Voilà l'objet de votre convoitise. La solution à vos maux du matin, en dépit de ce que toutes les chroniques "agrémentez la boîte à lunch de vos enfants" peuvent prétendre.
Votre aîné n'aime que les pommes jaunes. Il préfère le pain brun au blanc. Enfin au secondaire, il a maintenant droit à la plupart des proscriptions du primaire. Bonjour les noix, bonjours les pépites de chocolat inoffensives de vos divins biscuits! Votre aîné, à votre grand bonheur, fait son lunch lui-même. Un casse-tête de moins pour vous.
Votre deuxième fils a neuf ans. Il n'aime pas le melon d'eau, pas le melon de miel, pas les fraises, pas les bleuets, pas les framboises. Il réclame de la laitue dans son sandwich, juste par-dessus la moutarde. Il aime le yogourt, mais juste à la maison. Il aime les bananes, mais pas les prunes, ni les pêches. Il n'a pas droit aux graines de sésame à la collation à cause de l'allergie de Daphnée, "mais le midi, ça va puisque Daphnée ne mange pas avec nous". Il n'a pas droit aux kiwis à cause de l'allergie de Maxime, pas droit aux produits laitiers à cause de l'intolérance aux protéines bovines de Gabriel, pas droit aux noix à cause des dizaines d'allergiques de l'école. Ah. Et l'école autorise les pépites de chocolat dans les muffins et barres tendres le vendredi seulement, mais il ne peut profiter de cette journée spéciale car le vendredi, ses frères et lui mangent à la maison.
Votre quatrième fils a cinq ans. Il rafole des pommes, des bananes, des melons de toutes sortes. Il vous supplie chaque matin de consentir à lui mettre un yogourt dans son lunch "même s'il en a déjà mangé un pour déjeuner". Il rêve du jour où vous lui mettrez des sushis dans sa boîte à lunch. Il n'aime pas la moutarde dans son sandwich, ni le fromage, "surtout pas s'il a des trous". Il aime que son sandwich soit coupé en quatre triangles.
Comme pour ses frères, les noix sont interdites. Il ne peut manger de baklava "parce qu'Élizabeth-Jade est allergique aux piqûres d'abeilles" et n'a pas droit aux oranges, qui sont trop juteuses et font des gâchis collants. Un matin sur deux, vous oubliez de mettre la collation du matin dans la poche du sac plutôt que dans la boîte à lunch, comme le professeur l'exige.
Votre troisième fils a sept ans. Il se nomme L'Exigence. Il n'aime pas les pommes dans son lunch, ni les bananes, les Ficello "juste s'ils sont blanc ET orange", pas de moutarde dans son sandwich, va pour le fromage, mais "juste s'il n'a pas de trous", non pour la salade de fruits "car ça fait splash quand on l'ouvre", non pour les raisins, sauf s'ils sont verts et très durs, non pour les noix à cause des allergies de Francis, Manoucheca et Émilie, non à tout ce qui est juteux "car ça fait des gâchis sur les cahiers quand on prend la collation", oui pour les pêches et les prunes. Il aime les raisins secs, "mais la madame qui est venue voir nos dents a dit que les raisins restaient collés aux dents et que c'est ça qui faisaient les caries et que c'est mieux d'en manger juste à la maison". Il aime les crudités à la maison, mais pas à l'école car vous ne lui mettez pas de trempettes.
Une fois le case-tête du lunch résolu, après que vous ayiez répété maintes fois aux lambineux de se dépécher, après avoir perdu patience, après avoir élevé le ton une énième fois "parce que c'est l'heure de partir à l'école", L'Exigence arrive lentement, sans stress, prend la boîte à lunch que vous croyiez réussie (et pour laquelle vous veniez de vous féliciter pour votre triomphe). Il en étale le contenu sur la table et vérifie si elle correspond à ses normes et à celle de l'école.
Soigneusement, il déballe le sandwich, s'assure qu'il n'a pas de moutarde, vérifie la couleur du Ficello, écarte les items indésirables et déclare sur un ton de grande évidence qu'il lui manque deux collations. Vous êtes bouche bée...puis vous vous ressaisissez, car vous n'avez bien sûr par le temps de demeurer bouche bée indéfiniment.
Vous décrétez que non, qu'il s'agit bien du lunch qu'il va ingurgiter aujourd'hui. Il soupire, tente de rouspéter, puis comprend que ce n'est pas négociable. Il remet péniblement le contenu de son lunch dans la boîte à lunch, courbant l'échine. Lentement, il met la boîte à lunch dans le sac à dos. Il fixe un instant le plancher et vous apercevez la narine battre. Il redresse lentement la tête, cligne des yeux, vous regarde un instant, s'assurant de vous laisser suffisamment de temps pour admirer sa magnifique larme scintillante au coin de l'oeil gauche. Il enfile lentement son kangourou, met son capuchon qui camoufle la moitié de son visage ravagé par le chagrin immense que vous lui avez infligé. Lentement, la mine basse, il installe son sac à dos et quitte la maison avec toute sa pitoyabilité.
Vous le regardez marcher à travers la fenêtre, le dos courbé sous le poids de sa misérabilité et de votre dureté. Leeeentement, il étire chaque pas. Ses frères marchent déjà devant et il ne cherche pas à les rattraper. On fait encore plus pitié quand on est seul.
Vous secouez la tête. Vous avez survécu un matin de plus. Vous pouvez maintenant aller déjeuner.
4 commentaires:
Adorable ton texte! Un autre matin ordinaire dans la vie d'une maman extraordinaire...
Ouff! Chapeau, Grande Dame. Je n'ai qu'une puce capricieuse, dont je suis la belle-maman. Capricieuse? J'exagère.
Oh là là. C'est de voir que ça décourage un peu, toutes les restrictions scolaires.
Un jour, je vais me tanner et leur dire de venir faire mes épiceries et le lunch à ma place! ;o)
Je voudrais pas vivre ça à tous les matins... pour l'Exigeance... mais bon: bravo la mémoire pour tout le reste des exigeances qui doivent varier avec le temps en plus: ouf!
C'est vraiment trop mignon comme dramatique de vie quotidienne quand même! Amusant d'y repenser quand c'est passer! HaHaHa ... Je suis maman de 7 enfants ... suis vraiment bien contente de ne pas avoir à faire de lunch trop souvent! J'admire votre courage! LOL
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