mardi, décembre 26, 2006

L'Oeuvre

Une maman (celle-là même qui savoure à l'instant son porto dans une de ces magnifiques coupes à porto fraîchement reçues pour Noël) a six savoureux petits garçons. Il y a près de dix mois, elle en a perdu un. Le drame de ses trente-deux automnes. Elle vous a parlé de son chagrin, de la magnificience de ce petit homme envolé, de son lien avec son papa, de la façon dont elle continue de construire autour de sa douleur pour continuer de mettre un pied devant l'autre vers ses aspirations.

Dans la famille, la vie se poursuit. Malgré le vide laissé par le départ d'un petit membre à part entière. La famille continue de prendre ses repas autour de cette très grande table. Les enfants continuent de s'obstiner, de s'insulter, de se donner des coups de pieds sous la table en accusant l'autre d'avoir commencé. Tous attablés, les membres de cette famille continuent de faire leurs devoirs, de faire des devinettes aux repas, d'écouter les anecdotes des uns et les exagérations des autres.

Noël approche. La mère confie à une artiste qu'elle tient en grand estime la préparation de l'essentiel présent à toute la famille: un symbole qui rayonnera sur les repas, sur les jeux à table. Un symbole qui frappera tous ceux qui entreront dans leur demeure. Un symbole qui représentera en force la présence du petit garçon dans le coeur de tous les membres de cette famille.

La mère rencontre l'artiste, avec qui elle avait déjà travaillé et dont elle avait été bouleversée par l'intensité et la force d'évocation des oeuvres parsemant l'atelier.

La mère s'ouvre sur l'histoire du petit garçon, raconte sa personnalité, ses habitudes, ses intérêts, la déchirure de la famille. Elle partage vidéo, photos, objets précieux et symboliques. La mère livre l'âme de son fils pour que l'artiste s'en imprègne. Elle prend bien soin de parler à l'artiste de l'intensité du regard de son fils, de l'ultra-conscience qui était livrée chaque fois que ses yeux se posaient sur d'autres yeux. Telle une éponge, l'artiste absorbe. Avec intérêt, respect, attention, sensibilité, elle écoute.

Quelques semaines passent. La mère reçoit un mail. L'oeuvre est prête.

La mère est anxieuse, sent l'émotivité au ras de tout. Elle va à la rencontre
du Symbole. Solennellement, elle retient son souffle.

***

La mère est subjuguée, bouleversée, habitée par une gratitude infinie. Elle est complètement sous la puissance de l'Oeuvre. Elle est anxieuse à l'idée que cette dernière n'atteigne pas son homme de la même manière. Pourtant, elle ne se peut plus de partager l'intensité de ce présent avec son amoureux.

Toutefois, chose incroyable, elle surmonte son impétuosité et patiente. Elle désire attendre LE bon moment.

Celui-ci finit par arriver un matin où son homme sort du bain. Elle enferme son amoureux dans le bureau le temps qu'elle installe l'Oeuvre.

Quelques minutes plus tard, elle vient chercher son homme, le prend par la main. L'homme ne sait pas trop à quoi s'attendre. Il avance vers l'inconnu.

Il arrive devant l'immense Oeuvre, s'arrête net. Silence, immobilité. Il est ébloui par l'intensité devant lui, par la force d'évocation de l'Oeuvre. L'homme est en recueillement, en fascination, en émerveillement devant ce qu'il voit.

La femme est silencieuse, respecte le Moment, la Communion des regards.

L'homme est bouleversé. Lentement, il s'approche, effleure des doigts l'une des toiles et demande à son amoureuse comment une artiste qui ne connaissait pas son fils a pu reproduire avec autant de précision le regard de son enfant, comment elle a pu introduire dans son oeuvre une troisième dimension, qui est celle de l'âme.

La mère sourit. Elle est soulagée que l'Oeuvre ait fait vibrer le coeur du père, elle est heureuse de voir cette Oeuvre magnifique rayonner sur la salle à manger, elle est enchantée, touchée, honorée qu'il ait existé dans son entourage une artiste possédant la sensibilité, la profondeur et le talent de rendre la lucidité et l'intensité du regard de son enfant envolé et que désormais, ce regard rayonnera à nouveau sur tous les membres de la famille.

La femme ne se souvient plus quel auteur a déclaré qu'un chef d'oeuvre littéraire n'était rien d'autre qu'un dictionnaire en désordre, mais elle se dit quelque chose de semblable pour une oeuvre: une oeuvre artistique n'est qu'un ensemble de lignes, de courbes, de texture et de couleur réunis, mais qui, rassemblés d'une façon précise donnent une harmonie parfaite, suggèrent une émotion, évoquent un visage et dans ce cas précis, des références symboliques, mais également la force d'un regard grandement aimé.


Lorsque de pareilles émotions nous tordent le bas-ventre devant quelque chose d'apparemment inanimé, lorsque le coeur nous chavire autant devant un ensemble de lignes, courbes, couleurs, on peut penser que l'artiste a une grande valeur et que son Oeuvre est divinement réussie.

8 commentaires:

FD-Labaroline a dit...

Bonjour, je découvre et je reviendrai. Très beau, chaleureux et émouvant. Joyeuses fêtes... malgré tout.

Anonyme a dit...

Comme j'aimerais voir cette oeuvre, il y a dans les toiles quelque chose de plus grand que dans les photos, une intensité qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Je suis bien heureuse que tu es trouvée quelqu'un capable d'une telle intensité.

Joyeuses fêtes à toi et ta famille

Pur bonheur a dit...

Moi aussi j'aurais bien aimé la voir, mais je respecte ton intimité.

Grande-Dame a dit...

Bonjour fd, bienvenue dans mon chez-moi virtuel! :-)

Nathalie, Tangerine, je vous ai fait parvenir le lien par email.

maree@nne a dit...

je suis aussi curieuse de voir ce chef d'oeuvre....


si tu veux bien! sinon je vais respecter ton désir!






nean2500@hotmail.com

Anonyme a dit...

Grande Dame, c'est vous et Grand Homme qui avez fait l'oeuvre originale ! L'essence, la matrice, l'unicité : tout y était. L'artiste a du simplement fermer les yeux et respirer votre oeuvre. De tous les artistes, aucun n'a pu improviser l'angélique. N'y sont parvenus que ceux qui ont su se taire pour apprivoiser les larmes. Ce doit être magnifique... Je peux poser mon regard sur les vôtres, dites ?

Anonyme a dit...

ce tableau dont l'histoire est si joliment racontée intrigue forcément...
Comment les enfants ont-ils réagi en voyant cette oeuvre ?

Grande-Dame a dit...

Valérie, j'avais caché L'Oeuvre dans la chambre de mon aîné (où mon homme ne va jamais).

Lorsque mon fils est entré dans sa chambre en bougonnant qu'on avait été sur SON territoire, il a stoppé net en faisant un face à face avec le regard de son petit frère.

Plein de respect, il a calmé ses nerfs et a affirmé que c'était magnifique.

L'Oeuvre est un diptyque. Il m'a supplié de lui laisser le plus petit tableau..:-)