mardi, septembre 19, 2006

Le silence humiliant

Il faut tout leur apprendre. Oh, pas que je m'en plaigne, ça fait partie de notre boulot de parent, mais reste que parfois, ça peut être irritant pour l'égo des autres.

Ainsi, lorsque vous travaillez paisiblement dans votre bureau et que votre fils aîné, âgé de douze ans, entre pour venir vous embrasser tendrement et qui, en ressortant et passant devant la salle de bain s'exclame à tue-tête, complètement horrifié (avec raison, je dois l'admettre), que l'odeur qui émane de la salle de bain est infecte, qu'il n'a jamais rien senti d'aussi fétide (bon, pas dans un langage si soigné, on se parle d'un enfant de douze ans, quand même), qu'il va mourir sur-le-champ de ce poison olfactif, vous vous devez de réagir.

Vous devez réagir, parce que le propriétaire de ladite odeur, un vieux menuisier engagé pour la rénovation de votre cuisine, entend tout des insultes que l'on crie à l'endroit de ses effluves.

Vous faites donc de grands gestes pour attirer votre fils et pouvoir lui expliquer discrètement que ses propos sont probablement fort embarassants pour le menuisier, qui doit bien avoir conscience que son odeur n'a rien du parfum des jacinthes au printemps.

Vous vous devez également de lui rappeler ses propres effluves, qui sont AUSSI assez peu invitantes. Vous faites de votre mieux pour éviter de passer un commentaire sur le petit regard sournois qu'il vous envoie en réprimant son sourire.

Vous avez fait votre boulot (surtout ne pas pousser l'offense jusqu'à lui demander d'aller s'excuser auprès du menuisier, ce qui ne ferait que doubler l'humiliation pour lui), votre fils peut partir.

Toutefois, vous réalisez l'ampleur de vos lacunes en pédagogie maternelle lorsque vous voyez votre fils revenir quelques minutes plus tard avec son meilleur ami. Pas pour venir jouer, pas pour venir faire ses devoirs, non : votre fils a poussé l'affront jusqu'à aller chercher son meilleur ami pour lui faire partager le parfum, dont il n'avait pas réussi à rendre l'épouvantabilité verbalement.

Évidemment, vous ne réalisez que quelques minutes plus tard ce qui est en train de se passer. Vous retrouvez, dans la salle à manger, deux gamins se servant un verre de jus et rigolant à l'endroit du vieil espagnol par des signes, se pinçant le nez et rigolant de plus bel dans un silence impeccable.

Vous êtes à la fois outrée de ce manque flagrant de respect des deux amis et prise de compassion pour le menuisier pas stupide, qui doit bien se rendre compte que le silence suspect derrière lui lui est destiné.

Vous les réprimandez dans la salle à manger. Vous leur parlez de certaines limites à ne pas dépasser, de l'embarras, du respect, de la dignité. Vous êtes assez fière de votre discours et vous en félicitez intérieurement. Les gamins semblent enfin avoir compris, vous pouvez donc retourner travailler l'esprit en paix.

Lorsque, pour la troisième fois, vous apercevez votre fils aller prendre quelques inspirations volontairement senties dans la salle de bain avant de pouffer de rire, vous baissez les bras.

Lâchement, vous abandonnez. Vous vous dites qu'il n'y a rien à faire, que votre fils est vraisemblablement masochiste et que vos méthodes doivent être révisées. Seulement, vous ne savez pas comment devenir une mère plus persuasive...

2 commentaires:

Élie a dit...

bonjour!
Un tout petit mot pour dire que j'ai trouvé ce billet fort amusant (et d'une belle plume). J'ai même eu le plaisir de m'imaginer, sans effort aucun, mon fils dans votre cuisine se tordant de rire avec le vôtre et son ami...
Je reviendrai certainement!

Grande-Dame a dit...

N'est-ce pas, mama dado, que les parents peuvent aussi se payer la tête de leurs enfants? ;-)