeur. La logistique, les petites guerres, les attentes, les besoins de chacuns, les demandes constantes, le bordel continuel, les suivis, les soupirs, les Post-it qui n'en finissent plus de s'accumuler, les listes, les tableaux de trucs à ne pas oublier, le temps que vous ragez de n'avoir pas pour appliquer à vos aspirations, le sentiment d'étouffer, de crouler sous le boulot à abattre à travers tous les feux allumés aujourd'hui à éteindre hier, la tristesse de convoiter ce qui devient peu à peu inaccessible, l'amertume d'avoir l'impression de donner beaucoup plus que ce que vous recevez, la fatigue, la sollicitation, les courses, les devoirs moraux qui vous sapent et que vous négligez, les travaux scolaires, les urgences, les pépiements constants tous en même temps. Vous prenez le temps de vous arrêter, vous en tremblez de fatigue en dépit de vos débordements de motivation et de volonté. Vous regardez derrière. Vous n'avez rien oublié. Vous n'oubliez pas. Comment le pourriez-vous? De l'autre côté, vous plissez les yeux et vous l'apercevez: un petit point noir qui pourtant possède un pouvoir capital sur votre coeur. Vous êtes vivante, votre coeur bat, vous existez, qui s'en rend compte ? Vous regardez le fossé. Vous soupirez en scrutant des ponts invisibles construits sur du chaos électrique.
10 commentaires:
Les amies, c'est comme le sport.
C'est enterrée sous les responsabilités, crevée, épuisée, découragée, qu'on se rend compte que pour accomplir tout cela, il faut être en forme et entraînée et on regrette d'avoir dépriorisé.
Les amies, ça donne la force de continuer.
Un sorcier-thérapeute m'avait fait cette image :
Dans un pays qui souffre de la famine, c'est une erreur de nourrir les bébés, s'ils sont condamnés à être orphelins et sans ressource.
Pour sauver l'enfant, il faut nourrir la mère.
Ma doc (à moins que ce soit ma psy ?) me disait, dans ma période creuse, qu'il est normal que mes amies (et famille) ne soient pas disponibles, puisqu'elles sont encore dans une période de leur vie où elles maternent, alors que moi je jouis d'une liberté nouvelle n'ayant plus de bébé.
Il me fallait donc soit accepter leur moins grande disponibilité, soit me tourner vers des amies dans la même situation que moi.
Si ce sont de vraies amies, vous vous retrouverai éventuellement comme si vous vous étiez vues hier.
Mais si le besoin est de les voir, il est essentiel de libérer une petite case-horaire pour prendre ce moment nourrissant avec elle(s) !
Comme le dit Michèle : nourrir la maman...
Je suis plutôt satisfaite de la gestion de mes amitiés, si nécessaires à ma santé mentale.
Le défi réel, c'est l'autre gestion, celle du plus long paragraphe. Nécessité pour équilibre amoureux. Au quotidien, ouille.
Plus poétique que les autres ce billet...
Et cette peur constante de perdre la trace de l'autre, ou la nôtre, à travers ce quotidien...
Nous devons vraiment aller diner ensemble pour nous épancher mutuellement sur la question...
Laurence
Comme votre billet est juste, Grande Dame. Et il arrive au moment même où je reçois un courriel d'une grande amie que je n'ai pas vue depuis... un an, déjà!
Le quotidien, ça bouffe tellement!
Les fossés qui se creusent lentement et parfois rapidement sont un danger galoppant et tellement commun. C'est une urgence car bientôt ils deviennent des ornières infranchissables et on ne le voit même plus le petit point d'espoir au bout du tunnel. Le quotidien, l'entourage, les qu'en-dira-t'on, l'orgueil, l'assurance-d'avoir-raison l'auront fait disparaître. Et quelle tristesse alors! Tout cet investissement anéanti. Irrécupérable. Alors que la tendresse était là encore mais qu'on ne la voyait plus, de plus en plus enfouie sous le poids des responsabilités, des responsabilités si imparfaitement partagées en plus. Comme vous êtes lucide, Grande Dame. C'est remarquable. Le fait d'écrire et d'écrire si bien vous permet d'observer votre propre vie, comme une spectatrice mais une spectatrice qui peut sauter dans l'arène pour changer le cours des événements.
Oui à tout ton billet.
Ta dernière phrase ressort, pour moi. Je la trouve magnifique.
Zed ¦)
Que de choses bien dites. J'en suis à l'étape suivante, celle ou l'on est debout sur les freins. Faire moins mais mieux, plus en conscience, et laisser la terre tourner sans moi...
On surfe sur les mêmes eaux. Laisse-moi connaître tes dispos, Laurence, une journée ou tu n'auras pas de période en pm, j'irai te rejoindre pour un lunch.
Valérie, le timing...
Comme c'est bien défini, Femme Libre. Je pense qu'on se ressemble dans notre perception et nos exigeances de la vie amoureuse.
Air fou, merci.
Charlotte, bienvenue. Que de sagesse chez vous!
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