samedi, juillet 09, 2011

Les guerres des nôtres

Je me demande depuis un bon moment combien de temps devraient durer les guerres de nos ancêtres.  La mémoire collective est essentielle, certes. On ne désire et ne doit pas oublier ce qu'il y eût avant nous. Ce qui fut demeurera historiquement immuable . Une partie de l'histoire de nos aïeuls fait intrinsèquement et culturellement partie de ce que nous sommes, serons et transmettrons.

Comme en dépit des horreurs indéniables de l'Holocauste je suis lasse du brandissement constant de l'histoire collective d'un peuple pour justifier le massacre gratuit, actuel et toléré de Palestiniens en plus de toutes les misères collatérales (blocus, contrôle des infrastructures et de l'aide humanitaire, etc.) qui leur sont imposées, de l'indulgence particulière que l'on "devrait" diplomatiquement avoir envers les bourreaux intouchables sous prétexte de ce qui fut il y a 70 ans, de l'allégeance qui, faute de leur passé souillé, devrait aller de soi si un jour il fallait faire un choix, comme si on devait toujours en faire un, je me questionne à propos de l'hostilité polie francos / anglos au Québec.  

Je me souviens avoir pensé un jour que le jour de la St-Jean, fête nationale des Québécois, si Leonard Cohen était de la partie, lui et son pacifisme naturel, sa voix envoûtante et son universalité  pourraient réussir à nous faire mettre de côté nos maux de colonisés en dépit de la langue d'appartenance de l'artiste, synonyme d'oppression.

Dans mon fantasme, il était le réconciliateur de deux nations distinctes mais peut-être pas si incompatibles humainement malgré leurs distinctions culturelles majeures (nombre d'entre nous avons de bons amis anglophones mais on préfère parfois juger l'individu autrement que son peuple). Et je ne m'embarque même pas sur le terrain glissant de l'indépendance, juste sur celui d'une hypothétique harmonie, d'une volonté commune de rendre l'avenir plus coopératif que le passé....

Puis, il y a quelques semaines (avant la St-Jean...eh oui, j'ai enfin eu le temps de terminer ce billet !), j'ai entendu en entrevue à la radio Normand Bratwaithe (ayant maintes fois été animateur du show de la St-Jean), qui avait eu une réflexion semblable. Il affirmait avoir pu intégrer dans des shows de fête nationale des artistes chantant en plusieurs langues pour souligner notre diversité culturelle: de Florence K en espagnol à Elisapie l'Inuit en passant par la musique africaine, les Québécois sont ouverts...mais n'essayez pas de leur refiler une fratrie Wainwright, aussi exquise soit-elle, sous prétexte d'ouverture culturelle. Comme la plaie béante des Juifs, celle des Québécois français saigne encore en entendant la langue du conquérant.

Bratwaithe expliquait que dans cette dynamique de foule-là, ce soir-là, c'était impensable et que lui, en tant qu'animateur, n'aurait pas voulu se porter garant d'être l'hôte d'invités anglos qui assurément se seraient fait huer à la quasi unanimité.

Cela a alimenté ma réflexion au sujet des coups de sabre historiques mais je ne sais toujours pas combien de temps un peuple "devrait" porter les guerres de ses ancêtres pour être à la fois ouvert sur l'avenir et conscient et respectueux des souffrances passées et parfois encore fragiles de son peuple. Je ne comprends pas non plus pourquoi au nom de l'oppression de vos ancêtres vous devriez entretenir une certaine hostilité non seulement envers un peuple mais également envers des représentants de peuples qui individuellement ne vous ont jamais porté atteinte, ni pourquoi on devrait avoir envers vous des égards bien supérieurs à ceux que nous avons pour les autres parce que plusieurs générations plus haut, il y eut des vainqueurs, des vaincus et que les vôtres ne se trouvaient pas nécessairement dans la meilleure position. Il est possible que je me sente lésée de l'état actuel des choses mais mon voisin anglo, si mes calculs sont bons, ne se trouvait pas sur les Plaines d'Abraham le jour fatidique....Je ne te connais pas mais je te déteste parce que mon arrière-arrière-grand-père a haï le tien. Je comprends le principe mais n'ai pas le réflexe de cette rancoeur naturelle.

L'entretien de ces haines est symbolique et j'ignore combien de temps un peuple devrait -et s'il est sain et souhaitable qu'il le fasse- entretenir pour leur conscience collective les guerres de leurs honorables aieuls.

Roméo et Juliette ont dû se cacher pour s'aimer, comme tant d'autres, pour éviter la grogne de deux familles qui se détestaient. On les admire pour cela. L'histoire manquerait-elle de romance?

Passer collectivement à autre chose ne signifie pas oublier, tout comme ressentir un instant de joie après la mort d'un proche ne signifie pas l'avoir effacé de sa mémoire...

5 commentaires:

Unknown a dit...

Cet article me laisse sans voix par sa vérité.

Les gens ne savent pas faire la différence entre la mémoire et le sentiment. Il est commun de penser que lorsque l'on arrête d'haïr, on oublie, mais cela n'a rien à voir. Au contraire, je pense qu'entretenir un sentiment en dehors de son contexte,revient à vider ce sentiment de TOUT sens.
Entretenir le feu des guerres ancestrales n'aide pas à évoluer, cela ne nous rend pas meilleur et ne nous rend pas plus juste ou plus droit.
Les batailles de mes ancêtres sont celles de mes ancêtres, je les laisse aller en paix...
Bravo pour cet article

Amélie a dit...

Quelle belle réflexion! Super bon billet, j'aurais aimé l'avoir écrit. Je suis francophone et j'ai épousé un anglophone d'origine juive, alors j'ai déjà eu des pensées semblables...

Anonyme a dit...

Tiens moi aussi j'ai fait cette réflexion depuis 15-20 ans, après une enfance dans le village d'Astérix (Lac-St-Jean)... :-o Et puis ensuite, en regardant ce qui se passe dans le monde... Et en réalisant que la plupart des guerres trouvent leurs racines dans de vieilles haines qui depuis longtemps auraient dû être oubliées... Dans les revendications des autochtones aussi car je me dis toujours que s'ils se sont fait voler "leurs terres", et bien ce n'est certe pas moi qui l'ai fait... :-S

J'en suis venue à la conclusion que commémorer ce genre d'événement (guerre, batailles, massacre, 11 septembre, etc) ne faisait qu'entretenir une haine et un ressentiment... Que si l'humain savait oublier et pardonner, le monde n'en serait que mieux...

Valéry

Élisou a dit...

Tellement lucide comme billet! J'imagine qu'en tant que parent, nous pouvons aussi quelque peu enseigner l'art de mettre de l'eau dans le vin à notre progéniture.

Pour peu que l'on ait cette volonté de tourner la page sur cette haine si vétuste, si jaunie, si délavée par les générations qui la portent, qui la ressassent et la remâchent, souvent sans ne plus trop savoir pour quoi au juste...

Ma fille adore les drapeaux. Elle les repère de loin, et peut trouver une feuille d'érable grosse comme un pou sur l'endos d'une boîte de céréales en moins de deux.

Nous la laissons s'extasier sur l'unifolié autant que sur la fleur de lys. Ma foi, peu importe nos convictions, laissons-la se construire une opinion à l'abri de nos propres penchants.

J'ai cet espoir que les prochaines générations seront plus tolérantes que nous.

Et pour Leonard Cohen le 24 juin, n'importe quand. J'irais contre vents et marées! Quel judicieux fantasme!

patty a dit...

J'ai vraiment beaucoup aimé lire ton texte, car je pense souvent à ces enjeux qui me donnent envie de fuir le Québec. Je me sens toujours entre deux chaises, moi, la "Québécoise" et Canadienne dont la moitié de la famille est anglophone et qui écrit parfois le franglais parce que je trouve ça beau. Enfin, comme historienne de formation, je pense fondamentalement que l'histoire devrait servir le présent, certes, mais toujours comme une force positive, comme un moteur pour l'action, le changement et pour la paix...