Se préparer pour une
date, c'est quelque chose!
Je n'ai jamais eu de
date de ma vie, ce qui décuple justement mon inexpérience en la matière. Il s'agit d'un moment solennel, d'autant plus que ce n'est pas une
date ordinaire.
D'abord, il faut se préparer pour la grande rencontre. Être jolie sans faire d'excès. Il faut être gentille, mais pas trop familière. Souriante aussi, mais pas de ce sourire insolent qui me donnerait un air prétentieux.
Rencontrer la nouvelle blonde de son ex*, ça a un petit quelque chose d'angoissant. Pas envie de tomber dans la caricature. Je ne déteste pas mon ex et les ex qui se
bitchent sans fin me tapent sur les nerfs. C'est tellement LE standard de tomber dans ce panneau!
J'ai avisé l'Ex que sa nouvelle amoureuse n'était pas mon ennemie, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, que je n'avais aucune raison d'être bête ou désagréable avec elle. Je suis civilisée, j'aime supposer qu'elle l'est aussi; on devrait donc être capables de se dire "
Bonjour" et que ça ait l'air passablement naturel. Je lui ai rappelé que nos garçons n'avaient que de bons mots sur elle et que ça avait de la valeur pour moi.
"
Elle est très gênée.", qu'il m'a prévenue. Je le serais aussi à sa place. À vingt-deux ans, les femmes dans la trentaine me semblaient des
Madames à des années-lumières de ma réalité!
"
Le problème n'est pas là", que j'ai précisé. "La
plupart des ex façonnent leur ancien conjoint aux yeux de leur nouvel amoureux comme un monstre qui porte tous les torts de l'échec de la relation passée. Avec tes tendances paranoïaques et ton sentiment perpétuel de persécution, je n'ai aucune idée de quelle façon tu as pu lui parler de moi." Embarrassé, il a souri, puis m'a dit qu'il ne m'avait jamais démollie devant elle. Hmm.
J'imagine que ça doit être impressionnant d'avoir vingt-deux ans et de devenir la nouvelle amoureuse du père de famille qui a quatre enfants alors qu'on n'en a jamais nous-même porté un et se retrouver un jour face à la mère-matrice de ces marmots qui pourraient être nos frères.
Syndrôme de l'imposteur? Je ne le dis pas méchamment et ne souhaite nullement diminuer les bonnes intentions de cette jeune femme. Je légitimise simplement le malaise.
Maintenant que j'en ai trente-deux, les femmes de vingt-deux ans m'apparaissent des adolescentes. J'ai beau très bien me souvenir de la jeune femme que j'étais à cette époque, étudiante, travailleuse, insouciante, jeune mère dévouée, de mon point de vue actuel, avec tout ce recul...mes vingt-deux ans sont tellement loins! Dix ans, c'est énorme dans une vie du point de vue du vécu, dans la construction de nous-même!
Enfin, c'est au spectacle de théâtre de Grand-Charme que la glace fut fêlée. Je dis fêlée, parce qu'elle n'est pas encore brisée. Timide, la jeune demoiselle n'a pas ouvert la bouche. J'ai bien essayé de la regarder sans la dévisager, de démontrer civilement que je m'adressais à elle également, il n'y avait que ce sourire embarrassé en guise de réponse. Je crois même que si elle avait pu se glisser dans la poche arrière du papa de mes grands, elle l'aurait fait. Mais bon, ne supposons de rien (quoique...lui aurais-je semblé être une
Madame?)
***
J'ai, avant la rencontre, préparé divers scénarios de première rencontre.
Scénario 1 (Dommage): Elle est tellement mal à l'aise que mon ex consent à nous éviter, Grand-Homme et moi, à tout prix. Elle tire son Homme par le bras pour l'entraîner le plus loin possible de moi. Elle passe la moitié du spectacle à nous guetter du coin de l'oeil, pour s'assurer que des jeux d'yeux entendus ne se jouent pas à son insu.
Elle refuse de me laisser féliciter mon fils pour sa pièce, le presse de hâter le pas pour être sûre de nous semer et se dépêche de sortir pour ne pas se faire prendre lorsqu'elle ira égratigner accidentellement notre voiture avec la clé de la sienne.
Scénario 2: (Bitch) : On se rencontre dans le hall. En guise de présent, pour honorer les présentations, je me tords de gêne et offre généreusement à la nouvelle compagne le jouet du trio enfant du McDo "
que nous avons gardé spécialement pour elle".
De plus, je sors de mon sac quelques collants d'animaux
cutes et un petit kit de billes multicolores pour faire des colliers. "
C'est rien, ça me fait plaisir. C'est pour te souhaiter la bienvenue dans notre famille." que je lui dis tandis qu'elle trépigne de joie en regardant tendrement son amoureux, qui lui répond du regard un : "
Sois patiente ma chérie, tu pourras l'ouvrir à la maison lorsque ta chambre sera rangée".
Dans le même ordre d'idée, après la pièce de théâtre, nous leur proposons d'aller manger une bouchée. Pour ce faire, nous les invitons dans notre van et accommodante, je lui propose le siège d'appoint de mon fils de cinq ans.
Une fois au restaurant, avenante et pleine de bonnes intentions, je spécifie à la serveuse d'apporter des bières pour tout le monde, sauf pour la jeune fille, qui prendra un verre de lait et des crayons de cire. En aparté, je spécifie à la serveuse d'apporter un peu plus de
napkins.
Lorsqu'elle regarde tendrement son amoureux pour lui signifier qu'elle a envie de pipi, je pose la main sur l'avant-bras de mon ex en lui disant gentiment: "
Laisse. Je vais l'accompagner."
Avant de quitter le resto, je prends mon ex à part tandis qu'elle joue à saute-moutons avec les enfants sur le trottoir. Je lui tends un livre,
Prendre le taureau par les cornes et résoudre son complexe d'OEdipe et bienveillante, lui spécifie: "
Quand elle sera prête."
Ex est interrompu dans son élan à me remercier par un imminent danger. Il place ses mains en porte-voix et crie à l'intention de Fils Aîné: "Attention, une voiture! Ramène tes frères et Chérie sur le trottoir!"
Scénario 3 (De mauvais goût, à proscrire) : Pour démontrer notre bonne foi, nous nous asseyons tous ensembles au spectacle. Assise à côté de mon ex, je lui pose distraitement (par inadvertance, je le souligne) la main sur la cuisse tandis que sa compagne n'en a rien à cirer de la pièce et lui caresse amoureusement l'entrejambe.
Scénario 4 (Tigresse): Elle et moi nous saluons bêtement, voire même hypocritement et plissant les yeux d'une haine sortie d'on-ne-sait-où. Au moment où elle se rue sur moi dents et ongles sortis, Grand-Homme s'interpose pour me protéger et Ex la retient doucement, la prend contre son épaule et lui sussurre tendrement à l'oreille: "
Ma Coquinette, tu m'avais pourtant assuré que tu avais pris ton Ritalin ce matin, hmmm??"
Scénario 5 ("Elle est très gênée."): Ex en sueurs vient me rejoindre dans le hall. Je plisse vers lui des yeux interrogatifs. Il ne prend pas la peine de reprendre son souffle pour me confier son malheur: "
Elle refuse de sortir de la voiture (Il secoue la tête pour appuyer ses propos).
Je ne sais plus quoi faire, elle craint de te rencontrer. Pourrais-tu, je t'en conjure, aller t'enfermer dans les toilettes le temps que je réussise à la calmer et à la faire entrer? Je suis désolé, c'est le seul moyen."
Conciliante, je me retourne, cherchant le regard approbateur de Grand-Homme, qui a disparu. Je fais un tour sur moi-même pour chercher autour de moi et aperçois Grand-Homme à travers la baie vitrée qui revient du stationnement, empoignant par sa longue tignasse noire une jeune femme sauvage et sans retenue que j'identifie comme étant la nouvelle belle-mère de mes enfants.
Connaissant la force brute de mon homme, je m'inquiète pour elle. Une fois entrés, j'entends la jeune femme gémir de la frustration de son échec à mordre mon amoureux. Ses puissants "
rrRRRRwwwrrarrrr!" me donnent des frissons dans le dos.
Il arrive devant nous, la projette à mes pieds. À plat ventre dans le hall, elle frappe violemment poings et pieds par terre en hurlant: "
Je ne veux pas, je ne veeeeeux paaaaas! rrRRRwwwarrr! "
Les gens nous regardent, tentent de retenir leurs "
Oh!" et leurs "
Ah!" derrière la main qu'ils se posent sur la bouche. Ex tempère la situation en distribuant ça et là des "
Ça va, ça vaaa, circulez, ciiiirculez, y a rien à voir!."
Ahurie, je me penche pour observer de plus près le phénomène. Elle en profite pour me griffer sur la joue alors que je tentais de lui dire que ça allait aller, que ça faisait maintenant quatre ans que Ex et moi n'étions plus ensembles, qu'elle avait toute la latitude voulue avec lui, que tant qu'elle était gentille et sincère avec mes marmots, moi, ça m'allait.
Elle se relève, cherche en elle-même un tant soit peu de dignité, se recoiffe aléatoirement avec ses doigts, puis feint qu'il ne s'est rien passé. Soudainement revenue à elle, elle réalise que je suis là, me tend la main et dépose sur le sol un genou en murmurant poliment et fixant respectueusement le familier plancher: "
Je suis heureuse de vous rencontrer, Madame".
***
Évidemment, je me suis amusée à caricaturer, bien consciente que certaines de mes lectrices ont déjà été dans la même situation que la nouvelle
nymphette compagne.
En réalité, toute trace de machiavélisme est inexistante chez moi. Je suis d'une "
douceur ovine, d'une gentillesse déconcertante, on pourrait aisément la [me] confondre avec un carré de velours." (Le Dalaï-Lama)
J'ai eu la chance d'avoir des parents divorcés qui savaient se parler (pour être plus juste, une mère qui savait parler et un père qui savait faire semblant d'écouter). La chance de voir ma mère et la femme de mon père (précisons que je fais référence à la 3e, car la 2e était une hystérique d'un genre plutôt
particulier) rigoler ensembles en cuvant leur vin en fin de soirée tandis que mon père rageait de leur plaisir lorsqu'il ne comprenait pas pourquoi elles riaient tant.
Aux baptêmes de mes enfants, à leurs anniversaires, il n'est pas rare de voir ces deux femmes exceptionnelles trancher des légumes, ramasser la vaisselle sale ou chercher de la place dans le frigo pour y rajouter des bières, des trempettes ou des plats de salade. Elles se saluent, s'embrassent sincèrement, se parlent tout aussi naturellement. Ça n'a pas toujours été facile, surtout pour la femme de mon père, mais puisque c'était "pour les enfants", elle a su piler sur son inconfort du début.
Aujourd'hui, tout est harmonieux. Pour moi, ça va donc de soit que la fluidité des relations est possible, envisageable et même souhaitable pour tout le monde. Loin de moi l'idée de devenir la grande amie de cette jeune femme, mais je n'imagine pas de difficulté à l'inviter sincèrement avec Ex célébrer à la maison l'anniversaire de nos enfants. En plus, selon Grand-Charme, elle fait du meilleur gâteau au fromage que moi! Les enfants ont l'imagination tellement fertile...
*Je déteste ce terme, ça fait tellement péjoratif!