mardi, avril 17, 2012

Ma bulle

J'aime aller travailler au café. "Travailler" signifie rédiger des textes pour ma petite entreprise, faire de la recherche, mettre de l'ordre dans ma paperasse, dans mes idées, prendre une pause en naviguant sur le web ou simplement aller m'aérer l'esprit pour faire plaisir à ma santé mentale en fuyant le bordel continu de la maison et en côtoyant les gens de mon espèce.

Je croise une femme de temps à autre depuis deux ou trois ans. Il nous arrivait de parler il y a quelques années. Il nous arrive encore de "parler" mais d'une manière autre depuis un peu plus d'un an. C'est que cette dame a eu un cancer et s'est fait enlever les cordes vocales. Bien que j'éprouve pour elle une sincère sympathie pour sa situation, je trouve difficile de "l'écouter" parler. Non seulement parce que n'ayant plus de voix, cela me demande énormément de concentration pour lire sur ses lèvres mais également parce qu'elle transpire l'amertume. Face à la maladie, face à la vie, face à ses enfants, face à plusieurs éléments de sa vie présente et passée. Depuis des années. Amertume, rancoeur, hargne muette. Elle semble aimer beaucoup parler, en avoir besoin. Les premières minutes, cela me fait plaisir. Mais elle reste. Et parle. Elle hoche la tête de découragement.

Longuement.

Puis, elle finit par pénétrer ma bulle de force.

Je n'ose imaginer la difficulté que demande le réapprivoisement de sa vie sans moyen de communication verbal. Cependant, son accaparement plein de rancoeur, je le trouve lourd.

"Toi, aimes-tu les gens?" qu'elle me demande.

Je fronce les sourcils. "Que voulez-vous dire? Vous voulez savoir si j'aime les gens? Si j'aime le monde?"

Je m'esclaffe. Cela me semble tellement évident.
"Ouiii! J'aime les gens! J'aime les échanges, j'aime rire, j'aime interagir, j'aime apprendre à connaître les autres."

C'est vrai, je suis fascinée par les êtres humains. Vraiment. Je m'étonne que cela ne soit pas étampé dans mon visage. C'est précisément l'absence des autres dans ma vie de travailleure autonome aux réseaux épars qui me rend folle.

J'observe la dame, attends une explication sur sa question.

La femme hoche affirmativement la tête, attentive.

"Est-ce que j'ai l'air de ne pas les aimer?", que je demande pour être sûre.

Elle hausse les épaules. "On dirait que tu n'as besoin de personne." affirme-t-elle, de toute évidence déçue.

Je suis étonnée.
À moitié.

Je suis réservée, je le sais.

La femme ose: "Tu as vraiment un beau sourire..."
Je me concentre pour bien comprendre. "Mais on dirait vraiment que tu n'as besoin de personne."

Je lui explique que lorsque je viens au café et que je me plonge dans ma bulle, c'est pour avoir un moment à moi dans lequel je ne suis pas sollicitée et non parce que je n'aime pas le monde.

La femme affirme intuitivement que je fais partie de ces gens dont il faut percer la coquille pour apprendre à les connaître réellement.

Elle n'a sans doute pas tort.
Je médite là-dessus.

3 commentaires:

Tania a dit...

Je pense que c'est aussi une question de contexte et de circonstances. On peut très bien être sociable et ouvert dans un bar ou dans un souper entre amis, à un kiosque ou lors de rencontres sociales, mais si tu vas dans ce café spécifiquement pour être dans ta bulle, pour te reposer et avoir un moment à toi, il est tout à fait naturel d'être moins ouverte à la discussion, et d'avoir l'air, par le fait même, de ne pas chercher la compagnie des autres.

Probablement que la dame est dans ce café pour des raisons tout à fait opposées, pour au contraire faire des rencontres. Ce qui teinte sa perception de ta personnalité et de ton ouverture.

Moi, je chercherais pas midi à quatorze heure...A moins de ressentir le besoin de faire un peu d'introspection...(ou qu'elle ait, dans le hasard de sa perception subjective, visé juste? ;))

Unknown a dit...

Je pense pas que tu n'aimes pas les gens pour ça, moi aussi quand je vais à quelque part pour me changer les idées et prendre soin de mon moi-même, je peux paraître impatiente devant certaines personnes qui insistent pour entrer dans ma bulle quand ça ne me tente pas !

Une femme libre a dit...

Cette dame a besoin de contact. C'est la raison première de sa présence dans ce café. Elle en est même intrusive, vous le notez dans votre texte. Dans votre cas, des contacs, vous en avez votre truck, avec une grosse famille et vos buts sont opposés aux siens, soit avoir enfin de la paix et du calme pour voguer tranquillement à vos affaires. Vous n'avez besoin de personne? Pas en ce moment, non, alors que vous avez des affaires à régler. Vous n'avez surtout pas besoin de cette dame non-sollicitée qui se mêle de votre vie et que vous devriez tout simplement éviter. Dites-lui que vous venez au café pour travailler à vos affaires et non pas pour rencontrer des gens, ça devait mettre fin à ses interventions. Je sens que vous n'osez la rejeter par pitié pour sa maladie, mais la pitié, ce n'est bon pour personne.