vendredi, octobre 29, 2010

La Maison qui rend Fou

La maison qui rend fou, c'est la mienne.

La maison où, une fois les scolaires partis le matin, le déjeuner se prend dans l'incessante quête d'obstination  avec sa soeur du jeune de cinq ans qui s'emmerde un peu trop, c'est la mienne.

La maison où je dois éloigner le plus possible l'un de l'autre à table les deux plus jeunes afin de réduire les provocations verbales et physiques aux provocations verbales seulement, c'est la mienne.

La maison où les tâches à remplir sont interminables et renouvelables, c'est la mienne.

La maison où toute activité entreprise doit être compatible avec l'horaire, l'humeur et les activités des enfants, c'est la mienne.

La maison où toute entreprise simple quand on est seule (comme aller acheter une pinte de lait) devient fastidieuse quand on doit continuellement, pour ce faire, pousser dans le dos des deux jeunes qui suivent inévitablement partout, c'est la mienne.

La maison où s'entendre penser est illusoire, où les sollicitations le plus souvent simultanées se multiplient comme des souris, où le jouissif silence est une denrée rare, c'est la mienne.

La maison d'où il faut à tout prix sortir pour respirer un oxygène sain, voir d'autre monde, assurer un semblant de survie mentale, c'est la mienne.

**

Sortir, ce matin, était nécessaire. Nécessaire dans le genre de nécessaire. Sortir seule aurait été idéal, voire indispensable, mais vu mon infructueuse quête de gardienne, tant pis. Besoin d'un café, besoin d'autres humains, idéalement des humains qui  ne s'obstinent pas, qui ne me sucent pas mon jus, qui ne demandent pas à être attachés dans leur siège d'auto, qui ne rouspètent pas sur tout ce que je dis, qui ne posent pas sans cesse des questions ou n'émettent pas à un rythme effarant des hypothèses farfelues sur mille situations hypothétiques qui  ne se produiront JAMAIS, que je n'ai pas besoin de suivre jusqu'aux toilettes, qui ne rapportent pas continuellement ce que font ou omettent de faire les autres, des humains qui ont des idées d'adultes, un esprit d'adulte, un raisonnement d'adulte.

Tentative de sortie au café avec les deux plus jeunes. Mes recommandations avant de partir, comme toujours. Dans l'oeil du jeune homme (qui précède toujours ses propos), la volonté de me faire réagir. "Non, ze n'écouterai pas. Oui, ze vais courir partout...et toi, Béatrice?" Je tombe dans le chantage, hélas l'arme la plus redoutable. "Les garçons qui n'écoutent pas n'auront pas droit à l'ordi ce pm". Facile, mais généralement efficace.

Faut pas rêver en couleurs, je ne m'attendais pas à un comportement irréprochable. Juste trente minutes, trente petites minutes de quiétude pour écrire. Pas un roman, pas une analyse de cas exhaustive, pas de plan d'action, juste écrire un peu, ce que je n'ai plus la latitude de faire sans contraintes. Trente minutes, juste pour me vider le coeur, juste pour mettre des mots sur ma décourageante réalité des dernières semaines, juste pour ventiler.

C'était trop demander : fiston qui parle fort, qui encourage sa soeur (tranquille) à faire des acrobaties sur les divans du café, fillette qui piétine mes sacs, qui  menace de renverser mon café chaque fois qu'elle passe à côté, qui frappe mon portable en attendant une réaction de ma part, enfants incapables de dessiner tranquilles plus de trois minutes ou de s'amuser quietly avec les quelques jouets apportés.

J'aurai essayé. Marche arrière. Après vingt-cinq minutes à étirer ma patience, j'ai abdiqué devant le regard compatissant d'un homme.

Sortir du café les bras chargés après avoir réussi à habiller ma fille qui se plaisait à faire la montre molle, courir après les enfants trop pressés qui approchent trop rapidement du stationnement, courir pour les rattraper de peur qu'ils ne se fassent frapper, tenter de ne pas renverser les breuvages dans ma course ridicule.

Trente minutes.

C'était trop demandé.

Attraper les enfants par le bras avec l'envie irrépressible de squeezer solidement devant leur rire léger et insolent après avoir déposé en vitesse mon café et leur breuvage sur le toît de la voiture. Non, je ne joue pas !

Dans la voiture, éclater en sanglots devant l'impossibilité d'accéder à quelques minutes de quiétude, comme si
mes exigences étaient impossibles.

"À la maison, c'est chacun dans votre chambre". En voiture, fiston qui chantonne insolemment: "Moi, ze n'irai pas dans ma chambre en arrivant à la maison, non-non-non...hé non...zuste Béatrice !" (en se tournant vers elle et insistant du regard jusqu'à ce qu'elle hurle que noooon et que débute l'interminable obstination oui-non-oui-non-ouiiiiii)

Résister à l'envie folle d'étirer le bras pour fermer le clapet sèchement à celui qui convoite solidement mon attention.

C'est trop demander, trente minutes?

**

Quand on est mère, le temps est une denrée rare. "Profite de leur sieste pour te reposer", qu'ils disent.

Foutaises.

Une sieste -quand il y en a une-, pour une mère, c'est deux heures de possibilités. La possibilité de lire, écrire, faire des savons, prendre un bain.

Quelle mère se permet réellement tel luxe dans l'océan de ses responsabilités?

Une sieste, c'est pouvoir ranger les sempiternelles traîneries et passer plus de huit  minutes sans qu'elles n'encombrent à nouveau le plancher. Une sieste, c'est le temps de réaliser tout un tas de tâches -encore !- qui sont doublement compliquées avec les enfants dans les pattes.

**

J'ai regardé tout le monde fébrile partir ce matin. J'ai regardé l'homme déguisé (en voie de l'être) pour l'Halloween,  parti s'amuser, libre et sans contraintes. Ai réprimé mon amertume, mon sentiment d'injustice de demeurer clouée ici, comme en prison dans la Maison qui rend Fou. Le reste de la famille partie dans leurs écoles respectives où des activités sont organisées, où la fantaisie est permise et encouragée. Tout le monde, sauf moi, demeurée derrière à me décourager parce que j'adore l'Halloween, sa fantaisie, ses possibilités, sa folie.

Pas d'univers festif pour moi.

De la folie, par contre, ça, il se pourrait bien que j'aie hérité du gros lot. Dans la Maison qui rend Fou, il y a un énorme potentiel.

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Début d'une nouvelle garderie la semaine prochaine pour les deux minets, ceux-là même que je rêve de squeezer depuis ce matin. Deux jours par semaine où ma santé mentale risque de mieux se porter.

22 commentaires:

moi m'aime a dit...

Bravo... Bravo Grande dame de t'être écoutée :)

Unknown a dit...

Ouf!

Je viens de te lire sans même prendre le temps de respirer...

Tu écris tellement bien, je ressentais tout ça. Je me rappelle avoir installée mes enfants dans la voiture et m'être assise sur le capot pour pleurer, découragée.

J'espère que la nouvelle garderie sera une belle option et que d'ici là, tu auras droit à quelques pauses ici et là, toute seule.

Unetelle a dit...

Je ne sais pas pourquoi, mais ça ressemble drôlement à ma vie ces temps-ci! Vivement le retour au travail!

Pur bonheur a dit...

Ça me faisait penser à mon père en voiture , lorsque nous étions les quatre enfants assis sur la banquette arrière. Il ne prenait pas le temps de savoir qui avait tort. En tenant le volant d'une main, il s'étirait l'autre bras derrière et distribuait quelques claques au hasard. Oh comme ça devenait silencieux tout à coup!
J'allais te demander si tu avais tes règles ce week-end, mais je vais éviter d'en rajouter une couche . (Je te taquine, si tu savais combien je compatis).

Belle d'Ivory a dit...

profonde compréhension et compassion...

Maman à bord a dit...

Très touchant Grande Dame! Il y a des jours où ça ressemble à ça chez nous aussi! Prends soin de toi!
xxx

Anonyme a dit...

Oh my GOD c'était moi aujourd'hui ça. J'ai fait lire ton texte à mon chum pour qu'il comprenne mieux comment je vis mes journées. Bon courage! Tu n'es pas seule à ressentir ces sentiments. Espèrons un petit accalmie bientôt!

La belle-soeur a dit...

Si ça vous tente, je vous offre ma soirée de demain soir (samedi) pour vous évader... Pour une fois que j'ai un week-end libre, je le passerais avec plaisir avec mon neveu et ma nièce ! À vous de voir, l'offre est lancée !

Une femme libre a dit...

Oupelaye,il n'est pas facile votre plus petit garçon. Il y a quelque chose qui se cache sous toutes ces provocations. Je vous admire vraiment d'avoir gardé votre calme.

Le monde du travail avec d'autres adultes qui apprécient notre travail et notre compagnie est un vrai paradis comparé à la maison qui rend folle. Je compatis sincèrement. Vous devez tellement avoir envie de vous sauver à toutes jambes et de ne plus jamais revenir.

Merveilleusement écrit, comme d'habitude.

Valéry a dit...

Ouf, ouf Grande Dame... :-o Que de réalisme et de vécu dans ces écrits d'une honnêteté courageuse... :-o Il est si souvent mal vu d'avouer que nos enfants parfois nous font ch*** et que des bouts on en a marre... :-S Tanya et Matthew sont plutôt turbulents ici quand ils sont ensembles: soit ils se chamaillent et crient, soit ils courent, sautent partout et cassent tout... :-S Crime que j'apprécie les week-ends car Tanya va chez son papa... :-o lol

Pas facile d'être mère à la maison à temps plein... :-S J'admire les gens qui y arrivent, je ne pourrais pas... :-S Mes rencontres avec les clients sont surtout le soir et c'est parfois si jouïssif de m'esquiver et de laisser les deux marmots turbulents aux mains de mes grands... ;-) lol Pas toujours mais bon... lol

Pur Bonheur ton message m'a fait sourire... ;-) lol Quand mes enfants m'ont poussée à bout en voiture, il m'est arrivé d'opter pour la même stratégie que ton papa... ;-) lol T'sais quand t'en as six là, ce n'est même pas la peine souvent de chercher à savoir qui est coupable chacun à sa version... :-o lol

Pur bonheur a dit...

J'espère que tu t'es trouvé une façon d'avoir un peu de répit cette fin de semaine, tu sembles vraiment au bout du rouleau. Écoutes ton corps, comme disait le livre (que je n'ai pas lu par contre!)

Mamounet a dit...

Ouf... Beaucoup de désarroi et de "Je-suis-à-boutte-Au-secours-quelqu'un" dans ce billet...

J'espère de tout coeur que la garderie à temps partiel pour vos petits mousses vous apportera une petite bouffée d'oxygène tout à fait légitime !

Du temps pour soi... pour ne pas devenir folle. Du temps pour soi... pour rire et se sentir légère. Du temps pour soi... pour exister.

maman a dit...

Est-ce que les maisons ne s'animent pas d'un peu de folie autour de l'Halloween; c'est dans l'air et les petits et grands le sentent? Bou hou hou hou....

Viens vite les porter pour une soirée chez grand-maman et récupérer un peu. On fera nos folies ensemble. Un gâteau vous attend!

Julie a dit...

Parce que cet épisode m'a déjà été familier, j'ai retenu ton billet dans mon potinage ce dimanche:

http://www.la-mere-est-calme.com/2010/10/quand-dimanche-rime-avec-potinage_30.html

Bon courage!

Monica au Panama, en Alberta. a dit...

Oh boy!!! Chez moi, lorsque mon fils a commencé cette attitude (rouspettage) j'y ai mis un stop assez vite. J'ai sorti le ''rouspette pas'' (don't talk back) de ma mère. Pas le droit de rouspetter ici... C'est moi qui ai et aura toujours le dernier mot et cà finit là. Juste le ton lorsque je lui disais le faisait se faire plus petit! Cà pourrait peut-être te servir ce truc! Je l'espère... colle

Monica au Panama, en Alberta. a dit...

OOppps, la punition: 10 minutes pas dans sa chambre parce qu'il jouait...mais pas très loin pour qu'il puisse voir sur mon visage que j'étais vraiment décu de son comportement. (Je mettais mon masque air triste).

Unknown a dit...

T'en fais pas j'ai la même maison :) Je devrais séparé ma cocotte de 4 ans d'avec celui de 13 parce qu'ils s'astinent sur des niasieries. Éviter que les jujus montent sur la table ou le comptoir !!!

On a pas le temps de dire ouf et oui la sieste c'est pour faire autre chose. On manque de temps, on manque d'air et on manque d'adultes :)

Bon courage XXX

Parciparla a dit...

Je crois que tu fais bien. Ton fils de 5 ans était encore à la maison tout le temps? Il a l'air d'être assez exigeant en plus (a ta place, j'aurais distribuer des fessées!) Je compatis. Je suis certaine que la garderie va lui faire un bien fou... à toi aussi évidemment!

Éléonore a dit...

Pas facile hein ? je compatis, J,ai eu 3 gamins en 4 ans (4 ans, 2, 0) j'ai cru devenir folle souvent, j'ai été impatience, criarde, mortellement fatiguée aussi, mais le temps à fait son oeuvre aujourdHui ils ont 21, 19 et 17 et la maison est trop silencieuse...

La Mère Michèle a dit...

Réconfort: pas toute seule avec ce modèle de maison :oS

Nanou La Terre a dit...

Eh toi,faut qu'on se parle, faut que je te sorte! Quel jour déjà la garderie pour les petits?

Ptis n'herisson a dit...

Bonne et heureuse année
c'est avec un certain plaisir que j'ai découvert votre blog:
ce post ci me parle, un autre me fait rire (la créme mazique ) , et encore un autre me fait rêver (avoir enfin une fille aprés mes 4 Ptis gars ) donc je reviendrai avec plaisir