vendredi, septembre 28, 2007

À tous les conjoints et conjointes

Montréal, le 18 décembre 2007

À tous les conjoints et conjointes de nos employés

Objet: Votre partenaire a dans son environnement professionnel des individus présentant différents MTS

Madame, Monsieur,

Vous n'êtes pas sans connaître notre politique et notre souci du bien-être de nos employés. Suite au party de Noël de notre entreprise visant à saluer les efforts collectifs de notre personnel, à augmenter sa cohésion sociale et à renforcer notre culture d'entreprise, nous sommes dans le regret de vous annoncer quelques unes des conséquences du succès de notre démarche.

Malheureusement, nombre de nos employés ont dû consulter suite à différents types de démangeaisons/rougeurs/parasites/plaies génitales/écoulements douteux.

Afin de leur faciliter la tâche et de diminuer l'absentéisme dû au dépistage de maladies vénériennes, une clinique spéciale sera établie dans un de nos locaux tout au long de la prochaine semaine. Nos employés pourront consulter sur place en toute confidentialité. Nous déployons, soyez assuré(e)s, les efforts et les ressources nécessaires afin de limiter les désagréments causés par cette situation.

Aussi, nous tenons à vous informer que nous ne désirons pas revoir au travail votre tendre moitié avant que sa santé sexuelle n'ait été garantie par un examen médical complet et ce, pour le bien de l'ensemble de notre personnel.

Afin de faciliter le pré-diagnostic, nous vous encourageons à remplir la section suivante en compagnie de votre époux-se. Veuillez cocher SVP la ou les cases appropriées:

-Contacts intimes avec Marie-Claude (possibles condylomes);

-Contacts intimes avec Marie-Claude après qu'elle ait été en contact avec Jean (possibles condylomes + possibles parasites pubiens);

-Contacts intimes avec Marie-Claude et Paulette (possibles condylomes, possible herpès buccal, possibles parasites pubiens);

-Contacts intimes avec Elisabeth (possible chlamydia);

-Contacts intimes avec Diane (gonorrhée);

-Contacts intimes avec Sophie (herpès génital);

-Contacts intimes avec Éric (condylomes, chlamydia, gonorrhée, herpès génital, possible VIH);

-Contacts intimes avec Martin (hépatite B);

-Contacts intimes avec Mathieu (condylomes);

-Contacts intimes avec Sébastien (parasites pubiens);

-Contacts intimes avec Jean (parasites pubiens);

-Autre (prière de préciser SVP)____________


Nous vous demandons de nous retourner le formulaire dûment rempli dans les plus brefs délais et vous félicitons à l'avance de votre adhésion à notre programme professionnel d'assurance-collective.

Dans un souci de constante amélioration, nous sommes heureux de vous annoncer, en collaboration avec la CSST, notre initiative de programme d'aide aux employés pour l'an prochain: l'entreprise fournira gracieusement des préservatifs lors des célébrations professionnelles de Noël et les ressources humaines s'assureront d'une campagne de sensibilisation et d'un suivi plus étroit auprès du personnel afin d'éviter que la situation de cette année ne se reproduise.

Nous tenons à vous remercier chaleureusement de votre confiance. Grâce à votre compréhension, nous avons noté une augmentation considérable de la productivité au travail. La motivation et la cohésion sociale sont à leur meilleur.

Grâce à vous, nous pouvons réitérer notre fierté de faire partie de la chaleureuse famille de chez McCliff, Moreau, Tremblay, Maheu et Rivest.

Nous vous souhaitons de très joyeuses Fêtes en compagnie de ceux qui vous sont chers.

Cordialement,

Pierre McCliff, président McCliff, Moreau, Tremblay, Maheu et Rivest

et Madame Rita Guindon du CLSC de la Grande Fraternité

PS. Veuillez prendre note qu'à la suite des impondérables de cette année, le dépouillement d'arbre de Noël sera reporté de deux semaines. Au plaisir de vous y rencontrer en très grande forme!

jeudi, septembre 27, 2007

La main du diable

Excellentes critiques du film J'ai serré la main du diable ce matin à l'émission de Christiane Charette.

Vers la fin de l'émission, la critique tourne au débat sur les agissements -ou manquements, selon François Bugingo- du général Dallaire. Propos fort intéressants, tout autant que l'analyse de l'odieuse inaction de l'Occident face à ce drame à puissance mille.

Après Hotel Rwanda et Un dimanche à Kigali, j'ai très hâte (une hâte angoissée) de voir le film de cette brique que je n'ai jamais pris le temps de lire.

Le génocide au Rwanda est un sujet qui me remue profondément.

mercredi, septembre 26, 2007

Fin gourmet

Depuis quelques jours, des mottons de papier de toilette mouillé parsèment le lavabo et la baignoire. J'en ai même trouvé sur les murs et le plancher de la salle de bain.

Le coupable et la raison de ces étranges décorations m'étant inconnus, le problème -parce que c'en était bien un- me laissait perplexe.

Je découvris cet après-midi un suspect potentiel en Grand-Charme après qu'il eût terminé d'utiliser la salle de bain, où je venais de dénicher encore une fois une boulette de papier mouillé.

"Grand-Charme! C'est toi le responsable du papier de toilette dans le lavabo?"

L'écho de sa réponse me parvint du sous-sol: "Ouiiii, c'est moi!"

-Veux-tu bien me dire pourquoi je trouve des boulettes de papier mouillé partout?

-Ah, c'est parce que je trouve qu'elles ont plus de goût mouillées que sèches.

-Tu veux dire que tu manges du papier de toilette?

-Oui, mouillé.

Moi (doublement perplexe): "Hm. La prochaine fois, jette tes restes dans la poubelle; ça bouche le lavabo."

-Ok!

J'ai toujours su que mon fils était un fin gourmet.

lundi, septembre 24, 2007

Une histoire de destin

J'ai toujours aimé entendre mon père me raconter cette histoire. C'est cette histoire qui lui fait croire au destin.

C'était le réveillon du jour de l'an, quelque part au tout début des années 60. Mon père avait quinze ans et s'apprêtait à aller festoyer dans la famille de son meilleur ami, un certain Larose. Il embrassa sa mère et alla rejoindre les Larose, qui habitaient juste à côté du salon de quilles du village.

Neuf membres de la famille Larose + mon père s'entassèrent dans la voiture, prêts à se rendre dans la famille élargie. Au moment où la voiture allait partir, le propriétaire du salon de quilles (où mon père travaillait comme "pineur") l'intercepta et demanda à mon père s'il pouvait rentrer travailler pour l'accommoder.

Ayant d'autres plans pour la soirée, mon père refusa. Mal pris par l'absence d'un de ses employés, le patron insista. Mon père refusa encore. Le patron proposa donc à mon père de le payer temps double. L'ami de mon père l'encouragea à accepter sous prétexte que du temps double, ça ne se refuse pas.

Mon père sortit de la voiture, salua son ami et "pina" les quilles toute la soirée.

Après le réveillon, les neuf membres de la famille Larose reprirent place dans leur voiture et embarquèrent à la dernière minute un dixième membre.

Durant le trajet du retour, leur voiture resta coincée sur une voie ferrée et fut happée par le train. Tous les membres de la famille furent tués sur le coup. Au village, la nouvelle se répandit très vite que les dix personnes dans la voiture des Larose étaient décédées et qu'on les ramassait en petits morceaux de chair fumante tout le long de la voie ferrée.

La nouvelle arriva chez ma grand-mère avant que mon père ne rentre du travail. Ma grand-mère, dans tous ses états, pleurait son fils décédé d'une façon aussi brutale qu'inattendue.

Mon père rentra à la maison après son quart de travail sans se douter du drame auquel il venait d'échapper. Ma grand-mère, voyant son fils rentrer alors qu'on venait de lui annoncer qu'il était mort décapité avec les Larose, se rua sur lui et pleura de joie son miraculeux retour.

J'ai toujours été profondément émue d'imaginer ce qu'a pu ressentir ma grand-mère (que je n'ai pas connue) à cet instant où elle était persuadée d'avoir perdu son fils chéri et que la vie lui offrit la chance de le serrer à nouveau dans ses bras.

Cette histoire m'a toujours beaucoup touchée car si mon père était parti avec son ami, jamais je n'aurais pu naître à mon tour.

Mon père a toujours dit que son heure n'était pas venue ce soir-là et que son patron avait été un instrument du destin pour l'empêcher de partir avec les Larose.

La semaine dernière, mon père a demandé à son frère de trouver dans le cimetière du village la tombe des Larose, qu'il n'a jamais visitée. Il avait envie de se rendre sur la tombe de son ami.

En fin d'avant-midi aujourd'hui, la femme de mon père m'a téléphoné: mon père a eut de brefs instants de lucidité et on l'a informée qu'on évaluait actuellement la possibilité de lui retirer son respirateur.

Alors que je rédigeais la fin de ce message, elle a téléphoné de nouveau: on lui a retiré son respirateur et il a pu prononcer quelques mots. Il était confus, mais tout de même!!! J'ai l'impression de me sentir comme ma grand-mère qui retrouve son fils qu'on lui avait dit perdu!

Son heure, me dirait-il en me faisant un de ses clins d'oeil complice, n'est peut-être pas encore venue.

PS. Merci pour vos bonnes et généreuses pensées!

dimanche, septembre 23, 2007

Aveu

J'ai été stupide et j'ai manqué de jugement.

C'était jeudi, la dernière fois que j'ai parlé à mon père. Sa femme m'avait annoncé qu'on lui retirerait le tube de gavage du nez et qu'on le lui installerait directement dans l'estomac. Une toute petite intervention qui se fait sous anesthésie locale et il pourrait ensuite rentrer à la maison, après plus de trois semaines d'hospitalisation.

"Mais papa! Comment est-ce qu'ils vont faire pour t'installer ça de façon étanche? Le liquide gastrique, c'est vraiment puissant! S'il y a une fuite, le liquide peut empoisonner ton corps!", que je lui ai dit, complètement mystifiée. "C'est ce qui arrive au directeur du Louvre dans le Code Da Vinci: son liquide gastrique s'écoule et tue les tissus avoisinants après qu'il ait reçu une balle dans l'estomac! Ce liquide-là est tellement corrosif que l'estomac doit produire une enzyme spéciale pour éviter de se digérer lui-même (j'ai lu ça au Monde du Corps, ça m'a beaucoup impressionnée!)!"

-Ah oui? que m'a répondu papa, je vais demander aux médecins comment ils s'y prennent...

Puis, j'ai réalisé ma stupidité et me suis excusée d'être si pessimiste, lui ai dit que je m'énervais pour rien, que les médecins savaient ce qu'ils faisaient, qu'ils avaient l'habitude. Ma maudite manie de toujours vouloir tout comprendre dans les moindres détails!

L'opération a été réalisée "avec succès" vendredi. Le médecin a félicité l'interne pour son bon travail et a annoncé à mon père 99% de chances de succès.

Quelques heures plus tard, mon frère me téléphonait pour m'annoncer que mon père était aux soins intensifs suite à une très forte fièvre.

Quelques heures plus tard, autre téléphone: papa était sur la table d'opération. Comme on ne trouvait pas le foyer d'infection, on a décidé de l'ouvrir. On a repéré tout de suite le foyer: l'installation de l'embout pour le tube a été mal faite, du liquide gastrique s'écoulait de l'estomac et une infection avait commencé à s'installer.

Au matin, autre téléphone: papa était en état de choc septique durant la nuit, sa pression est très basse, ses reins ne fonctionnent presque plus, ses signes vitaux diminuent.

Vite, vite, vite, vite, vite, nous rendre à Sherbrooke.

Quel choc de le voir inconscient, branché de partout avec d'innombrables solutés, sous respirateur avec plein de machines!!! Hier, on tentait de trouver un petit bout de sa peau qui ne soit pas bandé ou pîqué pour pouvoir le caresser malgré les consignes de l'infirmier tout ce qu'il y a de plus expéditif de ne pas le toucher ou lui parler.

Pour l'instant, on ne fait qu'espérer pouvoir maintenir son état stable. Inutile pour nous de faire allusion à un éventuel "après" auprès de la gent médicale. Il doit d'abord surmonter le choc. S'il réussit, on passera à l'étape suivante.

On espère, on angoisse et on attend. Y a pas vraiment autre chose à faire.

vendredi, septembre 21, 2007

Pourquoi diantre les enfants se chamaillent-ils?


Vous qui avez des enfants le savez déjà (quoiqu'ils possèdent tous un sens extraordinaire de l'innovation pour trouver de nouvelles avenues à explorer). Vous qui n'avez pas encore de marmaille, voici la liste des obstinations d'une matinée de journée pédagogique que les enfants eux-mêmes m'ont aidée à répertorier (c'est fou ce qu'on peut s'amuser à rire de soi dans un exercice pareil!).

-En vidant le lave-vaisselle, Tout-Doux décrète en brandissant un alléchant couteau à la lame très pointue que "si jamais il y a un voleur, c'est lui qui prend ce gros couteau". Fils Aîné réplique alors que ce couteau a déjà été "réservé" par Grand-Charme en cas de vol. L'obstination débute donc sur qui aura la chance inouïe de tenir entre ses mains une arme si redoutable.

-Coco vient s'asseoir à table avec une gomme roulée qui lui pendouille de la bouche. Il s'exclame à l'endroit de ses frères: "Regardez mon serpent!". Tout-Doux proteste: "Ce n'est pas un vrai serpent". Coco affirme que oui. Tout-Doux, insulté, explique qu'il sait très bien que c'est de la gomme. Coco, calmement, continue d'affirmer l'identité de cette chose comme étant un serpent parce que "ça se peut". La colère de Tout-Doux grimpe. Il n'aime pas être pris pour un imbécile. S'ensuit une ridicule série de oui-c'est-un-serpent/non-ce-n'en-est-pas-un.

-Grand-Charme revient du dépanneur avec un paquet de gomme et en offre gracieusement une à Coco, ravi. Tout-Doux en réclame une aussi. Grand-Charme refuse. Tout-Doux se fâche. Devant sa colère, Grand-Charme propose une entente déraisonnable: s'il veut obtenir sa gomme, Tout-Doux devra arracher 100 pissenlits et les lui apporter. Tout-Doux n'aime pas se faire avoir et rentre en pleurnichant.

-À deux reprises, prise de bec entre Coco et Tout-Doux, qui ont bien du mal à se partager la chatte qui malheureusement, se divise très mal, quoique puisse suggérer Grand-Homme.

-Grand-Charme demande la permission de prendre des choux à la crème. Je la lui accorde. Fils Aîné et Grand-Charme dévalent les escaliers en trombe (suivis de Coco et Tout-Doux) et ne manquent pas de se bousculer. À tout prix, atteindre le congélateur en premier. Fils Aîné accuse Grand-Charme de l'avoir frappé avec son plâtre pour le ralentir, Grand-Charme se plaint de s'être fait devancer pour une demande que LUI a pris la peine de formuler.

-La fratrie remonte en trombe. Fils Aîné dépose le contenant sur la table (tandis que la fratrie s'agglomère autour de lui). Il l'ouvre et encore une fois, bouscule quiconque espère se servir aussi alors qu'il n'a pas engloutit son premier chou.

-Fils Aîné pîque une crise d'hystérie parce que Bébé a osé mettre les pieds dans sa chambre. Encore une fois, Bébé, inconscient d'avoir fait quelque chose d'a-b-s-o-l-u-m-e-n-t répréhensible est terrorisé par les cris et les gestes à son endroit et se met à pleurer désespérément.

-Fils Aîné impose un droit d'accès à Grand-Charme pour s'installer sur la couverture étendue sur le gazon et lui arrache brusquement des mains le prix d'entrée décidé.

-Fils Aîné s'introduit clandestinement dans la chambre de Grand-Charme dans le but de l'incommoder avec un opéra douteux prônant des valeurs auxquelles il n'adhère pas. Grand-Charme lui demande de sortir et il refuse.

Alleluia! Bon week-end!

On finit toujours par payer

"L'adolescence, l'adolescence!" qu'on me disait, "attends à l'adolescence, tu vas voir, tu vas en baver!!"

Évidemment, je n'attendais que ça. Je ne pouvais concevoir que cet inoffensif petit garçon allait pouvoir me donner du fil à retordre à moi, sa si gentille maman qu'il colle encore allègrement à quelques jours de son treizième anniversaire.

J'avais hâte qu'il développe ses idées, j'avais hâte de débattre de questions morales avec lui, j'avais hâte de voir ses qualités et ses talents s'affiner, hâte de discuter de la vie avec lui (je bénéficie actuellement de tout ça).

Il avait du caractère, certes, mais j'avais (et j'ai toujours) la conviction que le caractère est comme une pâte que l'on peut malléer pour façonner, exacerber, appuyer nos qualités prédominantes. Cela allait assurément lui servir.

Et puis, je n'avais rien à craindre: j'avais été ado moi aussi et peu de personnes peuvent se vanter d'avoir eu le dernier mot avec moi. J'avais toujours raison, point à la ligne. Pourquoi discuter l'indiscutable?

Et si ce n'était en partant au front pour défendre mes idées, c'était en demeurant de marbre (contrôle absolu de soi-même parfois ardu) dans une attaque passive (stratégie de guerre très efficace) lorsqu'on me faisait des reproches (injustifiés, évidemment).

Je me souviens d'une de mes victoires préférées où nonchalemment, j'avais laissé traîner un livre au titre très évocateur: Comprendre ses parents. Patiemment, j'avais attendu les réactions.

Avec un titre pareil, qui pouvait douter de ma volonté à comprendre ces êtres étranges, paranoïaques, conservateurs et dépassés qu'étaient les adultes de la maison?

C'était la femme de mon père qui avait mordu la première. Je la revois encore passer à côté du divan et saisir le livre, dont le titre l'avait interpellée.

"C'est à qui, ça?", demanda-t-elle avec un mépris avoué pour le propriétaire (qu'elle avait sans doute identifiée bien avant de poser la question).

-Oh, c'est à moi! que je répondis avec une orgasmique désinvolture.

Elle avait remis le livre en place avec dédain, me prouvant de ce fait la pertinence de ma démarche.

Elle fulminait. Elle fulminait d'être étiquettée comme étrange au point de devoir nécessiter un mode d'emploi pour être comprise. Cela se sentait de loin, s'entendait dans ses gestes secs. Et c'était délicieux. Elle fulminait surtout, je crois, parce qu'elle savait que je la provoquais de la façon la moins incriminante possible et qu'elle n'avait pu s'empêcher de mordre. Je n'avais rien fait de "mal", j'avais "juste" laissé traîner ma lecture et partagé de ce fait mes intérêts littéraires. Elle s'était empressée de rapporter à mon père ma maudite et condamnable audace dès qu'il rentra du travail (lui aussi avait été profondément insulté).

Je me croyais une certaine immunité contre les reproches puisque j'étais irréprochable: j'avais d'excellentes notes et un comportement exemplaire à l'école, une assiduité à mon travail, un gentlemen pour amoureux, des amies tout-ce-qu'il-y-a-de-plus-fréquentable et je faisais ma part de tâches dans la maison sans que l'on ait à me le demander.

Mon seul cheval de bataille: défendre les injustices (tout le monde sait que les ados sont souvent victimes d'abominables injustices), défendre les opprimés (lire ici: défendre mon pacifique de frère qui ne bronchait pas face aux agressions verbales de notre père alcoolique), défendre l'intérêt des membres de cette famille en réclamant des repas plus santé, dénoncer les pratiques non écolos de notre foyer, convaincre mon enquêteur de père que ce n'est pas parce qu'un gars a les cheveux longs que c'est nécessairement un revendeur de drogue et travailler à désamorcer plusieurs de ses désespérants préjugés. Ah, et aussi, lui faire rentrer dans la tête que "diabète" est un nom masculin (j'ai lamentablement échoué, il l'utilise encore au féminin).

J'étais donc la plus tenace et la plus idéaliste des argumenteuses qui soit, souvent au prix d'orageuses et vaines disputes. Tout le monde sait que de s'obstiner avec un alcoolique est aussi inutile que de donner des coups d'épée dans l'eau. Combien de fois mon grand frère que je défendais avec tellement de conviction m'a-t-il tirée par le bras pour m'amener dans sa chambre pour me dire doucement: "Laisse-le faire, ça ne donne rien, il est saoûl, il ne se rappellera de rien demain". L'absence de révolte chez lui me sciait les jambes!

Maintenant que je suis mère, je sais que j'étais une ado adorable, pleine d'humour, de créativité, de possibilités, de quêtes de discussions, de sens du juste et du bon et de très honorables valeurs. Bon, d'accord, j'étais baveuse, je le suis encore, mais ça ajoute indéniablement à mon charme, non?

Je me croyais plutôt imbattable au niveau de l'obstination, mais j'ai largement trouvé chaussure à mon pied avec Fils Aîné. Avoir le dernier mot avec lui? Oubliez ça. Il s'obstinera jusqu'à jouer sur les mots tantôt avec une finesse désespérante, tantôt avec une misérable démagogie.

Faites le test en désignant nos voisins du sud "Américains" plutôt qu'"États-Uniens", seul terme acceptable dans son vocabulaire (beaucoup plus tendance). Vous en aurez de tenaces étourdissements. Bien entendu, ce n'est qu'un échantillon. Fils Aîné cultive un inventaire très large de batailles qu'il mène avec acharnement. En plus, lui possède une immunité de responsabilité. Rien n'est jamais sa faute. Apportez-lui d'irréfutables preuves, tel un magicien, il les réfutera par de pitoyables (mais tout de même fort fantaisistes) excuses. Il est intouchable.

Apprendre à respirer. Ma nouvelle devise. Ne pas chercher à répondre à tout, apprendre à préserver mes énergies, laisser parler. Parfois, simplement aller prendre l'air ou l'envoyer dans sa chambre pour pouvoir parler des Américains sans se faire rabrouer par son sempiternel et sarcastique: "Oh, je vois, tu as envie de nous parler des Canadiens, des États-Uniens et des Mexicains, oui-oui, bien sûr, je vois, les Américains...".

Mes parents s'amusent parfois du sens aigu de l'obstination de mes enfants. De mon aîné, particulièrement. Je les soupçonne de savourer ces moments où je suis confrontée à pire que moi-même. Je souhaite pouvoir jouir un jour de cet immense privilège de voir mon aîné exaspéré par un ado encore plus entêté et obstiné que lui. Je savoure ce moment juste de l'imaginer.

mercredi, septembre 19, 2007

Don d'organes

J'ai, avant la mort de mon fils, signé les cartes de dons d'organes de mes enfants. Cela me semblait naturel, altruiste, bon.

Comme Thomas était décédé depuis plusieurs heures lorsque nous l'avons trouvé au matin, ses organes n'auraient pu continuer de vivre dans d'autres personnes.

Au moment où le médecin nous a annoncé "officiellement" (!) son décès, nous avons pu nous réapproprier son corps et nous enivrer douloureusement de lui sans délais. Là, maintenant, sans égards pour autrui.

On dit, dans les documents prônant le don d'organes, que le prélèvement est fait de façon digne et respectueuse. Je le crois.

Lorsque nous avons récupéré le corps de notre fils, le don d'organes m'a traversé l'esprit et bien que je me doutais que les circonstances de son décès rendent la chose impossible, j'aurais refusé net qu'on me demande un délais supplémentaire pour lui retirer ses organes. Je le voulais entier, intouché, intact. Je voulais toutes les minutes, toutes les secondes possible à nous, sa famille.

Malgré le fait que je demeure persuadée que le don d'organes est un très beau geste, je doute de ma capacité à avoir été en mesure de le poser à ce moment advenant que cela aurait été possible. Parce que, voyez-vous, ces six heures de proximité avec son corps intact tel que nous, ses parents, le lui avons conçu fut d'une importance capitale dans le cheminement de mon deuil. Combien de parents n'ont pas cette chance de bercer leur enfant jusqu'à ce que toute chaleur ait disparue?

Récemment, j'ai lu deux textes dans le forum de La Presse où des parents d'adolescentes racontaient leur sentiment de fierté que les organes de leur fille aient pu sauver la vie de cinq, six autres personnes. Je me suis demandé si ces parents avaient pu dire un digne au revoir à leurs filles aussi et dans l'affirmative, s'ils avaient ressenti une impression que le corps de leur enfant avait été "violé" de son intégrité pour la noble cause du don d'organes.

Avaient-ils vécu leurs au revoirs avant le prélèvement d'organes? Le corps de leur fille leur avait-il été rendu affaissé (j'ai été impressionnée de la grosseur des poumons à l'expo Le monde du corps), vide, recousue de fil noir ou de broches? Peut-être avaient-ils préféré ne pas revoir leur corps dans cet état?

Dans le contexte pénible de la mort de son enfant, il me semble que l'empathie n'est pas nécessairement la première qualité d'un parent. Du moins, ce ne fut pas la mienne. J'ai donné une certaine quantité de fil à retordre à la très gentille infirmière qui nous demandait de partir après deux heures passées près de Thomas parce que le coroner réclamait le corps de notre enfant. Je refusais net chaque fois qu'elle revenait (respectueusement) à la charge.

Nous avons étiré ainsi le temps jusqu'à six heures. Six fort égoïstes heures où une seule chose comptait: la proximité avec notre fils (nous avons su six mois plus tard que nous aurions pu réclamer de rester près de lui encore plus longtemps dans une pièce réfrigérée).

Je me dis que si je suis émue devant un bout du foie congelé de mon fils pas plus gros qu'un pois, peut-être ressentirais-je aussi une certaine fierté de savoir que ce petit coeur tant aimé bat encore, que ces petits poumons respirent encore, que ses reins, son foie, sa cornée sont encore utiles dans le corps de confrères, consoeurs humaines.

Cette idée est toutefois remuante. Bien que cela soit improbable, comment réagirais-je de serrer la main d'une jeune fille, d'un jeune homme en sachant que sa survie dépend de cet organe que nous avons consenti à lui donner? Pourrais-je regarder cet/cette inconnu(e) sans le voir comme le prolongement de mon enfant, sans sentir que j'ai un certain "droit" sur sa vie?

Complexe question que celle-là. J'espère ne jamais avoir à être déchirée entre cette possessivité viscérale et ce fait coupable que de la mort de mon enfant dépend la vie de plusieurs autres personnes.

mardi, septembre 18, 2007

Dure, dure gestion de la demande

L'absence d'un produit sur les tablettes du supermarché me dérange depuis des années, mais c'est hier seulement que je me décidai à en faire la demande.

Moi à la caissière: "Si je désire voir un produit ajouté sur vos tablettes, à qui dois-je m'adresser?"

Caissière: "Attendez, je vais appeler la gérante".

Elle s'exécute. La gérante répond à l'autre bout du fil et me demande via la caissière quel produit je souhaite avoir.

-Des barres tendres Nutri-grain aux cerises.

La caissière transmet l'information, puis me revient: "Ce n'est pas disponible."

-Oui, ça je sais, c'est la raison pour laquelle je désire en faire la demande.

-Ce n'est pas dans le bottin, Madame. Nous ne pouvons vous offrir que les produits qui figurent dans le bottin.

-J'aimerais que l'on puisse rajouter ce produit dans le bottin.

Caissière, indiscutable et expéditive: "Je regrette, ce n'est pas dans notre liste. C'est impossible."

Je comprends que je n'obtiendrai rien avec elle.

Je rentre à la maison, mets à cuire le repas, téléphone au supermarché et demande à parler à la gérante. Je lui rapporte la discussion avec la caissière en guise d'introduction.

"Maintenant, j'aimerais savoir comment faire rajouter un produit dans votre bottin."

-Nous sommes une bannière, Madame. Nous ne pouvons acheter des produits de façon autonome. Nous devons attendre que les acheteurs rajoutent le produit dans le bottin.

-Vous attendez que ça vienne des acheteurs? Ces produits sont déjà disponibles, je les achète actuellement ailleurs. Vous avez toutes les saveurs de barres tendres, sauf celles aux cerises. Ce sont les préférées de mes enfants. Pour rajouter un produit dans le bottin, il faut qu'il y ait une certaine demande. Pour qu'il y ait une demande, il faut qu'un protocole existe afin que le client puisse formuler ses préférences!

-On ne peut pas demander aux Achats d'obtenir certains produits. Ils le rajouteront eux-même s'ils estiment qu'il y a de la demande. Pour cela, ça prend du temps. Il faudrait que plusieurs clients en manifestent l'intérêt.

-C'est précisément ce que je tente de faire: en démontrer l'intérêt.

-Euh, oui, je vais voir ce qu'on peut faire...quel est votre nom?...

Je doute fort voir apparaître "mes" barres tendres aux cerises sur les tablettes bientôt. Quel lourd et encombrant standard que celui des grandes chaînes!

Humilité volontaire

Pour la troisième fois, je somme Coco (6 ans) d'aller s'habiller.

Il s'active enfin et remonte me voir étrangement vêtu.

Secouée par son allure, je lance un: "Oh Boy! T'es habillé en arbre de Noël ce matin toi!"

Candidement, Coco -Pourquoi tu dis ça?

-Parce que ton pantalon ne va pas du tout avec ta chemise.

Il hausse les épaules avec désinvolture et se dirige vers la salle de bain.

Il croise alors Grand-Charme, qui s'exclame spontanément: "Mon Dieu, t'as vraiment l'air d'un arbre de Noël ce matin toi!!"

Coco revient finaliser ses préparatifs pour l'école. Je considère l'ensemble: pantalon de camouflage, chemise carreautée bleu, blanc et rouge, cheveux parfaitement léchés et grand sourire béat. L'effet est douteux, mais cela ne semble pas du tout l'incommoder.

Enfilant ses chaussures, il me demande naïvement: "Maman? Pourquoi c'est nécessaire d'être toujours joli?"

Je cogite là-dessus.

Pour mon droitier de Benjamin

dimanche, septembre 16, 2007

Plaisir, déplaisir

Plaisir

Marcher vers la chambre d'hôpital et retrouver mon si raisonnable garçon.

Recevoir un téléphone de lui qui me rappelle qu'il m'aime et me remercie pour la délicieuse brioche de ce matin.

Rentrer chez moi et avoir un lit pour accueillir mon corps fatigué.

Savourer la présence de mon amoureux que j'aime éperdument.

Avoir une famille et belle-famille soutenante, présente et aimante.

Entrer dans un restaurant et constater que l'on n'a pas assigné la plus jolie employée comme hôtesse. Une hôtesse rondelette et sympathique fait très bien l'affaire et je salue le jugement des restaurateurs qui estiment que leur image n'est pas menacée pas les rondeurs d'une jeune femme.

Prendre le temps de dîner avec mon Homme.

Déplaisir

Ressentir la désagréable impression que, puisque je suis mère, il est normal (de façon inconsciente) pour mon fils que je passe du temps près de lui tandis que le temps que son père (qu'il voit moins souvent) lui consacre dans cette même chambre représente une faveur qu'il lui accorde. Je le comprends, ce phénomène du parent "absent" dont on se délecte des bribes de présence. Toutefois, cela m'inquiète que par mon statut de mère acquise et inconditionnelle, la valeur de ma présence à ses côtés soit moins importante à ses yeux.

Le trajet et le trafic pour aller rejoindre mon fils.

Le fait que je n'aie pas pu courir ces six derniers jours. Disons plutôt que j'ai couru d'une façon moins stimulante.

Sentiment étrange...

Ce souffle coupé en passant par "hasard" en face du département de pathologie. Sentir mon coeur s'exciter à la pensée que c'est ici que le corps de Thomas a été intact pour la dernière fois, que c'est ici que son petit corps était examiné sous toutes ses coutures tandis que je ne savais m'arrêter de pleurer à la maison devant le Vide allongeant vers moi ses tentacules pour m'engloutir aussi.

Qu'implique le fait que dans ce département, un minuscule morceau du foie de Thomas est préservé (m'a-t-on dit que c'était pour recherche éventuelle en immunologie?) Remuante, cette pensée qu'une parcelle de son corps existe encore. Sa petitesse ne fait qu'en décupler la valeur. L'avoir devant moi, j'embrasserais, je vénérerais le contenu de cette plaquette qui a échappé à son destin de cendres.

samedi, septembre 15, 2007

Angoisse et culpabilité

Je n'y échappe jamais. J'ai passé la plus grande partie des deux dernières journées à Ste-Justine*. Programme de la journée: s'asseoir, s'armer de patience, attendre notre tour.

On joue aux cartes, on lit, on parle, on change de position, on soupire, on se dégourdit les jambes, on s'imagine tout ce qu'il serait savoureux de manger si il (on) ne devait pas être à jeûn. Grand-Charme propose de me mimer la danse des Schtroumfs telle qu'illustrée dans son livre pour me divertir et s'active avec enthousiasme dans la petite pièce sans être gêné par le bandage qui lui recouvre la main et le poignet.

Je suis exténuée de ces heures interminables d'attente et malheureusement, je me dis que j'ai l'enfant "idéal" pour attendre avec moi. Il est d'une patience d'ange, ne se plaint jamais de quoi que ce soit. Grand-Charme porte ses blessures comme de véritables trophées.

Cinq heures plus tard. Enfin notre tour. Il doit partir à la salle d'opération, est mal à l'aise que je l'embrasse. C'est mon moins colleux celui-là. Je le regarde s'éloigner, excité à l'idée de se faire endormir. Il fait le rigolo avec l'anesthésiste, visiblement étonnée de faire face à un jeune garçon si plein d'aisance. Et moi? Eh bien mon coeur se serre et je réprime mes larmes de le voir s'en aller.

Trois heures et demi (angoisse! épuisement! émotivité!) plus tard, revoilà enfin la chirurgienne. Le doigt de Grand-Charme est reconstruit. Il lui a donné du mal, mais elle a réussi à retrouver les tendons et à tout rafistoler. Elle me détaille l'opération et je soupire de soulagement.

Je le retrouve enfin en sortant de la salle de réveil un peu plus tard et je suis si heureuse que j'ai envie de pleurer. D'accord, ce n'était qu'un doigt, on peut très bien survivre sans un doigt...mais je suis mère et je préserverais toutes leurs intégrités (physique, émotive, psychologique...) si je le pouvais.

Je songe aux parents d'enfants malades et je suis empreinte de compassion. Il y a des endroits tellement plus agréables où passer une journée avec ses enfants, des soucis tellement plus légers à avoir que ceux de la santé de ses mousses!

J'ai laissé Grand-Charme aux soins de son père et je suis partie une fois qu'il était bien installé dans sa chambre en fin de soirée. Sortir de l'hôpital, respirer enfin de l'air frais, retrouver le reste de ma famille: des besoins essentiels, aussi.

Pourquoi la culpabilité? J'éprouve de la difficulté à déléguer lorsqu'un de mes mousquetaires vit quelque chose d'ardu. Ce matin, son père le rejoint pour la journée. Ce sera mon tour ce soir. Même si j'ai besoin de m'occuper aussi des autres, de me reposer, de pleurer mon stress, j'angoisse d'être loin de mon enfant blessé et un inconfortable sentiment d'indignité m'habite. Je souffre de ne pas savoir/pouvoir être partout à la fois.

"Il est avec son père, relaaaxe!", que je me répète depuis hier soir.

Mais que voulez-vous, je suis une mère qui n'ai pas encore réussi à se défaire de son indélogeable sentiment de culpabilité.

*Pour mes lecteurs hors-Québec: Ste-Justine est un réputé hôpital pour enfants.

vendredi, septembre 14, 2007

Matinale?

Malgré moi ce matin, oui. Je pars à l'hôpital avec Grand-Charme, qui s'est sectionné un doigt il y a quelques jours avec les fibres coupantes de la graminée qu'il tentait d'arracher. C'est aujourd'hui qu'on le lui recoud. Chirurgie minutieuse que celle des nerfs, veines, tendons du doigt (qui ont possiblement filé dans la main ou le poignet).

Gros week-end d'aller-retours à l'hôpital en perspective pour accompagner mon petit convalescent.

Bonne journée!

jeudi, septembre 13, 2007

Une expérience inouïe

Avez-vous remarqué que beaucoup de commerces utilisent l'expression "expérience" pour proposer l'essai de leurs produits ou services?

Par exemple, chez St-Hubert, sur leur feuillet de commentaires, on nous demande comment nous avons apprécié notre "expérience St-Hubert", le centre de conditionnement physique Swann affiche le slogan "Vivez l'expérience Swann", plusieurs centres d'attraits touristiques nous invitent à venir vivre "l'expérience" d'une visite chez eux, un simple produit alimentaire devient "une expérience gastronomique inoubliable".

Tout est matière à devenir expérience et cette tendance de la promotion à outrance de l'expérience m'énerve profondément.

M'enfin. Ceci n'était qu'une parenthèse pour vous partager que j'avais vécu une vraie expérience tout ce qu'il y a de plus inouï ce matin: l'expérience de la ponctualité.

Moi qui suis toujours à la dernière minute, j'ai PRÉVU être coincée dans le trafic de Décarie SANS vivre une once de stress lié à un éventuel retard. Ceux qui me connaissent savent que c'est un réel exploit.

Je me trouve absolument épatante.

mercredi, septembre 12, 2007

Analogie

Retrouver un verre de contact dans une piscine, un enfant vigoureux dans le lit de Thomas, un filet mignon dans l'assiette d'un Éthiopien, une tranche de jambon dans l'assiette d'un musulman, une chenille de monarque dans mes asclépiades, un animal qui ne parle pas chez le docteur Juvenal Urbino, l'Anneau Unique chez Sauron, Georges Bush invité à ma table, un sourire radieux sur le visage froid de Vladimir Poutine, une poutine digne de ce nom à Old Orchard, une nuit de sommeil chez les parents d'un nouveau-né, une pluie diluvienne sur le Sahara, Fils Aîné s'adressant aimablement à un de ses frères pour l'honorer d'une parole gentille (?).

Voilà qui me semble plus probable que de retrouver le minuscule diamant qui déserte tristement ma bague de fiançailles.

mardi, septembre 11, 2007

Parce qu'on ne touche pas à un enfant

J'en suis encore grandement remuée. Parce que je vois très bien le type et parce que mère, des pulsions d'une violence inouïe sauraient croître en moi si quelqu'un s'en prenait à un de mes petits.

"Règlement de compte". Ne pensons-nous tous pas illico à la drogue, aux motards? Si nous savions...

Collectivement, nous condamnons la violence, mais individuellement, dans un cas pareil, nous la comprenons, nous en acceptons la justification. Peut-être sommes-nous gênés de dire à voix haute "Bien fait pour ce salaud", mais ne le pensons-nous tous pas?

Ce père de famille qui a tabassé, il y a quelques années, le chauffeur d'autobus qui avait fait des attouchements à son petit garçon, l'opinion publique était en sa faveur. Je me souviens avoir salué intérieurement son courage de ses actes.

"Ne pas se faire justice soi-même". Laisser plutôt la justice et son sens de la dérision s'en charger. "Ne pas se faire justice soi-même". C'est vilain et répréhensible. "Ne pas se faire justice soi-même". Réserver plutôt ses énergies à reconstruire, si cela est possible, l'estime de soi, l'enfance et la confiance de votre enfant, puis son petit corps bafoué, parce que vous représentez désormais sa seule réelle ressource. "Ne pas se faire justice soi-même". Pourtant, dans ces cas, nous comprenons. Parce que ç'aurait pu être le nôtre. Parce que chez nous, la tolérance aux abus est -heureusement- très maigre. Parce que chez nous, on ne touche pas à un enfant.

Je vous invite à le lire, ce bouleversant billet de la Matoue.

dimanche, septembre 09, 2007

Hospitalière, mais impitoyable

C'est tout moi ça. Mes invitées s'imaginent candidement qu'il suffit de débarquer dans mon humble demeure pour pouvoir bénéficier de trois repas par jour, baiser à qui mieux-mieux et me refiler la responsabilité alimentaire de leur progéniture.

J'en suis offensée, mais rusée, je n'en démontre rien. Lorsque j'ouvre une bonne bouteille, je leur offre gracieusement leur propre verre...afin qu'elles laissent le mien en paix. Stupides, elles vont s'y noyer. Je parle bien sûr des drosophiles, ces petites salopes qui considèrent que quelques bananes mûres sur votre comptoir représentent une invitation en règle.

J'ai tout tenté avec elles: plante carnivore, insecticide néfastes et empestant, mélange d'huile et de vinaigre, mais ce qu'elles préfèrent encore, ces petites alcoolos, c'est le verre-suicide que je leur offre si aimablement. Pourquoi les en priver?

samedi, septembre 08, 2007

Bien connaître ses origines

Quelques faits: Je suis profondément Québécoise. Mes enfants sont profondément Québécois. Mon nom de famille (très peu commun) est d'origine Tchèque.

Une situation: Le conseiller pédagogique de Fils Aîné, dans l'intention d'afficher sur les murs de la classe des drapeaux représentants les pays d'origines de ses élèves, leur demanda de quelle origine ils étaient.

Vint le tour de mon fils: "Toi, Fils Aîné, as-tu des origines autres que Québécoises?"

-Oui: j'ai des origines espagnoles et italiennes.

Le professeur s'étonna, puis valida avec Fils Aîné: "Est-ce que tu t'identifies suffisamment à ces origines pour que ça justifie pour moi l'achat de deux drapeaux?"

Devant la complexité apparente de l'origine de mon fils, l'enseignant consulta son collègue, en l'occurence, Grand-Homme. Ce dernier, étonné de la couleur de ce nouvel arbre généalogique familial, expliqua ce qu'il en connaissait.

Grand-Homme me rapporta sa discussion avec le collègue et me questionna sur les origines cachées de mon aîné.

Explication #1 : Fils Aîné a un prénom composé. Son deuxième prénom est commun en français, mais je l'ai toujours préféré en espagnol. Il porte dans son nom l'amour de sa mère pour l'exotisme. Le prénom justifie donc l'origine!

Explication #2 : Fils Aîné est arrivé de chez son père il y a quelques semaines affirmant fièrement que du sang italien coulait dans ses veines puisque son grand-père paternel venait de lui apprendre que son nom de famille était italien. Or, le grand-père en question, originalement un bon vieux Tremblay du Lac, est un orphelin de Duplessis dont le médecin qui a accouché sa mère lui donna son propre nom -puisqu'il lui en fallait bien un- un nom italien.

Voilà donc la complexe histoire du multiculturalisme de Fils Aîné. J'espère qu'il ne sera pas déçu de son manque d'exotisme lorsqu'il rentrera et apprendra qu'il n'est "qu'"un simple Québécois. Sinon, je lui avouerai, pour le consoler de sa trop grande ordinarité qu'une de ses arrière-arrière grand-mères maternelles était amérindienne et que son mari était allemand.

Ça fera l'affaire, vous croyez?

112 et demi

Non, ce n'est pas le montant déboursé pour une nouvelle paire de jeans...

Pas mon poids non plus (petits voyeurs!)...

Pas plus que le numéro civique de ma maison...

Ou que le nouveau prix du brut au litre.

Il s'agit du nombre total des mois d'allaitement que j'ai à mon actif. J'ai sevré complètement mon Bébé il y a deux mois. Je crois que j'aurais fait une excellente nourrice. J'ai toujours adoré allaiter mes bébés et bambins: purs moments de symbiose avec mes Amours. Voilà que je suis en deuil...même si c'est un bonheur exquis que de retrouver mon corps à moi toute seule...

Appréhensions d'auteure

Voilà neuf mois que je rédige un manuscrit dans lequel je verse immensément de moi-même, nombre de recherches, d'échos de perception et d'expériences de la mort qui sont venus jusqu'à moi depuis la mort de mon fils.

Chaque samedi, angoissée, je feuillete religieusement le cahier littéraire du Devoir pour m'assurer qu'un autre auteur n'aura pas terminé un livre proposant la même approche, la même formule, le même filon que le mien.

Il y a quelques mois, un auteur utilisait presque mot à mot "mon" titre. J'en fus bouleversée, puis je me suis raisonnée. J'en ai trouvé plusieurs autres évocateurs qui me pourraient me plaire. Et puis, ce n'était qu'un titre. Au moins, le contenu du livre différait.

J'ai bien trouvé des critiques de livres qui abordaient la mort, mais ils étaient toujours "acceptables" parce que jamais sous mon angle.
Il y a quelques semaines, nous avons été voir en spectacle Martin Matte, mon humoriste préféré. Lui aussi abordait la mort avec un filon qui aurait pu ressembler au mien. Mais bon, "cesse de t'énerver!" que je me suis ordonné, "c'est un humoriste et même si l'approche et les réflexions peuvent se rejoindre, ton livre n'est pas menacé."

Si j'avais réussi à me contenir jusqu'à aujourd'hui, c'était justement parce que le cahier littéraire du Devoir d'aujourd'hui n'avait pas été publié.

Pourquoi ce grand cri intérieur silencieux, vous demandez-vous si vous n'avez pas lu ce fameux cahier?

C'est qu'on y fait une excellente critique de Pourquoi faire une maison avec ses morts, d'Élise Turcotte, une auteure qui m'est inconnue et qui à présent, m'intrigue.

On parle de sa formule en disant: "(...) Tout ça prend une forme inattendue. Nous ne sommes pas dans un roman. Pas vraiment dans un recueil de nouvelles proprement dit. Sept histoires, interreliées. Sept situations, comme autant de méditations, d'études sur le même sujet."

C'était suffisant pour me stupéfier. J'en suis encore grandement remuée! Je ne peux -ni ne veux -évidemment pas me permettre de lire ce livre maintenant pour m'assurer qu'à défaut d'avoir une formule commune, le contenu et le style diffèrent du mien.

Silence. Je fus (suis) aspirée à l'intérieur de moi-même. Voilà neuf mois que j'y travaille. À ce jour, 224 pages. J'espère seulement (très très fort) que tout n'est pas perdu pour mon livre, qu'il y aura de la place pour moi, mon approche, mon style, mon imaginaire, ma créativité et mes idées chez un éditeur.

vendredi, septembre 07, 2007

Réflexion vestimentaire et préjugés personnels

Hier, en cherchant le nom d'une ancienne copine du secondaire dans mon album de finissants, je me suis replongée dans mes souvenirs vestimentaires d'adolescence.

J'eus un choc en me remémorant le style vestimentaire du début des années 90. Bon, d'accord, je savais déjà que nous n'allions pas à moitié nues à l'école, mais j'avais "oublié" à quel point nous savions être jolies et féminines avec nos vêtements décents plutôt qu'avec notre chair offerte.

Je ne dis pas que les adolescentes d'aujourd'hui n'ont aucune personnalité en-dehors de leur habillement (ce serait très loin de ma pensée), mais seulement, je crois que la "beauté", il y a quelques années, était d'abord une joliesse d'ensemble plutôt qu'un corps suggestif détaché (apparemment?) de la fille qui l'exhibe.

Je suis chaque fois stupéfaite lorsque je circule dans l'école secondaire où enseigne mon homme de voir l'habillement et les décolletés abyssaux de certaines jeunes filles, les chandails au tissu limité exhibant généreusement hanches et haut des fesses, sans parler des jupes ras-minou et des sous-vêtements qui semblent chercher à atteindre la gloire comme un tournesol cherche le soleil (bon d'accord, j'ai l'air d'exagérer, mais ma formulation est jolie, non?).

Je me dis alors que même si l'école possède un code vestimentaire, dans l'application, celui-ci demeure un mythe presque rigolo. Dis-je cela parce que je traîne encore les vestiges de mon humiliation, à 16 ans, d'avoir été renvoyée chez moi par la directrice pour me changer sous prétexte d'un short trop court que j'estimais, du haut de mon jugement d'adolescente, tout à fait convenable?

Évidemment, même si elles demeurent majoritaires, ce ne sont pas toujours les élèves décemment (et joliment) habillées qui attirent mon attention au premier coup d'oeil (Dieu me pardonne!). Inévitable piège de la perception? Il m'est arrivé souvent d'avoir été séduite par la créativité, la détermination, les idées de grandeur, la verve, le sens de l'engagement, la générosité ou autres nobles qualités des élèves dont mon homme me parle ou encore de celles que j'ai observées dans les projets (parades de mode, spectacle amateur, scouts) qu'il chapeaute.

Je trouve remuant (je suis probablement beaucoup plus conservatrice que je ne l'ai toujours imaginé) de devoir être confrontée à mes propres jugements lorsque je croise une jeune fille à moitié nue. Cela me gêne, je me sens voyeuse malgré moi et j'ai tendance à apposer mentalement sur elle un étiquette: "jeune fille superficielle en pleine quête maladroite d'identité sexuelle" alors que la jeune fille possède certainement quelques unes des admirables qualités ci-haut mentionnées voilées tristement par son imposant dévoilement.

Évidemment, c'est la rentrée scolaire et cette thématique revient sur à peu près toutes les lignes ouvertes: port de l'uniforme vs mode contemporaire pas toujours décente. Il m'arrive d'être soulagée de ne pas avoir de fille...

Captivé


Qu'est-ce qui captive ainsi notre petit homme?

Le retour des canards dans notre piscine verte? Le retour de la mouffette? Les fleurs jaunies de maman? La courtepointe de Tout-Doux qui sèche sur la corde à linge?



Eh bien non. Il s'agit du fascinant camion à ordures, que Frédéric observe attentivement dans chacune des fenêtres à sa portée tous les vendredis!!

jeudi, septembre 06, 2007

Bienvenue au Sélection!

C'est à cause du ton. Mon ton et mes thèmes dramatico-émotifs des derniers jours. Je pourrais aisément tenir une chronique "Scandales émotifs et délices d'épouvantes" dans un sensationnalisme exquis pour le Sélection du Reader's digest ou encore pour le Journal de Mourial. Je suis pathétiquement déprimante à un point tel que je sens le besoin de me confesser de mes pannes de couleurs et d'humour.

Dans pareils moments où j'ai l'impression de n'avoir le contrôle sur rien, je ressens le besoin de secouer ma vie pour découvrir quelque chose de beau qui m'aurait échappé, quelque chose de fou qui sache m'égayer et me faire retrouver légèreté et sérénité, quelque chose d'inspirant qui sache se faire catalyseur pour mes projets-tortues.

Comme l'exprime si magnifiquement Yannou: "(...) J'ai envie de vies qui ne sont pas la mienne (...)". Signe pour moi que je dois secouer ma vie, que des choses doivent changer, même et surtout si ce ne sont que des perspectives.

Je fais régulièrement ce rêve d'une maison qui n'est mienne que dans mes songes. Il y a toujours cette pièce au sous-sol dans laquelle je refuse d'entrer car au fond de la pièce, il y a un caveau contenant le cercueil non scellé d'une de mes grands-mères. La pièce est remplie de boîtes, de trouvailles possiblement intéressantes mais je me sens en plus grande sécurité si j'en garde la porte fermée.

Cette nuit, il y avait encore cette même maison. Et une très grande pièce dans laquelle j'avais toujours refusé d'entrer, mais à l'étage cette fois-ci. Je me suis tannée de cette perte majeure d'espace et j'ai ouvert la porte et constaté le méga-ménage qu'il y avait à faire dans tous ces effets de l'ancienne propriétaire. Nous étions un jeudi, "parfait!", que je suis dit, puisque les ordures passent le vendredi. J'étais décidée à faire un méga clean-up, même s'il fallait que j'y passe la nuit! Le tapis fleuri était horrible, mais j'étais décidée à faire de cette pièce une belle et grande chambre pour mon adorable Grand-Charme. Une fois cette pièce terminée, j'étais bien décidée à prendre le taureau par les cornes et à m'attaquer à celle du sous-sol.

Pour moi, c'est un excellent présage!

mercredi, septembre 05, 2007

C'était un vendredi...

J'étais angoissée par un lourd pressentiment tout ce qu'il y a de plus irrationnel qui me tenaillait depuis une dizaine de jours. J'étais aussi stressée par mon étude de marché et je me noyais dans un océan d'informations dont je devais analyser la pertinence pour la rédaction de mon plan d'affaires.

Mon homme partit donc sans moi chercher mes trois grands garçons qui venaient de passer la semaine de relâche chez Papi, dans les Cantons de l'Est. Sur le trajet de l'aller, il laissa notre beau Thomas à sa marraine, qui voulait s'amuser à construire des "cabams" avec lui (le nouveau dada de Thomas).

Durant leur absence, je travaillai de mon mieux avec, à mes côtés, un sage bébé de cinq mois.

En milieu d'après-midi, mes hommes revinrent à la maison. Comme j'étais heureuse de retrouver ma marmaille! Nous avions beaucoup de pain sur la planche puisqu'en soirée, nous recevions les amis de Grand-Charme pour célébrer son neuvième anniversaire.

Je préparai un gâteau et réchauffai un poulet au riesling avant d'aller conduire Grand-Charme à son cours de théâtre.

En rentrant, nous fûmes accueillis par les "Allooo mamaaan, coucouuu!" de Thomas. Un ami était déjà arrivé et sa présence fascinait autant qu'intimidait notre beau bonhomme. Les autres amis arrivèrent, au grand bonheur de Grand-Charme, qui attendait avec impatience cette petite soirée vidéo.

Une certaine jeune fille du cours de théâtre téléphona à la maison. Elle expliqua à Grand-Charme que son amie était trop gênée pour lui demander de sortir avec elle et qu'elle se faisait donc la messagère. Grand-Charme ordonna à ses amis de lui laisser son intimité le temps qu'il règle "une affaire" au téléphone.

Une fois l'entente amoureuse conclue, les amis furent autorisés à rejoindre le fêté et le quattuor s'amusa un peu avant de déguster le gâteau. Tout le monde prit place à table et Thomas attendait sagement sa part en étudiant les nouveaux visages.

Grand-Homme mit finalement son aîné au lit, puis le reste de la gang alla visionner le film.

Cinquante minutes plus tard, Thomas se réveilla en pleurs. Il réclamait papa et maman. Papa constata qu'il était brûlant de fièvre. Notre bonhomme ignora les Tylenol aux raisins dont il raffolait pourtant. Je lui mis donc un suppositoire d'acétominophène et le berçai tendrement contre moi en discutant avec mon amoureux. Mon bonhomme de vingt-trois mois s'endormit paisiblement dans mes bras et je m'en réjouis car cela faisait une éternité qu'il ne s'était pas abandonné ainsi à moi. Quel précieux moment...

Deux des amis finirent par regagner leurs terres et le silence total envahit la maison.

J'allumai mon ordinateur et croisai sur MSN une copine de discussions tardives. Je lui parlai de mon étrange pressentiment, de ma crainte de perdre un de mes enfants. Curieusement, nous parlâmes de nos différentes expériences respectives impliquant une forte intuition.

Ce fut la dernière journée de Thomas. J'y pense intensément car je guette cette date depuis un bon moment déjà. Mon petit Frédéric a aujourd'hui l'âge de la dernière journée de son frère aîné. Il possède, temporellement parlant, le même capital de journées, le même vécu avec nous, ses parents, sa famille.

Je le regardais ce matin d'un oeil autre, comme si lui aussi pouvait nous être arraché subitement à cet instant précis. Une drôle de masse m'empêche de respirer librement en songeant que demain matin, Frédéric surpassera désormais l'âge éternel de son frère.

La vie suit son cours, mais on n'oublie pas. Cette journée est imprégnée dans chacune de mes cellules.

mardi, septembre 04, 2007

Bonheurs simples

Qu'est-ce qui rend...

...plusieurs petits garçons fous de joie?

Une bonne raclette un soir de semaine

...un père hospitalisé ému?

Un duo piano-violon au téléphone par sa fille et son gendre

...-rait une femme heureuse ce soir?

Un looong massage pour apaiser son mal de dos

dimanche, septembre 02, 2007

Amour et dignité

J'allais à la rencontre de mon père hospitalisé en cette belle journée de septembre.

Il est toujours ardu de voir quelqu'un que l'on aime se débattre ainsi avec la vie. Cette vie, il commence à l'avoir de travers. Que faire d'autre que de lui caresser le dos en l'écoutant articuler de son mieux qu'il n'en peut plus après cette dernière longue année de souffrance?

Faible, rachitique, las de ce corps qui ne veut plus suivre. Le médecin a fait ce qu'il a pu pour enlever le cancer, mais dans la mesure des limites de son intégrité physique, papa a refusé l'opération qui lui aurait fait perdre la parole. Je comprends son refus. Enlever le cancer, d'accord. Cela fait déjà deux fois. Mais enlever le cancer à coups d'organes qu'on retire, non. Papa a refusé de payer ce prix. Pas question pour lui qu'on lui enlève le pharynx, pas question de vivre sans ses cordes vocales, d'autant plus que le cancer reviendra assurément puisqu'il a pris soin de se loger à un endroit difficilement délogeable.

Il m'a dit, avant son opération, en fixant le vide et en contrôlant l'émotion qui le gagnait, que la crainte que nous avions tous de le voir mourir durant l'opération (c'était un risque), lui, il ne l'envisageait pas ainsi. Il m'a regardée comme s'il me demandait de ne pas lui en vouloir et m'a dit: "Je souffre, Jenny. J'ai tellement mal! Tu sais, si je partais durant l'opération, ce serait une belle mort. Je serais endormi, je ne sentirais rien, je partirais doucement. Je ne souffrirais plus."

Malgré mon amour infini pour mon père et mon désir de le voir en vie près de moi, je ne peux que (douloureusement) le comprendre et l'appuyer. Vivre, mais à quel prix?

Papa n'a plus de qualité de vie, ne mange presque plus, perd des aptitudes et de l'intérêt à ce qui l'entoure, regarde jour après jour la déchéance de son corps et de son moral le gagner.

Mon père est un homme grandement aimé. Il a connu la reconnaissance de ses collègues, était estimé dans son milieu professionnel, il a connu les conquêtes du grand séducteur, il était un guitariste entraînant et un accordéoniste qui me faisait pleurer d'émotion, il avait un charisme fou (comme j'aurais aimé hériter de son aisance sociale!) et avait un humour remarquable. Je parle au passé parce que tous ces aspects de lui-même ont pâli au point de rendre mythique sa fabuleuse personnalité pour ceux qui ne l'ont pas connu dans toute sa splendeur.

Peu à peu, il a éteint sa joie de vivre, a laissé la déprime et la maladie jeter de l'ombre sur l'homme qu'il était. Tout mon capital de compassion et d'impuissance converge vers lui.

En rentrant en voiture, je pensais au film Million dollar baby. À la fin du film, la boxeuse demande à l'homme qu'elle aime de l'aider à mourir. Entièrement paralysée, elle lui explique qu'elle a connu la gloire et lui manifeste son désir de mourir avant de cesser d'entendre la foule scander son nom. Je me suis demandé si papa entendait encore en lui les échos enivrants de ces bonnes années où il était adulé de tous (de moi la première).

J'ai pensé à Tristan (Légendes d'automnes) qui abrège les souffrances de son cadet se mourant au combat. J'ai pensé à Tom Cruise (nom du personnage?) qui donne le sabre au dernier samouraï afin qu'il puisse mourir en apportant avec lui sa dignité d'homme et de guerrier, ou encore au roi Theoden reposant sous le poids de son cheval mort qui est prêt à rejoindre ses ancêtres car "en leur illustre compagnie, il n'aura plus honte désormais". Il est heureux de partir avec sa dignité retrouvée. (Comme j'ai un grand faible pour le roi Theoden!)

Pour certains, mes paroles sont peut-être des énormités. Cela me heurte, me chagrine, me blesse de voir mon père souffrir. Je souhaite de tout coeur pouvoir le garder encore longtemps, m'émouvoir devant sa musique ou recevoir une de ses claques d'amour inattendues sur les fesses lorsque je suis près de lui. Seulement, si la souffrance lui pèse davantage que ce que lui apporte la vie, je crois que je ne lui en voudrais pas s'il choisissait de partir avec la dignité qu'il lui reste, avec les échos des souvenirs heureux qu'il réussit peut-être encore à entendre en lui.

Sur l'autoroute

De temps à autre, des croix blanches en guise de "en mémoire de". Chaque fois, mon coeur se serre de penser que là, la vie de quelqu'un s'est arrêtée, que là, le cauchemar des proches a commencé.

En revenant d'Abitibi, je me suis surprise à compter malgré moi les croix au pied des rochers, dans les fossés. Elles étaient trop nombreuses. Parfois, quelques fleurs aussi.

Ce fut le cas en rentrant de Sherbrooke cet après-midi: au bord de l'autoroute, sur le terre-plein, quelqu'un avait pris la peine de s'arrêter, de traverser les deux voies rapides pour déposer un bouquet de fleurs rouges. Mes pensées, immédiatement, sont allées vers ces personnes qui apprivoisent douloureusement l'Absence.

On le pense tous, je le dis aussi: j'espère ne jamais avoir à déposer des fleurs ou planter une croix sur le bord d'une route.