dimanche, juillet 04, 2010

Arithmétique

"Maman?", que me demande mon fils de quatre ans trois quarts, "Toi, tu as sept enfants, haan?"

-Mais oui Frédéric !

-Mais Unetelle, (une adulte de la garderie) elle dit que tu en as zuste six.

-Il en reste six vivants parce qu'un de mes garçons est mort mais ça ne change rien au fait que j'ai sept enfants.

-Oh, ze l'savais ! (fier et conforté dans ses convictions familiales)

Sur la rimbambelle bricolée à la garderie, tous nos enfants, vivants ou pas, figurent. Il y a donc là une reconnaissance de ce qu'est notre famille. Symboliquement, c'est important. Pourtant, le commentaire me fait réfléchir, m'étonner, m'inquiéter.


*

De manière générale, qui possède le droit de défaire la façon dont nous vivons notre réalité avec nos enfants?
Un doute, soudain, une incompréhension. On ne raye pas systématiquement d'une famille une personne qui décède. Affirme-t-on que l'on n'a pas de père lorsque le nôtre a trépassé? On n'a certes plus de père vivant mais nier son existence, c'est nier toute l'importance qu'il a eu dans sa vie.

Combien ai-je d'enfants? De facto, je réponds sept. C'est la réalité. Pas sept vivants. J'en ai eu sept, mais l'un d'eux nous a quittés. Je ne pourrais envisager affirmer sans sentiment de déloyauté envers moi-même: "J'ai six enfants". J'affirme parfois: "Nous en avons six à la maison". Je nuance, contourne, m'ajuste au contexte.

Suis devenue très habile pour ça.

Ma grand-mère en a eu neuf, a perdu deux de ses filles dans la quarantaine. Combien ma grand-mère  a-t-elle d'enfants? Neuf. Oui, neuf. Deux sont décédées, et alors?

Je connais des femmes (surtout d'une autre génération) qui comptent parmi leurs enfants toutes leurs fausses-couches, tous leurs enfants qui ne se sont pas rendus à terme. Si je tenais compte moi aussi de mes fausses-couches (trois) et de mon avortement parmi ma marmaille, j'aurais à peu près (je dis à peu près parce qu'une grossesse en aurait chevauché une autre) onze enfants. Je ne les compte pas, mais qui suis-je pour corriger les facultés mathématiques de ces mères qui ont souffert plus douloureusement que moi de ces pertes?

L'arithmétique n'a pas raison à tous les coups.

17 commentaires:

Lucie a dit...

Ça me rappelle une fois où un de mes oncles disait qu'ils étaient douze enfants chez eux, et ma grand-mère l'avait corrigé: treize. "Ah, oui, avec le mort-né." de répondre mon oncle (né plus tard dans la fratrie que son frère décédé, donc j'imagine que pour lui c'était abstrait quand même). "Je l'ai porté en-dedans de moi, c'est mon enfant", avait répondu ma grand-mère.

L'éducatrice de ton fils manque de tact. En cas de doute, dans ce genre de situation, elle aurait mieux fait d'en parler avec les parents, non?

Élisou a dit...

Je crois qu'il faut avoir porté au moins une fois un enfant (ou en être le papa) pour être capable de ne pas douter un seul instant du droit d'exister d'un être humain, même s'il n'est plus des nôtres.

A-t-elle des enfants, cette éducatrice?

Grande-Dame a dit...

Bien qu'au niveau des convictions spirituelles, l'éducatrice des enfants et nous vivions dans des univers distincts, je ne désire pas lancer de pierre. Je sais bien que trop que les propos des enfants, parfois, pris hors contextes, prennent des allures d'énormités. ;o)

N'empêche. Ne pouvant valider sur le moment le contexte de ses paroles, mon sentiment d'être heurtée par cette non-reconnaissance m'a fait réfléchir et ce que je partage ici est un appel à la reconnaissance du droit des absents de continuer de vivre sans gêne dans la mémoire collective ou familiale sans être ramenés à l'ordre par quiconque ont des convictions qui ne laissent aucune chance aux disparus....non un procès. ;o)

Si des parents inculquent à leurs enfants leurs convictions que je trouve aberrantes ou erronées, il ne m'appartient pas de briser l'édifice des croyances de cette famille auprès des enfants.

Grande-Dame a dit...

"...quiconque A des convictions..."

Unknown a dit...

Grande Dame, tu portes bien ton nom...

Je te trouve sage et bonne envers cette éducatrice et surtout ta façon de voir les choses.

Chapeau bien bas!

* Je ne sais ce que c'est vive avec un enfant disparu, mais avec un ou des enfants différents, nos croyances sont trop souvent heurtées et je ne suis pas toujours une "Grande dame"...

Mamounet a dit...

Je partage votre point de vue, Grande Dame.

Vous avez bel et bien SEPT enfants.

Ness Eva a dit...

Quel manque de tact et de RESPECT!! J'en reviens pas. Ce genre de monde me donne envie de hurler.

Grande-Dame a dit...

Si ça se trouve, un contexte particulier explique la chose...

Je l'ignore, en fait...

Jane a dit...

J'imagine que cette éducatrice à répondue selon ce qu'elle connaissait.

Pur bonheur a dit...

Ma docteur me demande à chaque inspection annuelle 'combien de grossesse? Je lui répond 2. Elle rajoute' des fausses couches?' Je réponds 2 ou peut-être 3 (la dernière , ne ne voulais plus savoir), elle écrit donc dans mon dossier 5.
J'ignore à quoi servent ces chiffres, dans un sens je la trouve humaine de considérer un foetus de 11 semaines, même un de 5 semaines.
Mais à chaque petite de vie perdue, ça me fait un pincement au coeur...Ça doit être pareil pour toi Jen , en 10 fois plus intense.

maman a dit...

j'aime bien tes petits bonhommes!

Qui est le dessinateur?

Christiane a dit...

Effectivement,
moi aussi je trouve cela heurtant, avec un gros pincement pour toi dans mon coeur. T'as bien 7 enfants, comme j'ai bien eu 2 grossesses, même si j'en ai perdu un à 43 ans, à 12 semaines.Mon ventre était déjà rond, c'était mon bébé.

Grande-Dame a dit...

@Toutes: précisions à venir à ce sujet...

Momz, c'est un bricolage de Fred à la garderie.

Mme Cornue a dit...

je retiens le "j'en ai 4 à la maison" parce que je ne sais jamais quoi répondre sans devoir tout expliquer.

Chaque fois je me sens mal de ne pas mentionner notre "petit partit trop tôt".

J'ignore le contexte exacte, mais j'avoue que j'aurais été probablement insultée rare qu'un des miens m'arrivent avec ça.

Il a du défendre son point en plus ton beau coco, encore plus poche de la part de l'éducatrice de l'avoir reprit... en tout cas.

Anne a dit...

C'est une belle réflexion que tu fais, pas nécessairement un procès!

Ici, j'ai trois enfants, mais cinq en tout. Les deux aînés n'ont pas poussé dans mon ventre, mais ils vivent dans ma famille, dans NOTRE famille! Dans ma tête, je n'ai pas "seulement" trois enfants...

Des chiffres, ça ne veut pas dire grand chose (à part pour le gouvernement!). C'est ce qui se passe dans notre coeur et dans celui des membres de la famille qui compte! :-)

Stéphanie a dit...

Grande Dame...merci pour ce magnifique billet, une grande chaleur a envahie mon cœur en le lisant. J'ai l'impression que vous venez de me donner un nouveau souffle...je ne vous remercierai jamais assez : J'ai trois enfants...et Jacob a une petite sœur et un petit frère...merci.

Anonyme a dit...

C'est par Stéphanie que je suis tombé sur ce billet. Je viens également de perdre un enfant, mon petit Charles-Antoine qui est un ange depuis maintenant un mois.

C'était notre premier enfant. Ce ne sera surement pas le dernier. Je sais qu'éventuellement, j'aurai à vivre des situations du genre et aussi, à expliquer aux petits frères et soeurs de Charles-Antoine qu'ils ont un grand frère au paradis.

Comme l'a écrit Stéphanie, merci pour ce magnifique billet!