jeudi, février 24, 2011

La guerre

Départ pour le café. Frédéric se prépare un petit sac à dos rempli de bonhommes Playmobil.

Avant de se diriger vers la destination principale, nous faisons une halte à l'école de Grand-Homme, où le jeune homme espère s'accrocher les pieds pour la dernière demi-heure de classe. Au moment de sortir de la voiture, Fred regarde son sac avec hésitation et déclare, sage : "Ze pense que ze vais le laisser dans l'auto. Z'avais l'intention de faire une grosse guerre mais ça ferait trop de bruit, ze déranzerais les élèves."


Ah, ces guerres de décibels, vraiment indissociable des jeux des garçons.

Tant qu'à les faire à moitié, mieux vaut encore (hélas) laisser régner la paix...

lundi, février 21, 2011

Madame

Madame est une bonne mère. Elle a des principes. Des principes solides et inflexibles auxquels elle s'accroche pour garder tangible la ligne d'éducation qu'elle s'est fixée pour son enfant. Soucieuse et vigilante, elle adhère à à peu près tout ce que recommandent les moults spécialistes qui savent ce dont votre enfant a besoin. Par conséquent, elle n'aura jamais bu une gorgée de vin durant sa grossesse, aura évité le beurre d'arachides pour minimiser chez futur Enfant les risques d'allergies, elle ne dérogera à rien de ce qui pourrait menacer l'intégrité physique ou psychologique de son enfant. Madame pourrait avoir des envies ou des besoins mais la nécessité pour elle d'être fondamentalement irréprochable est si forte que jamais elle ne les entendra.

Elle lit, hoche docilement la tête, prend des notes. Elle approuve parfois aveuglément mais de toute sa bonne foi les dires de ceux qui détiennent une crédibilité reconnue. Idéaliste jusqu'à la moelle, elle est combattive et gravira toutes les instances nécessaires pour faire valoir et respecter les droits d'Enfant.

Madame sait. Si elle s'incline humblement devant les bonzes de la médecine et de la psychologie, elle sait généralement mieux que quiconque, y compris vous. Elle s'impose partout, lève l'index, cite, critique, dénonce, revendique, tasse. Elle siège sur le CA du CPE et est persuadée être en train de changer le visage du monde par sa présence et sa générosité d'esprit. Elle déverse dans chacun de ses gestes, dans chacunes de ses paroles son amour pour Enfant, sa conscience, sa noble volonté. N'en retirer aucun plaisir ne fait que consolider la valeur de son sentiment de sacrifice.

Madame a un petit orgueil que point elle ne s'avoue. Elle possède plusieurs admirables qualités mais pas celle de relativiser. Il n'existe pour elle qu'une manière de faire : la sienne. Elle condamne sans le savoir la créativité mais adhère sans se poser de questions aux renforts disneyiens de l'enfance éprouvés parce qu'ils ont fait leur preuve depuis des décennies où elle-même a trouvé réconfort trente ans plus tôt. Madame patauge allègrement dans son conservatisme, sauf si un article lui souligne une de ses grandes lacunes, qu'elle s'empressera de corriger avant de répandre à son tour la bonne nouvelle.

L'enfant de Madame écoute Bébé Einstein (et on voit que cela marche car Enfant a des aptitudes, on voit tout de suite qu'il est plus allumé que les enfants de son âge), compte religieusement les nouveaux mots qu'il apprend, les note et numérote soigneusement dans un livre afin de s'assurer qu'il évolue au rythme recommandé dans la Bible des nouveaux parents. Le cas échéant, elle prendra soin d'inscrire son fils de 17 mois sur la liste d'attente d'un orthophoniste. Madame se fait un devoir de mesurer son enfant aux autres pour s'assurer qu'il évolue bien (et idéalement mieux). Elle connaitra par coeur le poids de son enfant à 4-6-12 semaines, puis 6, 9, 12, 18 et 24 mois et s'affolera parce que son chéri ne sera pas vu en priorité à l'urgence lorsqu'il fera une otite.

Madame en connait beaucoup sur l'éducation des enfants. Elle sait, par exemple, que les enfants ont besoin d'une routine, qu'elle respectera coûte que coûte. Non, Enfant, tu te couches à 19h30, pas question de se lâcher lousse. Madame préfère la rigueur des statistiques à son intuition, à laquelle par manque de communication avec elle-même, elle n'a jamais laissé de place. Madame est en mesure de savoir ce que vous faites de travers ou pas avec l'éducation de votre progéniture. Discrète, elle fera de son mieux pour éviter de vous souligner votre erreur même si cela lui démange atrocement. Madame a entendu un de vos enfants débuter une de ses phrases par "Yo !" et mettra un certain temps à se remettre du laxisme des "parents d'aujourd'hui".

À bout de nerfs, elle finira par cracher ce qui la dérange dans le but altruiste de vous ouvrir les yeux : la cour d''école a une mauvaise influence sur les enfants et vous manquez de fermeté. Elle se targuera de savoir contrôler toutes les influences extérieures à la sacro-sainte sienne. Son fils -dans trois ans, quand il ira à l'école- ne débutera aucune de ses phrases par "Yo !". Ne lui viendra jamais à l'idée de s'exclamer "fastoche", "maudit mongol" ou pire encore, de subir l'influence de ses pairs et d'aimer les Pokémons. Son fils ne rotera pas, dira toujours s'il-vous-plaît, traversera toujours aux arrêts et utilisera toujours un mouchoir. Madame y verra personnellement.

Jamais nous ne verrons l'Enfant sans tuque de coton par une belle journée de printemps. En avril, ne te découvre pas d'un fil. Madame verra, occassionnellement, à venir s'assurer dans la cour d'école que fiston ait bel et bien enfilé sa tuque. Le cas échéant, elle écrira une lettre à l'enseignante avec une copie conforme à la directrice. Si besoin est, elle ralliera quelques parents dans son lobby des adeptes de la tuque. La direction d'école entendra souvent parler d'elle, qui se fera un devoir de parler au nom du droit des enfants et regardera les autres parents de travers pour leurs manquements éhontés.

Lors des sorties scolaires, Madame dévouée se fera un devoir d'accompagner le groupe. L'occasion lui permettra du même coup de parfaire l'éducation des élèves qui tournent autour d'Enfant, de s'assurer que le sien ne se blesse pas et de poursuivre ses efforts de lobbyisme auprès de la gent enseignante.

Madame monopolisera l'implication parentale dans les réunions de parents. Même si Enfant fonctionne bien, elle s'assurera d'optimiser sa plage horaire et d'empiéter sur celles des autres parents pour être bien certaine d'avoir pu donner son point de vue sur tout et surtout, que son enfant ne soit lésé nulle part. Elle vérifiera également que toutes les ressources nécessaires sont bien disponibles à l'école car selon les propos savants de Jean-Luc Mongrain, le système d'éducation est malade au Québec.

Le trente minutes de décalage de votre rencontre parent-enseignant, c'est à Madame que vous le devrez, alors qu'elle désirait avec la meilleure intention du  monde réformer l'école, régler le cas de l'enseignante qui a fait pleurer son fils en lui disant qu'il aurait pu faire mieux qu'un 71 % pour sa table de multiplications et démontrer hors de tout doute qu'elle est une bonne mère, qu'elle accompagne bien son fils comme il se doit dans son cheminement scolaire et son développement psycho-social, émotif et personnel sans s'avouer que cette rencontre représente pour elle une bienfaisante thérapie trimestrielle.

Madame validera chacunes des décisions prises par la direction pour s'assurer que son enfant n'y sera pas désavantagé. Son sentiment de gratification sera à son apogée lorsqu'elle apprendra que c'est sous son insistance que l'emplacement du micro-ondes a été modifié dans le gymnase sur l'heure du dîner. Elle y verra alors les retombées de l'influence positive que son implication a eue sur l'organisation scolaire.

Madame s'épuisera à cultiver ses idéaux mais cela n'a pas d'importance : elle l'aura fait pour Enfant. Il est tout ce qu'elle possède et c'est dans ces gestes que pousse le mieux son sentiment maternel.

vendredi, février 11, 2011

Le pouvoir de l'indifférence

Une réflexion sur l'indifférence lue dans un récit. J'y réfléchis depuis plusieurs jours.

Pire encore que de ne pas se faire apprécier : se faire ignorer. Pire que de gérer des désaccords quant à vos propos, vos opinions : être la pluie sur le parapluie de l'indifférence, volontaire ou pas, de l'autre. J'ai sûrement dû en parler avant. Meilleur moyen de blesser quelqu'un : éviter de tenir compte de lui, lui refuser l'appartenance à une entité, aussi informelle soit-elle.

Les personnes/situations qui  m'ont causé le plus de tourments ces dernières années sont précisément celles pour/dans laquelle ma présence ou celle de ceux qui me sont chers n'a fait aucune différence pour les autres. Vous savez, s'adresser aux autres comme si vous n'y étiez pas, conserver coûte que coûte la dynamique et la cohésion "d'origine", ignorer le fait que vous pouvez, vous aussi, nourrir une discussion, contribuer avec vos idées, modifier positivement une dynamique, recevoir une rétroaction qui consolide votre intégrité, votre valeur, votre existence-même, votre sentiment d'appartenance. Pire encore: patauger dans des eaux qui font de votre présence une présence futile et accessoire puisque non seulement l'attitude de fermeture vous exclut mais également parfois, de par sa nature exclusive, le propos lui-même.


De tous les temps, c'est l'un des pires supplices que l'on peut faire subir à l'humain (ou à un groupe): l'exclusion. L'ostracisme.
Le bannissement, ne serait-ce que vingt minutes, une heure, le temps d'une rencontre.

Il y a dans l'indifférence un pouvoir incalculable et tristement puissant.

Ah oui, j'ai certainement dû en causer avant.
Cela me fait trop réagir.

jeudi, février 10, 2011

Qu'est-ce?



a) Un divan mutant
b) Un réfugié qu'on héberge
c) Rien, il n'y a rien du tout, je vous le jure
d) Une fillette qui a vu sa mère sortir la brosse à cheveux et le poush-poush démêlant

mercredi, février 09, 2011

À propos de l'éternelle insatisfaction

"Toutes les fois que j'ai vu et senti quelque sujet d'art, j'ai espéré, j'ai cru naïvement que j'allais le rendre comme il m'était venu. Je m'y suis jetée avec ardeur, j'ai rempli ma tâche, je me suis dit: "Oh ! Cette fois, c'est bien réussi ! " Mais hélas ! je n'ai jamais pu relire l'épreuve sans me dire : "Ce n'est pas du tout cela, je l'avais rêvé et senti et conçu tout autrement ; c'est froid, c'est à côté, c'est trop dit et ce ne l'est pas assez. " Et si l'ouvrage n'avait pas toujours été la propriété d'un éditeur, je l'aurais mis dans un coin avec le projet de le faire, et je l'y aurais oublié pour en essayer un autre.

George Sand (1804-1876)

La perpétuelle insatisfaction de l'auteur ne date pas d'hier !

lundi, février 07, 2011

"L'intérêt s'étiole"

« (...) Bien que blablabla, l’intérêt s’étiole à la lecture. »

Eh bien voilà, comme dirait monsieur Pignon, j’étais fixée.

Après les lettres de huit éditeurs desquels j’ai reçu un refus sans explication ayant pu m’aider à orienter l’approche de mon sujet, le style, le ton ou je ne sais quoi de mes nouvelles, enfin la lettre d’un éditeur qui n’a pas peur des mots.

Bien que je me sois esclaffée sur le coup devant le ton quelque peu suffisant, j’ai quand même été vexée par la suite, en réfléchissant. J’avais quand même travaillé trois ans sur ce manuscrit, y avais investi un grand pan de moi-même. Mon ego, que voulez-vous, moi qui étais persuadée avoir un certain sens du récit !

Pas grave. En fait, c’est une bonne, que dis-je, une excellente chose que cet ensemble de refus.

Ma réflexion a mûri, les événements de ma vie m’ont fait prendre de la distance de ces écrits, m’ont permis de me reconnecter sur le chagrin de la perte de mon fils (ce que je n’avais jamais su faire depuis quatre ans et plusieurs mois) plutôt que de le prêter à des personnages.

J’ai lu, aussi. De ces lectures profondes qui font naître des tas de germes et des tas de possibilités et qui vous dressent en plein visage le fait qu’au fond, vous ne savez rien, que des tas de choses vous échappent ou encore que cette phrase, ce passage, cette réflexion, vous auriez pu l’écrire.

J’ai encore de nombreuses heures à investir. J’ai espoir de n’avoir plus de doutes la prochaine fois que j'expédierai des tonnes de papier par la poste mais cela est bien utopique : le doute a toujours fait partie de ma vie et vivre sans m’est impensable.

J’ai à cœur le mot juste, l’angle correct, le verbe qui évoque et surtout, « que l’intérêt ne s’étiole pas à la lecture. »